Yann Roland a dirigé pendant 25 ans le groupe CETIH, une entreprise qu’il a reprise en 1995, spécialisée dans la rénovation et l’amélioration de l’habitat. Ce groupe comporte notamment la marque Bel’m, leader sur le marché de la porte d'entrée.
Au moment de passer la main, le dirigeant décide d’adopter un modèle original : détenteur alors de 50 % du capital de son groupe, il transmet 40 % de sa participation à un fonds de dotation philanthropique, qui devient alors actionnaire à hauteur de 35 %. Au passage, l’actionnariat salarié est renforcé : sur un total de 1.500 salariés, plus de 800 sont aujourd’hui actionnaires, ce qui représente 33 % du capital.
Superbloom, un fonds de dotation philanthropique
A la Baule, le chef d’entreprise est revenu sur cette décision : "ça faisait cinq ou six ans que j’y pensais. Comme l'entreprise était performante, elle valait vraiment beaucoup, beaucoup d'argent, plusieurs dizaines de millions d'euros. Et là, il y a une espèce de vertige, surtout dans ce monde où les inégalités n'arrêtent pas d'augmenter.". Et d’ajouter : "D'accord, j'ai pris des risques financiers. D’accord, j'ai beaucoup travaillé. Peut-être que j’ai été un peu plus malin que les autres. Mais pas dans ces proportions-là.".
Devant ce “vertige”, s’est imposée l’idée de se “déposséder” d’une partie de sa fortune en créant le fonds de dotation Superbloom, destiné à financer des actions philanthropiques. Ce montage représente en outre un avantage supplémentaire : en tant que principal actionnaire du groupe, le fonds garantit l’indépendance de CETIH. "J'aurais été extrêmement triste et profondément affecté si l'entreprise était tombée entre les mains de financiers ou même entre les mains d'une famille d'industriels concurrents. Il fallait assurer l’indépendance de l’entreprise", reconnait Yann Roland.
L’actionnaire le plus exigeant
"Ce qui est assez amusant, c'est que depuis deux ans que j’ai quitté la direction de l'entreprise, je suis sans doute le représentant de l’actionnaire le plus exigeant. Ce n'était pas prévu à l’origine !", ajoute-t-il, en expliquant être aussi ambitieux en tant que philanthrope qu’il l'était en tant qu'entrepreneur. La performance de CETIH impacte en effet directement les ressources de Superbloom, qui est financé par les dividendes versés par le groupe.
Le dirigeant - qui n’avait jamais travaillé avec sa famille auparavant - a tenu à impliquer ses enfants et sa femme dans la constitution du fonds. Ensemble, ils ont choisi le nom et les deux domaines d’intervention de la fondation : l’éducation alternative et les femmes en situation de précarité.
De Facto, un réseau pour démocratiser les fondations actionnaires
Dans les faits, la création du fonds de dotation n’a pas été si simple. Le dirigeant s’est notamment heurté aux complexités de la fiscalité et des droits de succession. Par exemple, en France, il est impossible de déshériter ses enfants. "Ils ont signé une lettre de non-recours, renonçant à contester ma décision de créer le fonds", explique Yann Roland.
C’est là tout le paradoxe : il est possible de vendre son entreprise puis de dépenser tout l’argent issu de la vente, mais pas de priver ses enfants de leur part d’héritage. Dans le cas de Yann Roland, avec trois enfants, la “réserve héréditaire” est de 75 %, ce qui laisse seulement 25 % de patrimoine à distribuer librement.
Cette question de la réserve héréditaire est l’une des contraintes à lever pour démocratiser ce mode de transmission d’entreprise. Mais ce n’est pas la seule : pour inciter les pouvoirs publics à améliorer le cadre réglementaire et fiscal de ces fondations, le réseau De Facto (“Dynamique européenne en faveur des fondations actionnaires”) dont fait partie l’ancien dirigeant de CETIH, a été constitué.
"Je suis très motivé pour essayer de donner envie à mes collègues chefs d'entreprise de faire cette mutation. Grâce à cette philosophie et à ce moyen d'action, nous pouvons être des acteurs de la société civile. C’est vraiment un moyen de faire évoluer la société", conclut Yann Rolland.