Le 13 juin dernier, Nicolas Jeanne annonçait auprès de ses investisseurs son souhait de départ de la présidence de BOLK, l’un des premiers modèles de cantine robotisée au monde, qu’il avait fondé en 2019. Une surprise dans le parcours de cet entrepreneur de 29 ans, qui, après une école de commerce, avait déjà monté deux autres startups entre Lille et Paris, et dont la dernière en date affichait de nombreux voyants verts. L’explication : le burn out. Selon une récente étude OpinionWay, la pathologie affecterait 34 % des salariés français, dont 13 % qualifiés de “sévères”, soit plus de 2,5 millions de personnes en France ! Pour Maddyness, il a accepté de témoigner pour contribuer à lever le voile sur ce phénomène qui concerne aussi les dirigeants.
Maddyness : Avant toute chose, et le plus important, comment allez-vous ?
Nicolas Jeanne : J’ai vécu l’expérience la plus éprouvante de ma vie. Un burn out de stade 3 dépasse de loin le surmenage tel qu’on l’entend souvent dans le monde professionnel. Seuls ceux qui ont connu ce type de burn out peuvent vraiment comprendre. On les appelle d’ailleurs souvent les Phénix, ce qui témoigne de la violence du phénomène. À côté, monter une boîte ce n’est pas si dur…
Aujourd’hui, mon état est stabilisé, j’ai guéri la majorité des symptômes, mentaux et physiques, qui rendaient les journées très compliquées. Je passe moins de temps chez les médecins et dans les hôpitaux, ça fait du bien ! Je rentre dans la phase de convalescence qui est longue par nature : on estime qu’il faut 2 à 3 ans avant de voir un véritable retour à la normale. On ne guérit pas 10 ans d’excès, en quelques mois, le corps à une logique. Je réapprends peu à peu à vivre.
M : Que vous à appris cette épreuve ?
N. J. : Cette période m’a surtout appris une chose : comme notre planète, la tête et le corps ont des limites, et il faut les respecter. Concrètement, je retourne à des bases saines. Je prends pleinement conscience de mon corps, de ses troubles et de ses besoins, notamment grâce à l’alimentation, la méditation, le sport, aux activités manuelles. J’ai arrêté de passer mes journées derrière un écran. Il faut y aller de façon progressive car le risque de rechute est de l’ordre de 50 % dans les deux années qui suivent. Apprendre à ralentir.
M : Quand avez-vous réussi à mettre un mot sur vos maux ?
N. J. : Comme tout entrepreneur, j’ai été pendant longtemps en mode “bulldozer”, plein de confiance, avec un sentiment de “toute puissance”. A partir de mars 2022, j’ai eu différents symptômes : palpitations, problèmes cognitifs, pleurs. J’avais eu de nombreux signaux, mais pas les connaissances pour les écouter et les prendre au sérieux. J’étais clairement dans le déni. J’ai commencé tout de même à consulter le corps médical qui suspectait un COVID long. J’ai perdu 6 mois qui ont laissé le temps à la pathologie de s’installer et de progresser jusqu'à ce que ce soit mon corps qui reprenne le contrôle. J’ai fait une décompensation, en septembre 2022. La fatigue physique et psychologique extrêmes accumulées depuis 10 ans ont été libérées, c’est comme une implosion interne.
M : Quelle a été la suite ?
N. J. : S’en suivent alors l’enchaînement des rendez-vous médicaux, et c’est là que commence un parcours du combattant avec l’apparition de plus en plus de symptômes bizarres, incohérents, avec peu de personnes pour vous les expliquer, et surtout pour vous rassurer. On m’a prescrit des médicaments, anti-dépresseur, anxiolytique, neuroleptique, et dirigé vers un suivi psychologique. On m’a demandé de me reposer : sauf qu’un entrepreneur s’il est en burn out, c’est justement parce qu’il ne sait pas se reposer ! Je n’ai pas eu la chance à ce moment-là que l’on m’explique la signification du mot “repos”. J’ai donc dérivé vers une dépression, ce qui est assez classique pour un burn out mal soigné.
M : Pourquoi est-ce un sujet encore relativement mal connu, voire tabou ?
N. J.: Il y a plusieurs raisons à cela. Le burn out n’est pas une maladie qui se laisse facilement détecter : une jambe cassé se voit, quelqu’un en burn out pas forcément. C'est une maladie invisible qui se développe par des symptômes très différents selon les individus. Le corps médical est donc encore relativement démuni : l’ensemble des symptômes leur semblent souvent incohérents et ne “rentrent pas dans les cases”. Il manque également cruellement de ressources mais aussi de formation sur le sujet, malgré toute la bonne volonté. Le terme est en plus employé à tout va et a perdu de sa gravité : une personne surmenée ou stressée par son travail se dira souvent en “burn out”. Ils font donc un mauvais diagnostic, ce qui renforce le flou.
M : Comment avez-vous été accompagné pendant cette période ?
N. J. : Ce n’est pas simple car la réalité est qu’un burn out est très peu compris comme évoqué auparavant. Côté proches et famille, globalement, je pense qu’il y a deux choses que les miens ont fait pour moi et je les remercie de tout cœur. D’abord être présent, écouter et ne pas donner de conseils car nous sommes particulièrement vulnérables et susceptibles. Vos proches sont là pour vous soutenir, vous accompagner, mais ne vous guériront pas. Ensuite, il faut absolument accompagner la personne vers un parcours de soin, on ne sort pas tout seul d’un burn out.
M : Et au niveau de votre entreprise ?
N. J. : Dans l’entreprise, cela a été compliqué. Forcément mes collaborateurs et mes managers ont vu mon niveau d’énergie et mon état se dégrader au fil du temps. Afin de ne pas communiquer mon stress ou créer un climat anxiogène, j’ai tenté de masquer mon mal-être et les symptômes du mieux que j’ai pu. Un dirigeant doit rassurer et je ne pouvais plus. Malheureusement, cette position ne vous aide pas nécessairement à vous en sortir, le rôle de dirigeant provoque isolement, et puis c’est difficile de parler de ce sujet très intime. J’ai pris beaucoup sur moi pour ne pas montrer mes souffrances à mes interlocuteurs, du coup ça a joué en ma défaveur, tout le monde croyait que c’était juste superficiel.
Certains ont pensé que j'exagèrais sur mon état de santé, je ne leur en veux pas. Avec mon board et mes investisseurs, c’était également complexe de mélanger business et santé. Surtout qu’il s’agit généralement de personnes issues d’une génération où le sujet de la santé mentale a peu été évoqué. Aujourd’hui je suis convaincu que ça doit faire partie de la gestion des risques, car si le ou l’un des dirigeants fondateurs implose, la probabilité d’entraîner la boîte avec lui est forte. C’est ce qui nous est arrivé entre autres chez BOLK.
M : Quels conseils donner aux entrepreneurs, qui sont de plus en plus sujet au burn out ?
N. J. : Dans le modèle actuel des startups, je pense que le risque de burn-out est très élevé. La pression est folle et constante, notamment avec le modèle de levée de fonds, qui à 95 % du temps ne se termine jamais. Une pression dont, en tant que dirigeant, j’ai essayé de préserver au maximum mes salariés. J’ai pris en grande partie l’onde de choc, alors qu’on devrait pouvoir extérioriser. Je conseille donc de trouver votre canal pour extérioriser : parler de vos problèmes, se sentir compris, évacuer… les dirigeants sont des êtres humains normaux !
Tout comme les salariés ! Il faut également absolument écouter son corps : le burn out est un processus invasif qui n’arrive jamais du jour au lendemain. Votre corps vous alerte plusieurs fois, écoutez-le ! La difficulté est que souvent, nous sommes dans le déni. Il faut donc accepter, reconnaître que ça ne va pas, et mettre en place des actions pour se soigner. Les proches jouent là un rôle primordial pour alerter car au plus tôt le problème est pris au sérieux, mieux il peut se régler. Il est important aussi d’accepter de s’extraire de la source de stress. Mieux vaut quitter sa boîte que quitter sa vie… C’est la triste réalité : il y a un nombre non négligeable de décès dus au burn out, suicide, AVC, crise cardiaque.. je pense qu’il faut arrêter de le nier. Enfin, pensez davantage à vous et prenez soin de votre tête et de votre corps : par le sport, l’alimentation, la parole, les relations sociales positives, les projets extra pro. C’est en tout cas ce qui m’a beaucoup aidé.
Si malheureusement vous êtes en burn out : acceptez le temps, car il faut deux à trois ans pour se remettre complètement d’un burn out sévère.
M : Un dernier mot ?
N. J : Oui pour ceux qui sont en burn out ! C’est souvent l'épreuve d’une vie, mais sachez qu’il y a plein de moyens de le soigner. Il ne faut pas que vous restiez seul : parlez, échangez, rencontrez des spécialistes… On ne sort pas d’un burn out tout seul, j’en suis convaincu, l’aide des autres est précieuse et essentielle ! Enfin, un burn out bien soigné, c’est souvent une nouvelle vie bien plus épanouissante, car on se connait tellement mieux ! Je commence à découvrir de nouvelles choses merveilleuses !