En début d’année, Emmanuel Macron avait annoncé la couleur à l’occasion d’une réception à l’Élysée pour célébrer les dix ans de la French Tech : "La priorité est d’accélérer sur les innovations de rupture." Dans ce sens, l’exécutif a notamment fixé pour objectif la création de 500 jeunes pousses par an dans la deeptech d’ici 2030. Un chiffre ambitieux, alors qu’il n’y a que 2 500 startups dans ce secteur en France, soit 8 % du nombre total de jeunes pousses tricolores, selon le décompte du gouvernement.
Ces dernières années, la deeptech n’était pas franchement la priorité des investisseurs, qui privilégiaient davantage des secteurs où le retour sur investissement est plus rapide. Or la deeptech est un terrain de jeu qui nécessite beaucoup de temps et d’argent avant qu’une entreprise ne révèle pleinement son potentiel. "C’est du temps long et il n’y a pas de signaux de marché qui permettent de savoir si c’est un bon investissement. Il faut souvent six à sept ans pour être fixé et les fonds doivent refinancer le projet entretemps. Dans ce contexte, beaucoup de fonds se concentrent sur du SaaS B2B, où le retour sur investissement est assez rapide", explique Paul Bazin, Partner chez Daphni et l’un des auteurs du rapport "Perspectives deeptech : les pelles et les pioches qui vont nous aider à construire un monde durable" publié par le fonds d’investissement.
Une volonté politique indispensable
Dans ce document, Daphni a analysé la deeptech sous toutes ses coutures pour mettre en lumière les technologies les plus prometteuses du secteur. Ainsi, l’intelligence artificielle, l’informatique quantique, la fusion nucléaire, l’hydrogène vert ou encore l’édition des génomes sont vues comme des éléments qui pourraient fortement impacter le monde d’un point de vue environnemental et sociétal.
Face au potentiel de ces technologies, le gouvernement d’ailleurs placé la deeptech au cœur de son plan France 2030, destiné à faire évoluer le pays face aux défis de notre époque, dont l’urgence climatique. Preuve de l’intérêt de l’État pour le secteur, un plan de 2,5 milliards d’euros a été présenté en 2019 et une nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros a été annoncée en début d’année. "C’est bien, mais ce n’est pas du tout suffisant. Mais au-delà de l’argent, ça montre la volonté du gouvernement de vraiment mettre en avant ces technologies", estime Paul Bazin. Avant d’affiner sa pensée : "Il faut que des acteurs privés comme nous prennent le pas sur les acteurs publics. Nous n’arriverons pas à décrocher des succès juste avec de l’argent public. Il est nécessaire de créer un écosystème sain avec des professionnels de l’investissement dans le secteur qui connaissent leur sujet. C’est ce qui manque aujourd’hui." Dans ce sens, Daniel Ek, le patron de Spotify, avait pris les devants dès 2020, en assurant vouloir investir un milliard d’euros sur dix ans dans des startups européennes de la deeptech. Une démarche qui avait été saluée par les investisseurs français.
Le financement, talon d’Achille de l’écosystème
Dans ce contexte, des initiatives émergent depuis quelques années, à l’image de l’Inria, qui a lancé en 2019 un startup studio pour aider les chercheurs à se tourner vers l’entrepreneuriat, ou d’Elaia, qui s’est associé à l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL) pour mettre sur orbite un véhicule d’investissement early-stage pour les startups de la deeptech. Mais si la dynamique de cet écosystème naissant ne fait que s’amplifier, la chaîne de financement reste incomplète dans l’Hexagone.
Preuve en est avec Pasqal, jeune pousse spécialisée dans l’informatique quantique, qui a bouclé un tour de table de 100 millions d’euros en janvier dernier. Pour atteindre ce montant record pour une société du secteur en Europe, l’entreprise a notamment reçu le soutien d’acteurs français comme Daphni, Quantonation ou Bpifrance, mais aussi et surtout du fonds souverain singapourien Temasek, qui a dirigé l’opération. Le géant pétrolier saoudien Aramco (Wa'ed Ventures) s'était également invité au capital de l'entreprise tricolore.
"Aujourd’hui, le gros problème de la deeptech en Europe, c’est qu’il n’y a pas les financements. Je préfère parler de l’Europe plutôt que de la France. Car si nous nous posons seulement au niveau français, nous n’avons aucune chance face aux États-Unis et à la Chine. Il y a un vrai enjeu de souveraineté européenne, plutôt que nationale", estime Paul Bazin. "Nous avons de la chance en France et en Europe d’avoir de belles technologies et de super cerveaux", ajoute-t-il sur un ton optimiste. Mais encore faut-il réussir à retenir ses talents…
Et pour cause, l’expertise d’ingénieurs français dans de nombreuses technologies de pointe est reconnue dans le monde entier, mais la plupart des cadors du secteur cèdent souvent aux sirènes des entreprises américaines ou asiatiques. Par exemple, Yann LeCun, référence mondiale dans l’intelligence artificielle, travaille pour Meta, tandis que Luc Julia, l’un des concepteurs de Siri, a évolué au sein d’Apple et Samsung avant de mettre ses compétences au service de Renault en 2021. Retenir ses cerveaux et améliorer la chaîne de financement de la deeptech, tels sont les défis à relever pour l’écosystème français et européen afin de franchir un nouveau palier.