C’était l’une des grandes tendances soulevées par la sixième édition du baromètre des legaltechs, réalisé en décembre dernier par la Banque des Territoires, Maddyness et Lamy Liaison. Les américains lorgnent sur la legaltech française. " Le droit français influe d’autres pays. C’est en cela que la Legaltech française est un laboratoire. Si des opérations doivent se faire en Europe avec des fonds étrangers elles se feront en France ", prédisait Doctrine dans ce baromètre.
La validation du modèle de plateforme d’intelligence juridique
Après plusieurs mois de discussion avec différents fonds d’investissement, c’est donc officiel. Le fonds américain Summit Partners, qui a déjà notamment investit chez Veepee et Sézane en France et Uber aux Etats-Unis, a remporté la mise. Ce spécialiste américain du growth equity, qui a plus de 40 milliards de dollars d’actifs sous gestion, devient majoritaire au capital de Doctrine. Plus précisément, Summit Partners a utilisé son dernier fonds d’investissement européen, créé en 2020, pour réaliser cette opération. " Nous cherchions avant tout un partenaire, c’est l’équipe qui nous a séduit. C’est un fonds européen, il n’y a aucune conséquence sur la confidentialité des données de nos clients ", insiste le CEO Guillaume Carrère, avant de préciser que Peugeot Investissement, le family office de la famille Peugeot, entre aussi au capital de manière minoritaire. La legaltech française resterait donc un peu française. " Le signal envoyé est fort. La catégorie des plateformes d’intelligence juridique dont nous sommes leader devient un standard d’accès à l’information qui intéressent les investisseurs étrangers ", se réjouit le CEO.
Rentable, la startup affiche une croissance frontale depuis les 10 millions d’euros levés en juin 2018 auprès de Kima Partners et Frst et les 2 millions à l’automne 2016 quelques mois après sa création. Ces deux fonds ont, d’ailleurs, annoncé leurs sorties du capital à l’occasion de l’arrivée majoritaire de Summit Partners. La nouvelle répartition exacte du capital reste à la discrétion des parties prenantes. Néanmoins, 88 salariés sur les 110 que compte Doctrine, ont aussi pu y prendre part.
Montant du rachat ? 120 millions d’euros, soit la plus grosse opération dans le monde des legaltechs françaises. La valorisation de cette startup du droit encore largement inconnue du grand public montre à quel point le big data et l’intelligence artificielle ne sont plus tabous dans les prétoires.
La marche de l’internationalisation
Malgré les batailles judiciaires engagées par le barreau de Paris, le Conseil national des barreaux et des éditeurs juridiques, la justice prédictive devient doucement une réalité. Suffisamment en tout cas pour que les anglo-saxons mise sur l’un des fleurons tricolores de la legaltech. " Nous voyons en Doctrine un pionnier de l’innovation technologique dans le domaine du droit ", expliquent, dans un communiqué, Johannes Grefe, managing director, et Chris Bon, principal chez Summit Partners, qui rejoignent le board de Doctrine.
Rappelons qu’en 2020, Dalloz, Lexbase, LexisNexis, Lextenso et Wolters Kluwer France (devenu Lamy Liaison), l’ont assigné devant le tribunal de commerce pour concurrence déloyale, publicité trompeuse et parasitisme. Déboutés en première instance par une décision rendue le 23 février dernier, ces éditeurs juridiques historiques ont annoncé faire appel, le 5 avril. La legaltech revendique de son côté, ne pas avoir été encore notifiée de cet appel et qu’aucune procédure judiciaire ne serait en cours contre elle à ce jour.
L’horizon serait-il en train de s’éclaircir ? Son dirigeant, Guillaume Carrère, a bien l’intention, grâce à ce rachat, de donner un nouveau souffle plus européen et international. Après avoir ajouté les travaux parlementaires, les conventions fiscales internationales, le prochain objectif de la legaltech est de proposer le droit européen sur la plateforme. L’internationalisation est encore loin, Doctrine ne compte à ce jour que des clients français, principalement des professionnels du droit, comme la grande majorité des legaltechs.