Aux États-Unis, dès que l’horizon s'assombrit, l’écosystème a tendance à arbitrer rapidement et sait mettre fin à l’activité d’une startup. Les Français, qui ont culturellement un rapport plus compliqué à l’échec, vont au contraire tout faire pour sauver leur entreprise.
Pour mieux comprendre cette différence culturelle et ses conséquences, Maddyness s’est entretenu avec Fabrice Piollet, avocat spécialisé en private equity, associé chez McDermott Will & Emery, et Lise Rahou, avocate en propriété intellectuelle, associée au cabinet Marli, tous deux impliqués dans des sujets liés au financement de startups.
Risque ou échec ?
Prise de risque, rapport à l’échec, arbitrages... voilà des notions qui s’appréhendent bien différemment d’un pays à l’autre. "Aux États-Unis, il y a une véritable culture de la prise de risque. Au moment de la structuration d’un deal, un fonds US va bien intégrer cette dimension. L’écosystème accepte davantage le risque et les fonds sont capables d’arbitrages plus rapides et radicaux quand ils l’estiment nécessaire", explique Fabrice Piollet, habitué à structurer des opérations de LBO ou des levées avec des fonds américains. "Même pour une société avec des projets avancés et une bonne visibilité, nous avons vu des cas dans lesquels le management et les investisseurs financiers travaillent très en amont et en parallèle de la recherche de financement, un plan de sortie", ajoute-t-il.
"En France, l’approche du risque n’est pas du tout la même. Un risque qui se matérialise devient un échec, et cela reste culturellement très dur. Pour cette raison, nous avons des façons très différentes d’envisager les périodes de trouble et la fin d’une activité", avance Lise Rahou.
Cette différence culturelle est accentuée par des différences structurelles importantes. D’un pays à l’autre, le rapport au marché de l’emploi n’est pas le même, les process de liquidation non plus. "Une autre différence fondamentale réside dans l’origine de l’impulsion. En France, les pouvoirs publics et les institutionnels sont extrêmement mobilisés pour préserver l’écosystème. Aux États-Unis, la plupart des initiatives sont privées", explique Fabrice Piollet.
Valoriser la création ou l’existant ?
En bon français, le “venture capital” importé des États-Unis, se traduit “capital-risque”. Une traduction qui n’est ni littérale, ni anodine. Quand les Américains investissent dans l’entrepreneuriat, nous mettons notre capital à risque. Pour les fonds américains, le risque de perte est inhérent à l’investissement. "C’est peut-être une des raisons pour lesquelles ils sont moins enclins à participer à des bridges, en particulier pour des sociétés loin de leur marché domestique", partage Fabrice Piollet.
"L’écosystème américain valorise avant tout la création, quand il y a trop de difficultés, ils préfèrent stopper le projet et en créer un nouveau. L’écosystème français, lui, regarde plutôt comment protéger ce qui existe. Les fonds français ont donc plutôt tendance à remettre au pot, là où les Américains laissent mourir le bébé plus rapidement", explique Lise Rahou.
Des différences de comportement que l’on retrouve aussi du côté des entrepreneurs. "Depuis quelques années, je vois des entrepreneurs redoubler d’inventivité pour se sortir de situations difficiles. Les périodes de crise les poussent à penser autrement pour éviter l’échec à tout prix", partage Lise Rahou. L’avocate en propriété intellectuelle évoque de nouvelles stratégies telles que des collaborations, des contrats en marque blanche, de la vente de technologies, des franchises sur des prestations de services. "Des stratégies que les entrepreneurs n’avaient pas forcément imaginées au départ, mais qui leur permettent de faire rentrer du cash pour garder la tête hors de l’eau", commente-t-elle.
Côté américain, on cherche plutôt à éviter toute situation de rupture avec les actionnaires financiers et de maintenir un contexte propice à la création. "Cela leur permet de chercher des solutions de sortie sans y laisser trop de plumes et surtout cela permet aux opérationnels et aux financiers de continuer à travailler main dans la main sur d’éventuels nouveaux projets. Tout ceci fait que la liquidation d’une société n’est pas forcément vécue comme un échec", indique Fabrice Piollet.
Une nouvelle phase d’apprentissage pour l’écosystème européen
La période trouble qui s’annonce sera une nouvelle phase d’apprentissage pour l’écosystème européen, moins mature que son homologue américain. "Les prochains mois vont probablement secouer un peu en France. Cette période va être une nouvelle phase d’apprentissage pour l’écosystème, qui ne peut que le faire gagner en maturité. Sur ce point, l’écosystème américain a un avantage certain : les acteurs du VC US existent pour certains depuis des décennies, et n’en sont pas à leurs premières secousses. Alors qu’en France, beaucoup d’investisseurs et d’entrepreneurs n’ont pas vécu les crises de 2000 et 2009", conclut Fabrice Piollet.