Un secteur qui séduit les investisseurs et les grands groupes, mais qui est confronté à de nombreux défis, notamment dans l’accès aux financements.
"Notre système alimentaire va devoir évoluer considérablement dans les années à venir. Il ne s’agit pas seulement de produire plus, mais de mieux s’alimenter", explique Nicolas Cabanes, analyste chez EY Fabernovel, qui a réalisé l’étude. Et de citer quelques chiffres : en 2050, il faudra produire 56 % de nourriture en plus (par rapport à 2010) pour nourrir 9,7 milliards d’habitants, un tiers des émissions de gaz à effet de serre sont liées à notre alimentation, ou encore 20 variétés de plantes constituent 90 % de celles que nous mangeons…
En particulier, la production de protéines animales représente une cause importante de la pression humaine sur la biodiversité. "La viande d’élevage représenterait entre 11 et 19 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. 75 % de nos terres agricoles sont utilisées pour l'élevage alors que les produits d’élevage ne représentent que 18 % de notre apport total en protéines", souligne l’analyste.
Décarboner l’alimentation tout en limitant les pressions sur la biodiversité
Dans ce contexte, les protéines alternatives représentent une opportunité de décarboner l’alimentation, tout en limitant les pressions générées par la production agricole sur les écosystèmes. La fondation Solar Impulse propose une définition pour ce nouveau type d’alimentation : "des produits protéiques alternatifs qui reproduisent l'expérience sensorielle et les avantages nutritionnels de la consommation d'aliments d'origine animale.".
En somme, il s’agit de tous les produits qui imitent le goût, la texture et les valeurs nutritionnelles des produits laitiers, des œufs, de la viande, le poisson et des fruits de mer, dans le but de manger de façon plus saine et moins polluante, sans intervention animale (à l’exception des insectes).
Ces protéines alternatives peuvent être classées en quatre grandes catégories : les alternatives végétales (légumes, légumineuses, noix et graines, algues, champignons, etc.), les protéines issues de la fermentation, les protéines de culture et les insectes.
"Ces protéines sont pour beaucoup nos meilleures armes pour décarboner notre alimentation. Plusieurs études montrent que par dollar investi, c'est un investissement qui nous permet d'avoir le meilleur rapport sur investissement en termes de réduction de CO2", explique Nicolas Cabanes, qui évoque aussi les intérêts en termes d’occupation des sols et d’utilisation des ressources en eau.
"Si le marché des protéines alternatives représentait 11 % du total des protéines en 2035, cela signifierait une réduction d’environ 0,85 gigatonnes équivalent CO2, soit l’équivalent de 95 % des émissions du secteur aérien sur une année", ajoute-t-il.
Des investissements multipliés par 7,8 entre 2017 et 2022
Naturellement, ce sujet intéresse les investisseurs et les grands groupes : les investissements mondiaux pour les protéines alternatives (“plant-based”, “cell-based” et fermentation) ont été multipliés par 7.8 entre 2017 et 2022. Si en 2013, le marché nord-américain représentait 99 % des investissements en protéines alternatives, la situation a aujourd’hui fortement évolué, plaçant l’Europe en seconde position, avec 21 % des investissements, selon GFI. En France, le groupe Bel a récemment annoncé plusieurs partenariats avec des acteurs de ce secteur prometteur.
Les startups emblématiques du secteur restent néanmoins américaines, à l’exception du suédois Oatly (désormais cotée en bourse) et du français Ynsect (580 millions levés) : il s’agit d’Impossible Foods (1,9 milliards de dollars levés), Perfect Day (710 millions), Upside Foods (598 millions), Just (525 millions), Meati (275 millions), ainsi que de Beyond Meat et Benson Hill qui sont cotées en bourses.
Le marché le plus avancé d’un point de vue commercial reste celui du “plant-based” : en 2022, ce segment a généré 21,6 milliards de dollars de ventes dans le monde avec des alternatives à la viande, aux fruits de mer, au lait, au fromage et au yaourt à base de plantes, soit + 7 % en valeur par rapport à 2021. Le segment de la fermentation est, lui, plus émergent, mais il commence à attirer les investisseurs : 827 milliards de dollars y ont été investis en 2022.
Entre 67 % et 122 % plus cher que leurs équivalents animaux
Malgré les importants montants levés, ces startups peinent encore à s’imposer chez les consommateurs, car elles doivent relever de nombreux défis, sociaux, réglementaires ou économiques… "Pour garantir une adoption sur long terme, une triple parité doit être atteinte : parité de goût, parité de texture, parité de prix à minima", souligne en particulier Nicolas Cabanes.
"Le prix souvent élevé de ces produits est un frein pour le consommateur, encore plus dans un contexte inflationniste", explique l’étude d’EY Fabernovel, qui observe que ces produits sont entre 67 % et 122 % plus chers que leurs équivalents animaux. Mais sur ce point les choses pourraient changer rapidement, grâce à un effet ciseau : "le coup des protéines animales va augmenter dans les années à venir, c’est une évidence. La viande a pris 30 % en un an et demi en France, par exemple. Et les coûts de production des protéines alternatives vont diminuer", prédit l’analyste.
Pour autant, les besoins de financement pour augmenter les capacités de production sont considérables : 27 milliards de dollars seraient nécessaires pour que le marché des alternatives à la viande atteigne 6 % du marché global de la viande…
Or, dans un environnement économique tendu pour les startups, les investissements liés aux protéines alternatives dans le monde ont été réduits de 41 % entre 2021 et 2022. Nicolas Cabanes résume la situation : "le contexte d’investissement est difficile, comme pour tout le monde : cela ralentit les possibilités et les moyens donnés à ces acteurs. Pour faire simple, on leur demande plus en moins de temps, avec de vrais enjeux sur la diminution des coûts de production."