Si plusieurs expérimentations démontrent des effets très positifs sur le bien-être et la productivité, ces retours laudatifs ne doivent pas éluder la complexité et les risques inhérents à toute transformation organisationnelle.
Semaine de 4 jours : une mesure protéiforme
En 2023, alors que 27 % des collaborateurs seraient prêts à accepter une baisse de leur rémunération en contrepartie de la flexibilité de leurs horaires de travail, la semaine de 4 jours fait son grand retour. Le modèle revêt plusieurs formats : travailler 4 jours au lieu de 5 sans perte de salaire. C’est l’option choisie par Stéphane Couleaud, président de Webmecanik, éditeur de logiciel de vente : " Après une enquête interne mettant en exergue l’envie des salariés de disposer de plus de temps, en septembre 2020, nous avons testé la semaine de 4,5 jours, avec le vendredi après-midi non travaillé ".
Chez Ignition Program, c’est en expérimentation au sein de leur lab RH interne, avec une approche “à la carte”. " L’objectif est de répondre aux souhaits exprimés par certains salariés d’améliorer leur équilibre de vie ainsi que de développer des compétences hors de l’entreprise ", explique Nicolas Lepercq, Docteur en Management Université PSL-Dauphine et responsable R&D du cabinet RH. Dans cette optique, le format choisi peut aussi être une réduction du temps de travail hebdomadaire, avec un passage à 32 heures sur 4 jours. Une architecture du temps plutôt alléchante… Mais qu’implique une telle réorganisation au niveau des métiers ? Quels sont les points de vigilance ?
Risque d’inégalités entre les différents métiers, services ou individus
Tous les postes ne sont pas égaux quant à la faisabilité d’une telle réorganisation : " Les métiers de bureau sont davantage éligibles, alors qu’en usine, les processus de production exigent de repenser toute l’organisation. Au niveau de l’entreprise, il faut veiller à limiter les inégalités ", alerte Jean-Marc Morawski, fondateur de Baryon, cabinet de conseil RH. Cette taxonomie des postes peut être encore affinée : " Les fonctions dites en flux (commerciaux, fonctions support ou services clients) doivent maintenir une qualité de service en 5 jours, qui est le modèle dominant. Les jobs en mode projet disposent, eux, d’une plus grande autonomie dans leur gestion du temps. L’ampleur du changement ne sera pas la même ", explique Nicolas Lepercq. Au sein de Webmecanik, Stéphane Couleaud a doublé un poste au support technique afin d’assurer une rotation sur 5 jours.
Attention à la surchauffe
Charles de Fréminville, DRH de Lucca, startup à l’avant-garde des innovations RH, s’interroge sur les risques psychosociaux induits par un rythme de travail anarchique : " Condenser 35h sur 4 jours n’équivaut pas à réduire le temps de travail de 20%. Puis, l'équilibre vie est-il vraiment optimal lorsqu'un collaborateur travaille 10 heures par jour sur 4 jours ? ". Jean-Marc Morawski corrobore : " La semaine de 4 jours n’implique pas une diminution de 20 % des objectifs. Différentes études montrent d’ailleurs qu’entre 20 et 25 % des personnes ressentent une pression supplémentaire. ".
Délitement accéléré du lien social
Différents retours d’expérience mettent en évidence que la semaine de 4 jours aboutit à plus de productivité : " Elles s’appuient sur la loi de Parkinson : si un salarié a une semaine pour réaliser une mission, il prendra ce temps. Mais s’il dispose de moins, il y a des chances que le travail soit fait plus rapidement ", explique Nicolas Lepercq. Or, ces gains de productivité sont souvent imputés sur les temps sociaux. " Après quelques mois de test, les collaborateurs ont fait part d’une réduction du lien social car nous cumulons la possibilité de télétravailler, ce qui limite nos rencontres physiques ", explique Stéphane Couleaud. Les salariés ont donc proposé de “sanctuariser” des temps collectifs : " Aujourd’hui, nous nous réunissons une journée par semaine. Chaque équipe fait de même de son côté ".
Incompatibilité culturelle ou managériale sous le radar
Jeanne Deplus, créatrice et animatrice du podcast TAF, a mis en exergue 15 grands apprentissages intéressants sur la semaine de 4 jours : pour réussir à pivoter, la culture d’entreprise doit privilégier " l’efficacité opérationnelle au présentéisme ". Ceci repose sur une culture du résultat (et non du temps passé) et un modèle managérial fondé sur la confiance. MV Group, groupe de conseil en stratégie digitale, a lancé la semaine des 4 jours depuis 2022, l’un des prérequis a été la prise en compte de cet axe culturel : " Nous avons mis en place une flexibilité à la carte pour les salariés : RTT, horaires, remote… En amont, nous nous sommes assurés que les collaborateurs et notre organisation étaient efficaces : outils de communication, usages, réunions efficaces, culture du droit à l'erreur… ", souligne Olivier Méril, président du groupe. L’adhésion des managers est aussi un levier de transformation indispensable selon Nicolas Lepercq : " Il faut que les managers soient alignés avec cette prise de décision. La clé ? Les accompagner dans la co-construction de modes de fonctionnement adéquats avec leur équipe. ".
Envie de vous lancer ? Trois leçons à retenir :
Tester au bon moment : " Il faut choisir une période faste pour ne pas mettre en risque une organisation en difficulté ", explique Nicolas Lepercq.
Imaginer un dispositif cyclique ou temporaire : " On peut imaginer que la semaine de 4 jours fonctionne sur certaines périodes de l’année (périodes de vacances, fêtes de fin d’année). Ou alors, en faire un système de crédit : pour ceux qui ne peuvent pas l’utiliser toutes les semaines, il serait possible de l’annualiser ", explique Jean-Marc Morawski.
Mesurer et piloter: " Il faut mesurer avant, pendant et après si la satisfaction a réellement progressé et prendre en compte tous les effets externes négatifs générés sur l’organisation et les parties prenantes ", conclut Nicolas Lepercq.