Le 17 avril 2019, Diariata N’Diaye recevait le prix coup de coeur des Margaret, qui récompense des femmes entrepreneurs en Europe et en Afrique. Une distinction de plus pour cette nantaise, engagée sur la question des violences sexistes et sexuelles, qui a créé l’application App’Elles, permettant aux victimes de prévenir des proches en cas d’agression. Une thématique inabordée jusque-là dans le monde de l’entrepreneuriat : " En général, lorsqu’on entreprend, c’est pour modifier quelque chose qui nous dérange. Et les femmes ne sont pas forcément sensibles aux mêmes thématiques que les hommes ", estime l’ancienne lauréate du prix Les Margaret, organisé par la Journée de la femme digitale (JFD).
Cet accélérateur de croissance féminin dresse d’ailleurs le même constat dans son étude publiée le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. La JFD s’est en effet intéressée à la place des femmes dans la création de startups à impact et a révélé qu’elles étaient à la tête de 27 % de ces entreprises, tout en mettant en lumière les thématiques abordées. " Les entrepreneuses sont particulièrement présentes dans les domaines de l’économie circulaire ou de la consommation mais également dans le secteur social, l’environnement, l’éducation et l’inclusion ", énumère Delphine Remy-Boutang, fondatrice de la JFD. Sur les 15 % de startups de l’échantillon ayant un impact social, 42 % sont portées par des femmes, par exemple.
" Toutes ces difficultés permettent de s’endurcir "
Diariata N’Diaye a notamment lancé son application en 2015, pour faire de la prévention auprès des 15 – 24 ans et mettre un outil à disposition des victimes. A l’origine, l’entrepreneuse était une artiste. " Au départ, j’écrivais des chansons. Je me suis engagée sur la question des violences sexistes et sexuelles dans un premier spectacle, il y a 20 ans. Puis j’ai travaillé dans les associations d’aide aux victimes ", raconte la fondatrice d’App’Elles. À l’époque, le mouvement Me Too n’a pas encore éclaté. " Ça n’a pas été simple de faire comprendre qu’il y avait un problème, ni de convaincre les gens de la tech. Surtout quand on est une femme noire, que l’on n’a pas fait d’école de commerce et que l’on n’a pas de réseau ", souligne l’entrepreneuse nantaise.
Mais c’est à force de détermination que la dirigeante s’est imposée. " Cela demande deux fois plus d’énergie quand on est une femme, insiste-t-elle. On y va parce qu’on est portée par le projet mais on n’a pas l’impression d’être à sa place. ". Pour Julie Davico-Pahin, la cofondatrice d’Ombrea - qui met au point des solutions pour protéger les cultures des aléas climatiques - " toutes ces difficultés au démarrage permettent de s’endurcir et d’avoir une force supplémentaire pour encaisser les obstacles. ". Cette ancienne journaliste a quitté son emploi à 24 ans pour cofonder une startup dans l’agrivoltaïsme avec son père, à une époque où le secteur émergeait à peine. " C’était un grand saut dans le vide mais j’avais envie de passer à l’action. " .
" Il ne faut jamais s’autocensurer "
Selon Elena Poincet, la fondatrice de Tehtris - qui met au point une solution de cybersécurité - " il ne faut jamais s’autocensurer, il faut croire en ses ambitions. ". La dirigeante a travaillé pendant quatorze ans dans l'Armée de terre, notamment auprès des troupes d'élite de la DGSE, avant de créer Tehtris, en 2010, avec Laurent Oudot. Sa société, qui a réalisé deux levées de fonds, de 20 et 44 millions d’euros, emploie aujourd’hui 260 salariés et se déploie à l’international. " J’ai toujours travaillé dans un milieu d’hommes, donc je sais qu’il faut s’imposer tout le temps. Pour moi, le sexe n’a pas d’importance, je me demande juste si la personne est compétente. ".
Mais, si la dirigeante n’a jamais ressenti le syndrome de l’imposteur, elle le perçoit chez les femmes, y compris de la jeune génération. " Elles ont tendance à se mettre des barrières, à trop écouter les autres. J’ai rencontré des lycéennes récemment. L’une d’elle était passionnée de Formule 1. Son rêve était de travailler dans ce domaine mais elle s’apprêtait à s’inscrire dans un parcours très classique pour “sécuriser son avenir”. On se rend compte que l’éducation laisse finalement assez peu de place à l’ambition ", estime la dirigeante, lauréate du prix des Margaret en 2022.
" Si le marché est là, les investisseurs n’hésitent pas "
Quant à l’accès au financement, Elena Poincet estime que ce n’est plus un frein. " On dit souvent que les investisseurs investissent moins dans les projets féminins. Personnellement, je ne le ressens pas. Si le marché est là, ils n’hésitent pas ", indique la dirigeante. Selon Delphine Remy-Boutang, toutefois, " 98 % des investissements sont toujours dirigés vers les hommes. ". Julie Davico-Pahin, la dirigeante d’Ombrea, estime, de son côté que " les femmes peuvent aussi avoir tendance à être très prudentes, à demander moins. Elles ont le syndrome de la bonne élève, alors qu’il faut être audacieuse. ". L’ancienne journaliste a malgré tout connu de grandes difficultés pour financer son projet. " Au départ, nous sommes partis avec 3.000 euros. Lors de la première levée de fonds, il a fallu convaincre une assemblée de 70 business angels. Uniquement des hommes, qui commentaient ma tenue et me disaient que je prenais trop de place. Mais une fois passée cette première étape, les choses se sont simplifiées ", assure-t-elle.
Diariata N’Diaye est, quant à elle, passé par du mécénat de compétences et a participé à de nombreux concours comme le CES de Las Vegas pour gagner en visibilité. " Finalement, je suis restée sur un modèle associatif et j’ai fait appel à des financements public et privé, via le Secrétariat d’Etat à l’égalité ou le Ministère de la justice. ". Et aujourd’hui, App’Elles compte 100.000 utilisateurs, l’application est présente dans 13 pays et vient d’ouvrir un bureau à New-York.