À 62 ans, Henri Seydoux conserve la fougue du jeune entrepreneur. Il répond ainsi aux questions avec un débit rapide, toujours avec le sourire, sautant d’une idée à une autre pour partager sa vision et ses rêves pour l’avenir.
Les trois phases de Parrot
" Parrot a eu trois vies, explique Henri Seydoux. Je suis avant tout un développeur de logiciel et j’ai commencé par imaginer un produit grand public avec de la reconnaissance vocale en 1994. On a fait un petit agenda électronique qui était principalement utilisé par les personnes non voyantes. C’était une galère. On a appris durement à quel point c’était compliqué de faire des produits électroniques. ".
Le parcours d’Henri Seydoux croise alors celui du groupe Ericsson alors que l’entreprise était numéro un mondial de la téléphonie. Parrot cherche alors un moyen d’interfacer sa technologie dans les téléphones mobiles. Cela n’intéresse pas le business developer qu’il rencontre, mais celui-ci lui laisse entendre que cela pourrait les intéresser si Parrot arrive à faire marcher leur reconnaissance vocale, dans un système embarqué au sein d’une automobile. Henri Seydoux travaille pendant toutes ses vacances et rejoint ensuite le siège suédois d’Ericsson pour en faire la démonstration. Après de nombreux tests, les équipes sont emballées.
" Mais au moment de me dire au revoir, mon contact me dit qu’ils ont finalement réfléchi et qu’ils ne sauraient pas comment s’en servir. Je me revois encore dans le hall d’accueil des bureaux en Suède, alors que la nuit tombait tôt. Et je me dis putain, il faut que je trouve un truc pour le convaincre. Je me mets alors à imaginer quelque chose d’autre. Je lui dis : imagine que tu puisses mettre le téléphone sur un support et la voiture vient lire le répertoire de ton téléphone et afficher les noms. ".
Cette astuce permet au petit français de signer un contrat avec le géant mondial et vient leur mettre le pied à l’étrier. C’est aussi dans les laboratoires de recherche d’Ericsson qu’il présente une nouvelle technologie. " On ne sait pas encore comment ça va s’appeler, lui explique son contact. Mais pour le moment, le nom de code c’est Bluetooth. Cela vous intéresse d’avoir les specs ? ".
Les équipes de Parrot se mettent alors à développer un système embarqué en Bluetooth avec reconnaissance vocale. Parrot lève alors de nouveaux fonds et prépare une grande annonce pendant le Salon de l’Automobile en Allemagne. Henri Seydoux se souvient parfaitement de la date, et pour cause, nous sommes le 11 septembre 2001 et la salle de conférence de presse est complètement vide alors que deux tours de Manhattan sont en flammes.
Cela aurait pu être le coup de grâce pour Parrot. Mais l’ensemble des acteurs de la téléphonie comme Motorola ou Ericsson se recentre alors sur leur cœur de business, ce qui signifie que Parrot devient la seule entreprise à distribuer un produit qui commence à bien se vendre, sans la moindre concurrence. Ils attirent l’attention des constructeurs automobiles comme Audi, Tesla, Mercedes, BMW, qui deviennent tous clients. En 2006, Parrot profite de ce momentum pour entrer en bourse sur le marché Eurolist d’Euronext.
Dans les technologies, tout est éphémère
" Dans la vie, rien ne dure, lâche Henri Seydoux. Et c’est le cas aussi dans ce métier et dans les technologies. On le voit bien : on est passé en quelques années d’Ericsson à Nokia, puis aux iPhones et Android. Les choses vont très vite. C’est pourquoi il faut toujours chercher des choses nouvelles… même si c’est dur parce que tu mets en jeu la survie de la boîte à chaque fois. Mais c’est aussi ce qui se passe dans les grandes réussites américaines, ce sont aussi d’éternelles startups. ".
C’est donc à l’époque de l’introduction en bourse que Henri Seydoux commence à réfléchir aux drones, même si originellement personne n’y croyait chez Parrot. Un rêve ancré dans l’enfance pour l’entrepreneur, lui qui passait ses journées d’été à faire des avions en papier ou à construire des cerfs-volants.
Quand il dévoile leur AR.Drone au CES de Las Vegas en 2010, Parrot connaît sa première explosion médiatique. Henri Seydoux se rappelle avoir fait cent apparitions télévisées en quatre jours. Cela amorce une deuxième phase pour Parrot, celle de l’électronique grand public. Une période pendant laquelle l’entreprise va lancer une série de drones roulants et volants et même un casque audio salué par la critique : le Parrot Zik.
L’entreprise n’a jamais été aussi visible, mais c’est aussi une phase où le succès économique est moins au rendez-vous que pendant sa phase dans les télécoms.
" On n’a pas gardé une position unique sur le marché, explique Henri Seydoux. En 2015, j’ai pris la décision d’arrêter l’électronique grand public, de réorganiser complètement la boîte pour devenir une entreprise spécialisée sur les drones professionnels. ".
Parrot rassemble aujourd’hui 500 collaborateurs autour de cette mission et équipe un grand nombre d’entreprises pour de l’inspection de leurs installations (que ce soit des éoliennes, des ponts, etc.) mais aussi pour un grand nombre d’organismes de défense comme l’armée française, anglaise et américaine, le FBI, la DEA, NCIS...
Créer une startup éternelle
Mais alors, quel est le secret pour créer une startup éternelle ? Henri Seydoux n’a pas de réponse définitive à cette question, lui qui observe encore l’aventure Parrot avec beaucoup d’humilité.
" Ma méthode c’est de travailler beaucoup et d’être en contact avec la plupart des ingénieurs, livre-t-il. Et je crois que le plus important, c’est d’embaucher des jeunes. Parrot embauche essentiellement des développeurs qui sortent de l’université. ". En trois décennies, Parrot a déjà eu trois vies. Grâce à la capacité d’Henri Seydoux à se réinventer constamment, l’entreprise française pourrait bien avoir encore quelques vies en stock.
" Mes objectifs aujourd’hui sont de rendre la boîte rentable, de me différencier de mes concurrents et… surtout, de faire des trucs originaux. ".
Fidèle à sa philosophie de vie, Henri Seydoux a les yeux constamment tournés vers l’avenir et développe déjà la prochaine version de son drone. Son ambition, c’est de permettre l’autonomie complète du drone. De la même manière que les voitures n’auront peut-être plus besoin d’un conducteur un jour, l’entrepreneur souhaite que ses drones puissent décoller pour aller remplir leurs missions d’inspection ou de surveillance sans aucune supervision humaine.
" C’est tout juste en train de naître et cela nous passionne. On y voit un potentiel énorme pour l’avenir. On veut des drones qui font des choses utiles. Le drone pourrait survoler un champ d’éoliennes et les inspecter en détail, noter la position des arbres à proximité, leur donner un nom, les surveiller, voir comment ils évoluent, s’ils présentent des signes de maladie, etc. " .
Parrot souhaite donc se positionner sur les drones qui apportent un véritable service pour les entreprises.