Il faut revenir à l’année 2021 et au premier semestre de l’année 2022 pour bien comprendre les mécanismes à l’œuvre actuellement. La crise sanitaire a entraîné dès 2020 dans son sillage des perturbations macroéconomiques qui ont fortement accéléré certains mouvements de fond dans notre société. Les secteurs de la Tech ont fortement bénéficié de ces mouvements et des opportunités qui en ont émergé, notamment dans les domaines de la santé ou du télétravail.
Cet élan a connu un fort ralentissement à partir du début du second semestre 2022 avec une baisse de 30 % du Nasdaq entre le 1 janvier et le 30 juin 2022. Ce ralentissement des marchés s’explique par le choc de la guerre en Ukraine d’une part (et les répercussions qui en ont découlé sur les prix de l’énergie notamment) et du contexte inflationniste d’autre part, lié aux conséquences des investissements massifs des Etats durant le Covid. Le premier trimestre 2023 a confirmé ce constat, actant la rupture nette avec la période post-Covid. Le marché du M&A et de la levée de fonds dans la Tech a ainsi enregistré un recul de l’ordre de 50 % par rapport à 2021. En tête des causes expliquant ce recul, le net retrait des fonds américains (en particulier les " hedge funds ") sur des opérations de levées : alors qu’ils étaient présents sur près de la moitié des " méga tours " en 2021 et début 2022, on ne les retrouve aujourd’hui que sur 5 à 10 % de ces opérations.
S’agit-il d’un krach de la tech comme on peut parfois le lire ou d’une simple correction ? En réalité, ces montants indiquent plutôt une correction qui se matérialise par un retour à des niveaux moyens d’investissements que le marché enregistrait entre 2010 et 2020. En ce sens, 2023 est davantage le signe d’un retour à la normale qu’une rupture avec deux années que l’on peut qualifier d’hors norme.
Un horizon qui se dégage pour le second semestre 2023
Si la conjoncture économique et géopolitique appelle nécessairement à la prudence, la tendance semble bien s’orienter vers une poursuite du mouvement observé et permet d’afficher un certain optimisme. Les fonds disposent d’un niveau historique de liquidité (" dry powder ") levée en 2021 et 2022. Cette liquidité sera réinvestie dans les prochains semestres et pourra prendre la forme de refinancements de sociétés de portefeuille ou d’investissements dans de nouvelles sociétés.
Le refinancement de sociétés de portefeuille a subi de plein fouet les effets de la crise ces derniers mois. Les investisseurs portent désormais une attention plus grande aux risques et ne privilégient plus prioritairement la croissance à tout prix (comme en 2021) mais davantage la rentabilité des sociétés, lesquelles se sont attelées à revoir leurs modèles économiques et leurs structures de coûts. Ces chantiers ont occupé nombre d’investisseurs et de sociétés en Europe et aux Etats-Unis en 2022, mais le gros du travail semble aujourd’hui accompli, offrant un horizon plus favorable pour le second semestre 2023.
Sur le front des investissements dans de nouvelles sociétés de portefeuille, nous nous attendons ainsi à voir les fonds de capital-risque et de private equity se recentrer sur des investissements ciblant en priorité les secteurs porteurs que la crise sanitaire et la conjoncture géopolitique ont placé au premier plan : la santé et le télétravail (sous l’effet de la Covid-19), la cybersécurité et la cyberdéfense (sous l’effet de la guerre en Ukraine et des bouleversements géopolitiques qui en découlent), la greentech/cleantech (sous l’effet de la montée en puissance des enjeux ESG, de décarbonation et de souverainetés), dont l’IA est souvent le dénominateur commun.
L’été confirmera ou atténuera ces observations mais nous sommes confiants sur le fait que le second semestre devrait voir repartir les investissements à la hausse, avec un phénomène de rattrapage de l’effet de crise qui devrait perdurer au moins deux ans. Cela devrait se traduire par une hausse du nombre de transactions en volume mais vraisemblablement pas par une hausse notable des valorisations, comme cela avait été le cas en 2021.
A partir de 2025-2026 se posera alors la question de la liquidité pour les investissements réalisés en 2021 et début 2022, dans un contexte de valorisations élevées, mais aussi de la capacité des fonds à lever en fonction des performances qu’ils auront enregistrées. En tout état de cause, le marché du M&A et de la levée de fonds dans la Tech semble s’y préparer, comme en témoigne le mouvement de consolidation que l’on observe ces derniers mois du côté des fonds. Du côté des sociétés, entre attendre une conjoncture plus favorable, et vendre avec une possible décote, le développement des opérations de LBO sur les sociétés de la Tech est une troisième voie qui a le vent en poupe : elle présente l’avantage d’offrir une liquidité partielle (ou totale) aux investisseurs et aux managers, permettant à l’entreprise de poursuivre sa croissance de manière indépendante, sans précipiter une opération de cession.
Quelles conséquences pour la banque d’affaires ?
Dans le marché actuel, il est évident que mener des opérations dans de bonnes conditions est devenu nettement plus complexe. Avoir à ses côtés l’expérience d’experts rompus à l’exercice est un atout indiscutable pour ouvrir davantage de portes, maximiser les chances de succès d’une opération et optimiser les termes.
Les sociétés ont de plus en plus intérêt à se tourner vers des solutions de financements dits structurés, associant à la fois investissement en capital, investissement en dette (venture debt, ARR financing), solutions de mezzanine, etc. Nos clients sont ainsi plus attentifs à la structure des financements (et, in fine, à leur coût), et cela nécessite le recours à l’expertise du banquier d’affaires. C’est d’autant plus vrai que de nombreuses sociétés ayant levé à des niveaux de valorisation élevés par le passé s’orientent souvent vers des approches " dual track ", associant les discussions avec des fonds de capital risque (potentiellement à un niveau de valorisation moins élevé et avec un risque de dilution financière), des fonds de LBO spécialisés dans la Tech et des acquéreurs stratégiques (M&A).
Sans surprise, l’activité des banques d’affaires, directement liée au volume des deals, n’échappe pas au ralentissement observé dans les opérations du secteur de la Tech au second semestre 2022. Le secteur reste néanmoins confiant quant à la capacité des boutiques M&A, notamment des structures les plus agiles, à faire valoir leur valeur ajoutée dans la configuration de marché actuelle. C’est dans les périodes de crise que le rôle et la valeur de l’intermédiation prennent tout leur sens, et que l’expérience, la créativité et l’expertise du banquier peuvent littéralement changer la donne pour ses clients.