Lorsqu’Adil Bouhdadi propose à Harry Cheslaw de postuler chez l’accélérateur Y Combinator pour Autone, leur startup qui aide les commerces de détail dans leurs prises de décisions, ce dernier le suit avec enthousiasme… mais sans vraiment y croire. S’il y a bien un incubateur difficile à intégrer, c’est celui-ci. Y Combinator affiche un taux de sélectivité de 1 % : "Pire que Harvard", plaisante Adil Bouhdadi.
Pourtant, quelques mois plus tard, la réponse tombe. Et elle est positive : Autone rejoint les rangs du fameux incubateur américain, réputé pour l’accompagnement de startups early-stage.
Mais alors, comment se passe la sélection ? Quels sont les critères qui font la différence ? Faut-il vraiment postuler lorsqu’on est une startup française ? Quels bénéfices pourra-t-on en tirer ? Les cofondateurs d’Autone, et Bitstack, deux jeunes pousses ayant intégré la promotion 2022, nous racontent leur parcours.
Une sélection par étapes
Pour Autone comme pour Bitstack, une startup qui propose d’investir de façon simplifiée dans le bitcoin via une application mobile, le processus a été le même. Tout commence par un banal questionnaire écrit.
A l’intérieur, des questions : "sur l’entreprise, ses cofondateurs, leur rencontre, leurs idées, de premiers chiffres". "Et deux vidéos : une première facultative qui est une démo produit, pour les startups qui en ont déjà une, et une très courte, d’une minute environ, sur les fondateurs de la boîte", se souvient Alexandre Roubaud, cofondateur de Bitstack. Grâce à ce questionnaire, Y Combinator présélectionne 10 % des startups ayant postulé. Vient alors la deuxième étape : un entretien chronométré de seulement 10 minutes, face à trois ou quatre mentors de l’accélérateur - effectué sur Zoom pour nos deux startups, en raison de la pandémie.
Comment faire la différence
Adil Bouhdadi se souvient d’un exercice "assez impressionnant", "très brut, mais néanmoins très intéressant". Il raconte avoir été d’office séduit par l’adrénaline qu’il ressentait alors, petit aperçu, dit-il, de celle qu’il ressentirait ensuite constamment pendant les trois mois de l’accompagnement par Y Combinator.
Alexandre Roubaud quant à lui, garde l’image d’un processus "très rodé et standardisé", durant lequel lui et son confrère, Kabir Sethi, doivent faire face à un flot interrompu de questions. "On a dû nous en poser entre 30 et 40, raconte-t-il. La règle, c’est d’être extrêmement concis, de ne pas tourner autour du pot". "Pour réussir, ajoute l’entrepreneur français, il faut montrer qu’on connaît bien son business : son produit, son marché, ses clients, ses chiffres.".
Il admet avoir été gentiment malmené par ses interrogateurs… "On s’est fait bien challengés, dit-il, sourire en coin. L’un des “partenaires” nous a dit que notre idée n’était pas bonne, qu’ils étaient surpris que l’on conseille aux gens d’investir dans le bitcoin et qu’ils allaient tous perdre leur argent.". Les deux cofondateurs de Bitstack ne se laissent heureusement pas déstabiliser. Plus tard, on leur expliquera que cette ténacité, couplée à la solidité de leur projet - les démarches réglementaires auprès des autorités financières en amont ayant rassuré YC -, ont été déterminantes.
"Pour Autone, indique Adil Bouhdadi, ils étaient très intéressés par notre parcours : c’est un accélérateur très founders-first. Si votre projet n’est pas très développé mais que vous savez montrer que vous avez la fibre entrepreneuriale, ça peut faire la différence.". "Ce qui a aussi joué je pense, ajoute-t-il, c’est que nous avions travaillé avant au sein d’entreprises qui connaissaient des problèmes dans l’inventory management. C’était concret, on l’avait expérimenté, notre produit répondait à un vrai besoin.".
L’atout phare de Y Combinator : le réseau
Une fois l’entretien passé, une réponse arrive sous 24 heures. Puis viennent trois mois d’accompagnement, durant lesquels les startups bénéficient de 500.000 dollars d’apport, depuis un récent changement de Y Combinator qui a voulu augmenter le niveau de financement en réaction au manque de liquidités sur les marchés, pour faire “sortir du lot” ses petits protégés.
Bitstack, qui avait déjà levé un million d’euros juste avant son intégration chez Y Combinator, a profité de ce laps de temps pour développer son application, passant de la version bêta à une version finalisée. Alexandre Roubaud explique que le terme d’accélérateur prend ici tout son sens.
En faisant partie des 300 candidats retenus sur les 300.000 ayant postulé pour leur promotion - on parle chez YC de “batch” -, lui et ses collègues ont pu obtenir une importante visibilité dans tout leur écosystème. "Investisseurs, clients, partenaires, c’est un peu comme avoir rejoint une université élitiste, détaille-t-il. On bénéficie d’une grande communauté, des accès à des startups et leurs fondateurs, avec lesquels on peut échanger des idées, s’entraider, parler de nos réussites et nos échecs. On est accompagnés par de grands noms de la tech qui ont une intuition et des conseils incroyables.". Il note qu’il existe une réelle communauté en France, qui se regroupe régulièrement à Paris pour se rencontrer.
De ces quelques mois, Adil Bouhdadi, dont l’entreprise est basée à Londres, Paris et Milan, retient également la puissance du réseau Y Combinator, y compris en Europe. Pour lui, l’atout principal vient de ces opportunités d’échanges, lors de conférences le soir, sur Slack ou lors de séminaires. “Quand on entre chez YC, précise-t-il, on y reste à vie. On bénéficiera toujours de cette communauté d’experts, et comme dirait une certaine publicité… ça, ça n’a pas de prix”.
Son seul conseil ? Se lancer sans trop réfléchir. "En trois mois, on a appris à vraiment être de meilleurs founders. On nous a appris à foncer, à abandonner l’idée de la perfection, à essayer, quitte à parfois se manquer.". "Beaucoup de gens pensent que c’est impossible d’y entrer, conclut Adil Bouhdadi. Ils ne se jettent pas à l’eau, de peur de ne pas être acceptés. Mais nous, c’était notre première startup, et notre première candidature. Ça vaut le coup d’essayer.".