Cette conjoncture pose la question du modèle de croissance des startups. Comment continuer à grandir sans lever de fonds ? Les startups doivent-elles opter pour un modèle de croissance contrôlé ? Réponse avec Vincent Chevalier-Levy, CEO & fondateur d’Impulse Analytics et Fabrice Staad, General Manager France d’Alan.
Non, la levée de fonds n’est pas une étape obligatoire
Créée il y a sept ans, la startup Alan a effectué plusieurs levées de fonds d’un montant de total d’environ 440 millions d’euros pour devenir l’une des 27 licornes françaises et s’imposer comme acteur de référence en matière d’assurance santé, de prévoyance et de prévention auprès des entreprises et des indépendants.
"Nous avions plusieurs défis à relever : attirer les meilleurs talents, concevoir une plateforme technologique aboutie, créer une offre réellement différenciante en santé ou disposer des fonds nécessaires pour obtenir un agrément de la part de l’autorité de contrôle du secteur de l’assurance, ce qui n’était pas arrivé depuis plus de 30 ans", explique Fabrice Staad, General Manager France d’Alan. "Ces besoins d’investissements importants ont justifié notre modèle de croissance, et nous ont permis d’acquérir rapidement des parts de marché sur les différents segments que nous avions identifiés", complète t-il. Pari réussi pour la licorne, qui compte désormais plus de 550 collaborateurs et accompagne 400.000 membres.
Toutefois, ce modèle ne s’applique pas à toutes les startups. "C’est un modèle indispensable pour les entreprises qui font beaucoup de R&D ou qui sont dans une logique de conquête de marché très agressive. Mais il ne s’agit pas d’une étape obligatoire", explique Vincent Chevalier-Levy, CEO & fondateur d’Impulse Analytics, une agence data-driven spécialisée dans le pilotage de campagnes de marketing digital. L’entrepreneur, qui n’a jamais levé de fonds pour faire croître son entreprise, compte aujourd’hui une vingtaine de collaborateurs. "Il n’existe pas de modèle de croissance unique, applicable à tous les projets. C’est la nature de ce projet et ses besoins en investissement qui déterminent le modèle à adopter. L’entrepreneur peut décider librement d’une accélération, qui nécessite des investissements supplémentaires, ou d’une consolidation avec une croissance plus maîtrisée", ajoute Fabrice Staad (Alan).
Se tromper de modèle de croissance est un facteur de risque. "Ces dernières années, on a pu observer plusieurs exemples d’entreprises qui ont levé des fonds sans avoir trouvé le product market fit : investir dans un produit qui ne répond pas réellement aux besoins du marché est un vrai risque pour une startup", révèle Vincent Chevalier-Levy (Impulse Analytics). "Quand on lève des fonds, il est important d’avoir toujours un plan B pour ne pas se retrouver au pied du mur faute de financements", complète Fabrice Staad. (Alan)
Vers un retour en force de la croissance maîtrisée ?
Pour Vincent Chevalier-Levy, la croissance saine, maîtrisée, visant la rentabilité est un modèle qui a longtemps manqué de visibilité : "Le fait de lever des fonds est souvent bien perçu, apporte de la visibilité, rassure et est même parfois perçu comme un gage de performance. À l’inverse, on suppose souvent qu’une entreprise qui n’a pas levé de fonds n’y est pas parvenue, alors que cela peut être un choix", explique-t-il.
Ce choix, le fondateur d’Impulse Analytics l’a toujours assumé. "Pour nous, l’idée de ce modèle est d’embaucher et de former des consultants au fur et à mesure, lorsque l’entreprise décroche de nouveaux contrats. L’objectif est de transformer chaque consultant en expert dans un délai de 6 mois après son embauche. Ce processus de montée en compétences serait difficile à mettre en œuvre en cas d’embauche massive", affirme l’entrepreneur.
Ce modèle est également porté par Alan, qui a récemment annoncé ne plus vouloir lever de fonds et viser la profitabilité. "L’autonomie, l’autosuffisance, la rentabilité et la pérennité ont toujours fait partie des objectifs d’Alan. Nous avions besoin d’investissements conséquents pour créer une expérience différenciante et acquérir rapidement des parts de marché. Aujourd’hui, notre ambition est d’atteindre l’autosuffisance et la rentabilité en 2025 : nous sommes en situation de ne plus avoir à lever de fonds pour parvenir à cet objectif", révèle Fabrice Staad.
Pour Vincent Chevalier-Levy, le choix de la croissance maîtrisée provient aussi de motivations plus personnelles : "L’idée d’aller le plus loin possible par soi-même est extrêmement motivante à mes yeux : c’est aussi un beau challenge de créer une entreprise en partant de zéro ! Le fait d’être autofinancé apporte de la confiance, de la sérénité, de la liberté. Cela apporte aussi une rigueur dans le contrôle des coûts, dans la gestion de l'entreprise", raconte-t-il.
Alors que beaucoup de startups et de scale-ups peinent désormais à lever des fonds dans une conjoncture qui ne leur est pas favorable, un pivot stratégique sera nécessaire pour la pérennité de certaines d’entre elles. Longtemps boudé, le modèle de croissance maîtrisée du développement raisonné et de la rentabilité rencontre ainsi un regain de popularité auprès des entreprises.