Les nouveaux projets dans le Web3 foisonnent en France et en Europe. Et la chute des cours des cryptomonnaies l’an passé n’a pas réussi à entamer l’enthousiasme de nombreux entrepreneurs. Le Web3 représente un nouvel univers, avec ses codes et ses spécificités, qui fonctionne essentiellement de manière décentralisée, via l’émission de jetons numériques (“tokens” an anglais) sur la technologie de la blockchain. "Investir dans le secteur crypto demande toute l’expertise nécessaire dans le capital-risque traditionnel, mais aussi une expertise sectorielle approfondie", estime Travis Scher, cofondateur de North Island Ventures.
Lui et d’autres professionnels du secteur ont dévoilé leur vision du Web3 à l’occasion de la Paris Blockchain Week. Et tous s’accordent sur un point : ce nouvel Internet décentralisé modifie leur façon de travailler. “Si vous appliquez le business model du Web2 aux protocoles informatiques et tokens du Web3, vous allez aller dans le mur”, assure Vanessa Grellet, managing partner chez Algae Ventures.
L’une des grosses différences a trait à la gouvernance. "Dans le Web2, un bon capital-risqueur est un conseiller stratégique, quelqu’un d’affable et solidaire de la direction de l’entreprise. Dans le cadre d’une startup du Web3, vous votez, vous gérez l'infrastructure du projet, vous passez en quelque sorte de conseiller à partenaire", explique Samantha Bohbot, chief growth officer au sein du fonds RockawayX.
Un pouvoir d’action et de décision via les tokens
Cette différence est notamment liée au mode de fonctionnement des tokens par rapport aux actions. "Dans le domaine de la DeFi (finance décentralisée, ndlr), vous pouvez directement interagir, prendre position et voter grâce aux tokens que vous avez achetés. C’est un pouvoir immédiat que vous procure votre investissement", souligne Julien Bouteloup, fondateur de Stake Capital Group. C’est donc une évolution importante dans la façon de concevoir son investissement. "Vous n’êtes plus juste dans l’attente de la fin programmée de votre investissement, dans sept ou 12 ans par exemple", ajoute-t-il.
Les tokens confèrent une liquidité immédiate, avec souvent des droits de vote associés et la possibilité de les revendre quand bon vous semble, ou presque. "Fréquemment, des projets lancent des tokens et il n’y a pas suffisamment de liquidité sur le marché pour les revendre ensuite. Pour éviter de nous retrouver bloqués avec ces actifs, nous signons de plus en plus de partenariats uniquement en equity (participation en actions, ndlr)", confie Julien Bouteloup.
Les fonds de capital-risque doivent rester vigilants dans le Web3. "En tant que capital-risqueur, si vous ne négociez pas de solides droits dans la gouvernance ou au sein de la direction de l’entreprise, vous n’êtes rien", rappelle Vanessa Grellet.
La décentralisation a ses limites
Ces dernières années, de multiples DAO (organisations autonomes décentralisées) ont émergé pour mener des projets, offrant la possibilité à une multitude d’acteurs et de personnes de participer à la prise de décision. Un mode de fonctionnement qui apporte une certaine transparence, même si celle-ci est parfois imparfaite. "Nous vérifions comment s’opère la décentralisation, le nombre de validateurs (appareils validant les transactions et les votes sur la blockchain, ndlr) et de quelles entités ils dépendent", détaille Vanessa Grellet. "Il peut y avoir de la collusion, mais globalement, plus un projet est décentralisé, plus il apporte de sécurité et de garanties", considère-t-elle.
Reste que la décentralisation a ses limites. Et lancer rapidement un token ne permet pas toujours à la startup de créer de la valeur. "Au démarrage, je ne conseille aucune décentralisation. Vous avez besoin d’une équipe soudée, qui travaille en étroite collaboration", tranche Travis Scher. "Une organisation entièrement décentralisée est chaotique", abonde Julien Bouteloup. "Vous avez des personnes habitant dans diverses zones géographiques, qui ne sont pas toujours devant leur ordinateur pour prendre rapidement des décisions. Certaines vont vouloir des résultats à court terme, d’autres seront plus attachées au long terme."
Le patron de Stake Capital Group constate d’ailleurs une réorganisation de divers projets qui s’étaient initialement lancés de façon décentralisée, notamment en levant des fonds en cryptomonnaies via des ICO (Initial Coin Offering). "Des projets se restructurent sous la forme d’un laboratoire ou d’une entité détenant la propriété intellectuelle et qui agit comme une société de conseil ou un fournisseur de services pour un protocole." Un mode d’organisation moins décentralisé pour gagner en efficacité et mieux créer de la valeur.