Crédit Suisse qui vacille en Europe. La Silicon Valley Bank (SVB), mais aussi Silvergate et Signature Bank, proches du secteur crypto, en faillite aux Etats-Unis. Le secteur bancaire est à la peine et laisse poindre le risque d’une nouvelle crise financière. Pascal Gauthier revient pour Maddyness sur ces événements et leurs conséquences sur l’activité de Ledger, dont il est le PDG.
Fondée en 2014 à Paris, la licorne tricolore est devenue un leader mondial des portefeuilles physiques dédiés à la sécurisation des crypto-actifs. Elle revendique déjà plus de 6 millions d’appareils vendus dans pas moins de 190 pays. Ledger propose ses services dans 10 langues différentes et assure compter une centaine de marques et institutions financières parmi ses clients. Mais son cœur de cible reste le grand public, comme l’explique son patron.
Que pensez-vous des récentes faillites bancaires, des deux côtés de l’Atlantique ?
Le livre blanc de Satoshi Nakamoto (l’inventeur du bitcoin, ndlr) est sorti en 2008, juste après la faillite de Lehman Brothers, qui avait environ 600 milliards de dollars d’actifs. Là, avec SVB, ce sont 200 milliards. Fin 2022, la plateforme d’échange crypto FTX s’est aussi effondrée. La raison pour laquelle le bitcoin a été créé est que personne ne peut faire confiance à une autorité centrale. Aucun acteur n’est trop gros pour tomber. Notre système financier a des failles.
Sans écarter totalement les banques, il est donc impératif de recourir à la diversification et d’avoir une protection contre l’économie centralisée avec des avoirs dans l’économie décentralisée (reposant sur la blockchain et la cryptomonnaie, ndlr).
Où Ledger a-t-il ses avoirs, dans quelle(s) banque(s)?
Nous ne faisons confiance à personne. C’est une question de gestion des risques, la diversification est pour nous une stratégie. Nous avons donc plusieurs banques partenaires, dont la Caisse d’Epargne. Et environ 30% de notre trésorerie est en crypto, notamment en bitcoin, en ether et en stablecoins. Nous gérons cette part nous-mêmes, dans le cadre de notre solution “Ledger Entreprise”.
Quels rapports entretenez-vous aujourd’hui avec le secteur bancaire, très frileux à l’égard des acteurs cryptos?
Nous n’éprouvons aucune difficulté avec les banques. Elles expriment souvent des réticences vis-à-vis des sociétés de trading crypto, mais elles nous considèrent aujourd’hui comme une vraie entreprise technologique. Nous avons toujours beaucoup investi dans nos équipes financière et juridique, ce qui nous permet d’être audité, à la pointe de la régulation et rassurants pour nos partenaires.
Chacun doit prendre sa part de responsabilité, et pas seulement les banques, qui évoluent dans un carcan réglementaire. Un acteur doit accepter de devoir se présenter à elles comme plus propre que propre pour ouvrir un compte, d’autant plus que beaucoup de projets cryptos sont très risqués.
Ledger ne semble pas avoir été affecté par la chute des cours cryptos l’an dernier. À combien s’est élevé votre chiffre d’affaires?
Nous avons engrangé en 2022, annus horribilis sur les marchés, les mêmes revenus qu’en 2021, qui a été une année record pour nous dans un contexte de forte hausse des cours. Les mauvaises nouvelles, l’an passé, ont renforcé le message “not your keys, not your coins” (pas votre portefeuille personnel, pas vos cryptos, ndlr). Ledger, c’est le sens de l’histoire. Les cryptomonnaies ont été conçues pour posséder soi-même ses avoirs, il n’y a aucun intérêt - en dehors de la spéculation - à laisser son argent sur des plateformes d’échange jeunes et peu régulées.
Récemment, nous avons encore fait des journées records avec le “bank run” aux Etats-Unis. Certains préfèrent sortir leur argent de la banque, acheter avec des cryptos et les mettre en sécurité sur un portefeuille Ledger.
Vous avez lancé en décembre un portefeuille crypto doté d'un écran tactile, le Ledger Stax. Séduit-il les consommateurs?
Ledger Stax connaît le meilleur lancement de tous nos produits, en dépit de son prix plus élevé, avec des retours très positifs. Nous avons d'ailleurs dû suspendre les pré-commandes pour pouvoir assurer les livraisons.
Quels peuvent être les freins à l’essor de Ledger dans les prochaines années?
Je vois plus des opportunités que des freins. Encore peu de gens sont dans la crypto et très peu détiennent leur clé privée (portefeuille numérique personnel, ndlr). Le futur est à une accélération exponentielle de notre activité. Nous adoptons la même approche qu’Apple, en valorisant le produit d’abord et la technologie ensuite, pour être accessibles au plus grand nombre et démocratiser la crypto.
Le plus grand danger pour Ledger, comme pour toute entreprise, c’est nous-mêmes. C’est le défaut d’exécution. Dans un marché pas facile, il faut savoir agir au bon moment.
Comment voyez-vous votre entreprise dans 10 ans?
Notre ambition est de remplacer le portefeuille que vous avez dans votre poche. Toutes les données qu’il contient, liées à l’identité, la santé, l’argent… vont être dématérialisées et transférées sur la blockchain. Et je pense qu’elles ne seront pas accessibles via le téléphone parce qu’il n’est pas assez sécurisé, mais via un appareil spécifiquement conçu. Dans 10 ans, Ledger sera définitivement une marque mondiale, un fabricant de hardware mais aussi un concepteur de système d’exploitation. Nous serons l’équivalent d’Apple avec iOS et Samsung avec Android, mais pour les portefeuilles numériques.
Quel regard portez-vous globalement sur l’écosystème crypto français?
Il est vivant, avec deux licornes, Ledger et Sorare, ainsi que d’autres acteurs dominants leur domaine, comme Kaiko dans la data. Nous sommes bons en cryptographie, dans le hardware, en mathématiques, en finance. Il y a un terreau de talents en France. Mais bizarrement, le pays et l’Europe plus globalement loupent le coche du trading : nous n’avons pas de très grosses plateformes d'échange crypto, ni un grand stablecoin européen. Est-ce parce que la régulation a été trop forte et empêché l’émergence de ce type d’acteurs? Il y aurait la place en Europe pour une vraie grande place de marché.