Dans le domaine de la technologie ou du numérique, chacun est convaincu que son innovation est la plus intelligente depuis le fil à couper le beurre ou l'intelligence artificielle. Mais dans notre monde hautement concurrentiel, la seule intuition ne suffit pas.
Steve Jobs, créateur de l'iPhone, était un chef d'entreprise intuitif, et bien que son produit soit aujourd'hui considéré comme une innovation technologique majeure, il lui aura fallu des années pour la parfaire. Or la plupart des entrepreneurs n'ont pas les moyens de consacrer des années au développement d'un produit. D'ailleurs, souvent ils n'en ont même pas besoin.
Si vous êtes une jeune pousse, mieux vaut avoir une feuille de route à suivre et des outils qui vous permettront de commercialiser votre produit avec succès. Alors, existe-t-il une méthode qui surpasse les autres dans le domaine des startups technologiques et numériques ?
Oui ! Le concept Lean Startup (LS), apparu au début des années 2010, a révolutionné la création de startups et leurs modèles économiques en allant à l'encontre de l'approche plus traditionnelle du modèle entrepreneurial, basée sur la pratique séculaire qui consiste à établir un business plan et à s’y tenir. Au contraire, le LS favorise l'expérimentation et la réduction des risques. L'idée est de ne pas attendre le dernier obstacle (le lancement du produit) pour échouer : il n'y a pas de mal à échouer plusieurs fois, à condition d'en tirer le plus rapidement possible les leçons, en se concentrant sur la réduction des coûts. Cette approche, qui privilégie l'expérimentation et les tests à une planification élaborée, et les retours constants des clients à l'intuition, crée des fondateurs plus scientifiques.
Depuis HEC Paris et l'ESSEC, nous avons interrogé plus de 25 startups de la région parisienne et 25 acteurs de l'écosystème entrepreneurial pour notre dernière étude, qui repose sur une méthodologie qualitative. La plupart des startups avaient environ deux ans d'ancienneté et étaient toujours dirigées par leur fondateur. Elles travaillaient entre autres dans les secteurs du développement d'applications et de logiciels, des réseaux sociaux et du commerce électronique.
Nous avons constaté que la méthode Lean Startup est de loin la plus utilisée, voire est devenue une nouvelle norme. Nombre d'entrepreneurs nous ont confié que la philosophie LS était désormais " ancrée " dans leur quotidien. Ils parlent d'ailleurs de " minimum viable product ", de " pivot " ou de " traction ", des expressions caractéristiques de cette méthode. Si le concept de Lean Startup s'est rapidement répandu, c’est notamment parce qu'il existe des communautés en ligne facilement accessibles (par ex. meetup.com) où chacun partage son expérience des différentes méthodes. Avec le temps, plusieurs guides pratiques ont vu le jour, démocratisant encore davantage le processus de création d'entreprise. En outre, de nombreux logiciels, bases de connaissances et outils nécessaires sont disponibles en ligne gratuitement. Enfin, les " incubateurs ", dont certains sont adossés à des écoles de commerce, encouragent les startups à utiliser le LS et les accompagnent dans cette démarche.
Autre constat : toutes les startups ont l'impression de faire partie de l'" écosystème " technologique et numérique local, ce qui est un point crucial du LS, où l'accent est mis sur le partage de valeurs collectives. L'idée sous-jacente est que toutes les startups font plus ou moins face aux mêmes problèmes et que la collaboration les aide à s'en sortir plus efficacement.
En matière de systèmes de contrôle de gestion (SCG), pour reprendre l'expression académique, c'est-à-dire de prise de décisions et de pilotage, le Lean Startup met en place des " boucles de feedback " en 3 étapes : produire, mesurer et apprendre. C'est là que les fondateurs ont un rôle important à jouer, pour structurer et accélérer le processus d'apprentissage flexible tout en favorisant la communication entre les designers et les clients. L'un des principaux messages qui est ressorti de notre groupe d'étude est que le succès d'un entrepreneur réside dans sa capacité à tester encore et toujours, jusqu'à en devenir un " robot testeur ", pour citer l’un des participants. Il faut tester en permanence pour être sûr de la réussite de ce que l'on développe. Ce feedback constant permet de décider s'il faut " pivoter ou persévérer ", ou en d'autres termes, reprendre le crayon ou poursuivre en avant toute.
Toujours en matière de contrôle de gestion, nous avons observé une forte confiance dans les données axées sur le client pour savoir si la direction prise est la bonne. Mais ces données doivent être traitées avec précaution, car il convient de mesurer uniquement ce qui est important pour l'entreprise et son processus d'apprentissage. Dans cet océan de données, il faut certes identifier celles qui importent aux investisseurs, mais aussi celles qui font avancer votre produit.
Ce qui nous amène à évoquer certains inconvénients. On peut parfois accorder trop d'importance aux données chiffrées, parce qu'il y en a tout simplement pour tout. Les décisions finissent par être presque entièrement fondées sur des données. Il ne faut pas hésiter à changer rapidement d'orientation ; mais s'il s'agissait dès le départ du mauvais produit sur le mauvais marché ? Les partisans du LS répondent à cette critique en affirmant que plus les boucles de feedback sont rapides, plus on sait rapidement si le projet est viable ou non.
Parmi les personnes interrogées, certaines ont admis cette difficulté, avouant que les nombreux tests effectués les avaient poussées à modifier radicalement leur produit pour répondre à un besoin spécifique des clients. Elles ont alors perdu de vue leur objectif initial et " n'ont pas aimé ce que le produit était devenu ".
D'autres écueils doivent être évités. Les conditions de financement peuvent changer du jour au lendemain ; c'est ce que l'invasion de l'Ukraine par la Russie nous a appris. Il y a peu, l'argent était encore bon marché et affluait vers les startups à croissance rapide. Aujourd'hui, les investisseurs se posent d'autres questions, réfléchissent davantage avant d'accorder leur soutien et s'intéressent plus à la rentabilité qu'à la croissance, un aspect qui est moins développé dans la méthode Lean Startup.
Pour conclure, si vous pensez lancer le prochain " produit du siècle ", soyez ouvert au Lean Startup. Tout ne sera pas rose et il faudra accepter de tester et d'apprendre sans relâche, mais il faut croire que cette méthode est bien enracinée.