Le monde des startups, Tiphaine Beguinot le connaît bien. En 2014, elle avait cofondé avec Aurélia Zambon Keed, un réseau social permettant aux familles de partager les souvenirs de leurs enfants. En parallèle, en 2016, elles avaient ensuite monté Apiki, un site de vente en ligne qui dénichait des jouets porteurs de valeurs positives comme l’écologie ou la tolérance. Avec Popote, Tiphaine Beguinot se retrouve pourtant dans un schéma entrepreneurial inédit.
En effet, son père a monté une entreprise d’alimentation infantile il y a 25 ans. Son activité était entièrement tournée vers le BtoB puisqu’il fabriquait des repas pour enfants pour le compte de grands industriels. Il a l’idée d’une marque qui, plutôt que de vendre des plats tout prêts, proposerait les ingrédients séparément pour que les parents puissent composer le repas de leur enfant. Il commence à réfléchir à l’idée jusqu’au moment où il se tourne vers sa fille : serait-elle intéressée pour rejoindre l’entreprise pour diriger cette activité-là ?
" J’avais dit que je ferais tout sauf de l’agroalimentaire, explique Tiphaine Beguinot en riant. À priori, cela n’a pas bien fonctionné et l’histoire familiale a fini par me rattraper.". En 2018, l’entreprise Global Baby de son père va donc créer une filiale dont elle est la directrice générale. Son nom : Popote.
Construire à son rythme
" Pendant deux ans, on est vraiment parti de zéro avec les rames pour aller chercher les premiers clients ", raconte-t-elle. Elle s’amuse du fait que cette nouvelle entreprise voulait vendre en ligne de l’alimentation pour nourrisson. Une proposition qui partait perdante à tous les niveaux : personne n’achetait de nourriture pour nourrisson sur internet, et surtout pas une marque dont personne n’a entendu parler. Elle s’arme pourtant de patience après ses expériences passées dans le e-commerce et se met à construire la marque brique après brique.
Plusieurs acteurs de la grande consommation se montrent intéressés pour distribuer ses produits mais elle refuse à chaque fois. Tiphaine compte bien utiliser la chance qu’elle a de développer cette marque depuis le confort d’un groupe déjà installé. Elle prend le temps de construire les choses à son rythme. Elle attend d’être vraiment prête avant de proposer les produits Popote en magasin. Elle se lance d’abord en concept-store spécialisé en puériculture, avant d’élargir son offre auprès du réseau bio.
Popote est aujourd’hui présent dans 1.200 points de vente
En parallèle, Popote a commencé à se différencier par l’angle de sa communication. " Quand on est parents, on est souvent tiraillé entre de nombreuses injonctions, explique-t-elle. La culpabilité parentale est à son paroxysme ces dernières années. Et l’on peut vite entrer dans le débat entre ceux qui défendent le fait maison d’un côté, et le tout industriel de l’autre. Ceux qui revendiquent l’allaitement haut et fort, et ceux qui n’osent pas avouer utiliser du lait infantile pour ne pas se faire taper dessus. Mais la réalité est qu’être parent, c’est faire pour le mieux. Jongler entre ce que l’on voudrait faire et ce que l’on peut faire. On essaye de déculpabiliser les parents et de les accompagner au mieux. ".
L’ambition, la vitesse en moins
Au bout de cinq ans, Tiphaine Beguinot considère que Popote a atteint un âge de raison où les choses sont plus construites et solides. L’entreprise pourrait maintenant faire le choix d’entrer dans les réseaux de grandes distributions si elle le voulait. " Mais on restera dans le réseau spécialisé aussi longtemps que l’équilibre économique nous le permettra. J’aime le réseau bio par ses valeurs et la proximité du petit commerçant. Et puis s’attaquer aux grandes surfaces c’est changer de taille et de style d’entreprise. Il faut une force de vente beaucoup plus large. Et au final, quand on regarde la ligne du bas, ce n’est pas forcément plus intéressant. On est plutôt sur une croissance raisonnée. On n’est pas dans un modèle où l’on veut revendre ou lever des fonds. On est dans une croissance saine et pérenne. ".
Ce n’est pas parce que Popote est sur une trajectoire moins vertigineuse qu’elle n’est pas pour autant ambitieuse. Tiphaine aspire à construire une marque forte dans toute l’Europe grâce au digital. Elle se laisse même tenter par sa propre version du rêve américain qu’elle espère pouvoir poursuivre à partir de 2025 ou 2026. " Cela pourrait se faire grâce à 2 ou 3 opportunités que nous avons… si toutes les planètes s’alignent. ".
La croissance est donc bien dans l’ADN de Popote, mais pas au risque d exploser prématurément en vol.
" Popote ressemble à une startup, confesse-t-elle avec un sourire. Mais on en a que l’enveloppe. On est une PME. Et c’est bizarre de voir à quel point une aventure entrepreneuriale va instantanément perdre de son côté sexy quand on prononce le mot PME.".
Si Tiphaine n’ose utiliser ce mot qu’en fin d’interview, elle l’assume totalement : " Je préfère largement avoir une entreprise pérenne pour les cinquante prochaines années… et peut-être que l’un de mes enfants voudra continuer l’aventure. ".