Quelle est la vocation de l’association Femmes@numerique dont vous êtes la présidente?
Lancée en 2021 (après la Fondation Femmes@numerique qui a vu le jour en 2018), son objectif premier est de faire du sujet de la mixité dans le numérique, et donc de la féminisation de ce secteur aujourd’hui essentiellement masculin, une grande cause nationale assortie de la volonté d’agir avec tous les acteurs de l’écosystème du numérique dont les pouvoirs publics sans lesquels on ne financera pas et on ne portera pas à l’échelle nationale les solutions à ce problème.
Quelle est la part des femmes à ce jour dans le numérique?
Les femmes ne représentent que 26,9% des effectifs dans les métiers du numérique et moins de 16% des fonctions techniques qui sont pourtant aujourd’hui au cœur de la stratégie des organisations. Le secteur qui table sur 230 000 postes à pourvoir en France d’ici 2025 est confronté à une pénurie de talents et à l’absence de femmes. Pourquoi se priver de 50% de nos talents? La place des femmes dans les filières de formation aux métiers techniques du numérique est un sujet de préoccupation majeur sur lequel les acteurs de l’écosystème sonnent l’alarme depuis plusieurs années.
Vous venez de présenter les Premières Assises Nationales sur la féminisation du numérique : pourquoi ?
L’association Femmes@numerique a organisé ces Assises (et il y en aura une chaque année) car il y urgence à se mobiliser. La féminisation du secteur est une problématique multifactorielle ne pouvant se résoudre que par un collectif d’acteurs, d’où la nécessité de réunir l’ensemble des forces vives engagées dans ce processus et un panel représentatif de l’ensemble de l’écosystème. Ces Assises ont réuni plus de 360 personnes (entreprises privées, collectifs d’associations, acteurs de l’éducation, de la formation et de reconversion) dont Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la transition numérique et Isabelle Rome, Ministre déléguée chargée de l’Egalité.
Il était de notre responsabilité de le faire, à travers notamment notre rôle de contributeur aux réflexions prospectives et aux affaires publiques afin d’assurer la continuité et la cohérence des actions à toutes les étapes de la vie scolaire et professionnelle des femmes.
Quels sont les principaux enjeux de féminiser les métiers du numérique?
La féminisation des métiers du numérique constitue un triple enjeu : économique, social et sociétal. Le numérique est un secteur en plein essor et s’il y a un déficit de ressources humaines et de compétences, non seulement les entreprises se retrouveront freinées dans leur développement mais le Plan France 2030 ne pourra pas se réaliser pleinement. Investir dans la féminisation des métiers du numérique est un enjeu vital pour la compétitivité de la France.
D’autre part, la sous-représentation féminine empêche un traitement équilibré du numérique : s’il n’y a que des hommes derrière le développement des solutions numériques, forcément, des biais vont s’introduire (comme on le voit de façon criante dans la programmation des algorithmes en Intelligence Artificielle). Cela risque de générer des biais très préjudiciables par rapport au fonctionnement de la société, d’autant que l’on va vers une numérisation de la société aussi! C’est vital d’avoir un rapport d’équilibre hommes/femmes dans les solutions numériques.
Comment expliquez-vous la faible proportion de femmes dans les filières techniques du numérique ?
Il y a beaucoup d’autocensure avec les filles qui ne s’estiment pas faites pour ces métiers, et beaucoup de méconnaissance sur ces filières. La seule façon d’y remédier est d’agir très en amont, dès la scolarité, en les informant et en les sensibilisant (via plus d’instruction numérique dans les programme d‘enseignement et des journées spéciales) à ces métiers et aux formations qui y mènent. Sans filles dans les formations, pas de candidates dans les entreprises, ni d’opportunité de carrière pour les femmes dans ce secteur porteur.
Lors de ces Assises, vous avez présenté un plaidoyer de 14 propositions structurantes réparties en 4 axes : que recouvrent-elles?
Ce plaidoyer élaboré en collectif (Cigref, le Collectif Math&Sciences, le Cercle InterElles, WoGiTech, Femmes@Numérique, Numeum, la Société Informatique de France, Social Builder et Talents Du Numérique) a pour but d’activer les leviers essentiels à l’évolution d’une situation dommageable pour notre société et notre économie alors que la transversalité du numérique bouleverse tous les secteurs d’activités et le vivre-ensemble. Les quatre axes sont : créer une culture favorable au développement égalitaire du numérique, valoriser la transversalité des sciences et du numérique au service du vivre-ensemble (en rendant équitables et adaptées les pratiques d’enseignement en STIM), concevoir et déployer sur la durée un dispositif national de sensibilisation aux biais de genre et de valorisation des enjeux et métiers du numérique, et enfin, créer les conditions favorables à l’entrée des femmes sur ce marché du travail pour qu’elles y restent durablement.
Vous avez présenté une mesure phare : "inscrire à l’agenda la loi de programmation pluriannuelle d’orientation des compétences" : de quoi s’agit-il?
Son ambition est de mettre en cohérence les objectifs de création des compétences nécessaires pour réussir le plan France 2030 avec les moyens budgétaires indispensables pour y parvenir. Cette loi de programmation devra garantir des modalités de financements, en particulier pour des actions d’orientation et de sensibilisation aux formations et métiers du Ces propositions ont vocation à faire évoluer ou amplifier les politiques publiques dans les champs de l’orientation, de l’éducation, de la formation professionnelle, de l’emploi et de l’insertion sur le temps long et de façon systémique pour créer les conditions optimales et durables pour un accès massif des femmes aux formations et à l’exercice des métiers du numérique.
Femmes@Numérique initie une démarche de co-construction d’un observatoire des femmes dans le numérique: quelle est sa mission?
Cet observatoire est comme un tableau de bord des actions menées. Il entre pleinement dans notre 4eme mission qui est "d’éclairer". Son objectif est d’obtenir (grâce à la mise en commun des données des partenaires associés) des indicateurs indiscutables pour conduire les actions et les suivre dans le temps, orienter les politiques publiques, les initiatives privées, les projets associatifs et de guider les financement privés et publics vers des leviers stratégiques.
Seriez-vous favorable à l’instauration de quotas féminins dans les entreprises ?
On défend tout à fait cette idée à condition de ne pas mettre des quotas juste pour en mettre. On serait favorables à des quotas à compétences équivalentes et de faire de ces quotas une force pour montrer que l’équilibre peut être tenu car il y a beaucoup de femmes compétentes qui pourraient remplir de beaux postes dans le numérique.
La présence de "role models" est-elle toujours importante pour attirer les filles vers le numérique ?
Avoir des role models reste quelque chose d’important à tous les niveaux. Leur vocation étant de montrer qu’il y a des choses possibles et que chacune y trouvera son compte, ces "femmes icônes" doivent être représentatives d’un large éventail de profils pour que les filles puissent se projeter et s’assimiler. Plus ces rôle models représentent des parcours sur tous les métiers du numérique, plus c’est pour moi une très belle opportunité pour la prochaine génération de s’identifier, d’échanger et de s’engager.
Suite à ces premières Assises, comment voyez-vous la suite …?
Ces Assises sont pour nous un point de départ avec des plans d’actions déjà bien construits et le rendez-vous pour la 2 édition est déjà donné. Nous avancerons ainsi concrètement vers la féminisation de la Tech, un levier indispensable de l’égalité professionnelle. Le numérique ne sera durable, responsable et de confiance que si, demain, les femmes sont pleinement associées à le bâtir.