Plus de quinze ans après sa naissance aux États-Unis, le label B Corp (Benefit Corporation) a le vent en poupe en France et en Europe. Et pour cause, jamais les enjeux environnementaux et sociétaux n’ont été autant au cœur de la réflexion de nombreuses entreprises. "Aux origines, B Corp a joué un rôle fédérateur autour de l'économie sociale et solidaire aux États-Unis, qui n'était pas structurée comme cela pouvait l'être en France. L’objectif était d’identifier les entreprises qui étaient nativement à impact. Cependant, la vision de départ n’était pas de créer un label pour cette économie sociale et solidaire, mais de faire en sorte que le système économique soit bénéfique pour tout ce qui se rapporte au vivant", explique Augustin Boulot, délégué général de B Lab France depuis novembre 2019.
Depuis, l’idée a fait son chemin et s’est exportée dans le monde entier. Mais si le label B Corp est de plus en plus convoité, le décrocher n’est pas forcément aisé. En effet, B Lab, l’ONG qui s’occupe de la certification B Corp, s’attèle à vérifier que les entreprises qui cherchent à obtenir la certification intègrent réellement des objectifs environnementaux et sociétaux dans leur ADN, en plus des objectifs financiers, pour démontrer leur volonté d’avoir un impact positif sur la société. Cela se traduit par un processus long et exigeant au cours duquel l’entreprise doit répondre à 200 questions portant sur cinq thématiques : la gouvernance, les collaborateurs, la collectivité, l’environnement et les clients. Pour décrocher le label B Corp, il faut obtenir un score minimum de 80 points.
Cependant, obtenir cette certification n’est pas un acquis éternel. Et pour cause, elle n’est valable que pour une durée de trois ans, à l’issue de laquelle l’entreprise doit se soumettre à une nouvelle évaluation si elle souhaite la conserver. "Ce label crée de l’engouement et de la fierté, donc les entreprises veulent le garder. Une entreprise dans la restauration nous a dit : ‘On n’est pas B Corp tous les trois ans, on doit l’être tous les jours’", indique Augustin Boulot.
310 entreprises certifiées B Corp en France
En France, c’est le cabinet de conseil Utopies, centré sur l’accompagnement des entreprises dans leurs stratégies RSE, qui a été la première organisation à décrocher le label B Corp. Pionnier en la matière, le cabinet s’est ensuite associé au mouvement pour mettre sur orbite la branche française de B Lab en 2019. Depuis, la certification est devenue de plus en plus populaire auprès des entreprises françaises. Elles sont désormais 310 à avoir décroché le label dans l’Hexagone.
Ce nombre paraît encore très faible quand on sait que plus d’un million d’entreprises ont été créées en France sur la seule année 2022, selon l’Insee. De plus, 10 000 entreprises utilisent l’outil gratuit de mesure (Business Impact Assessment) mis à disposition par B Corp pour piloter leur démarche d’impact et de transformation RSE, "alors qu’elles n’auront jamais vocation à aller au bout de ce processus", constate Augustin Boulot. A ses yeux, "c’est presque plus important que de décrocher le label", dans la mesure où l’essentiel est d’intégrer des objectifs environnementaux et sociétaux dans leur approche.
"300 entreprises sont en attente de certification en France, dont une trentaine avec un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros. 100 entreprises ont été labellisées en 2022 et 150 le seront probablement en 2023", note le délégué général de B Lab France. Avant d’ajouter : "Former des auditeurs prend du temps et de plus en plus d’entreprises sont engagées dans le processus de recertification, qui viennent s’ajouter aux 200 dépôts de dossiers par an en moyenne depuis 2021. Parfois, ces entreprises changent complètement de structure, donc cela rend le processus encore plus long."
B Corp confronté à l’appétit des grands groupes
Néanmoins, cela n’empêche pas près de 60 % des entreprises engagées dans le processus de certification (et 95 % pour celles en quête d'une recertification) de décrocher le label B Corp. Parmi elles, on retrouve notamment Nespresso ou Danone, ce qui irrite parfois des acteurs qui estiment être beaucoup plus vertueux que ces multinationales. "Ce rapport de force entre géants et petites entreprises est parfois compliqué à gérer. Mais sur B Corp, tout est transparent. Maintenant, il est clair que l’arrivée de géants comme Danone et Nespresso a nourri une réflexion chez B Lab", confie Augustin Boulot.
"On croît beaucoup en ce référentiel, mais on ne dit pas qu’il est parfait. Il est d’ailleurs retravaillé tous les trois ans, avec une refonte plus profonde des standards, pour identifier les trous qui peuvent exister dans ce référentiel. Et pour les grands groupes, vouloir décrocher le label va les obliger à travailler pendant cinq ou six ans, et cela va venir bouleverser certaines parties de leur modèle d’affaires. S’ils réussissent, ils vont l’afficher, mais ils seront aussi redevables auprès de leurs clients et de tous leurs partenaires", ajoute-t-il.
"B Corp a été conçu pour que ce ne soit pas un simple phénomène de mode"
Comme de plus en plus de grands groupes s’intéressent actuellement au label B Corp, certains allant même jusqu’à affirmer qu’ils vont l’obtenir à une date précise, cette certification doit en effet être affinée en permanence pour éloigner les critiques sur son impact. "B Corp a été conçu pour que ce ne soit pas un simple phénomène de mode : un référentiel solide, reconnu et utile pour la société, au sein d'une organisation qui a le courage de se remettre en question régulièrement", assure Augustin Boulot. Pour ancrer la démarche dans la durée, un modification des statuts de la société est d'ailleurs exigée par B Corp, de manière à décourager les entreprises qui voudraient seulement s'offrir un coup de com' éphémère.
A l’avenir, le délégué général de B Lab France espère que les réflexions déclenchées par B Corp vont davantage s’imposer auprès des dirigeants d’entreprise. "Ce ne sont pas des questions évidentes à emmener en Comex, mais il faut marteler ces questions", estime-t-il.