Comme d’autres groupes du CAC 40, L’Oréal ne veut pas passer à côté d’une possible révolution Web3, cet Internet décentralisé qui repose sur la technologie de la blockchain. Le groupe a noué en octobre 2022 un partenariat avec Meta et HEC pour lancer un programme d’accélération de startups dédié à la créativité dans le métavers, avec cinq jeunes pousses (Kinetix, Yumon, Wilkins Avenue AR, V-Art et Acid Rays) déjà retenues. L’Oréal espère notamment trouver “des opportunités de co-création” avec ces nouveaux acteurs.
Le groupe aux 36 marques, présentes dans plus de 150 pays, a aussi créé un poste de directrice générale métavers et Web3, en juillet 2022. Camille Kroely, auparavant responsable de l’innovation au sein de L’Oréal, a été nommée à ce poste. Elle détaille à Maddyness la stratégie du groupe et de ses marques dans les NFTs et les nouveaux univers virtuels.
Pourquoi L'Oréal s'est-il doté d'une Chief metaverse & Web3 officer?
Nous voyons le Web3 comme un phénomène majeur, qui sera la prochaine itération d’Internet. Le métavers pourrait représenter un marché de 5.000 milliards de dollars d’ici 2030, selon le cabinet McKinsey. Ce nouveau poste est associé à plusieurs objectifs. Il nous a semblé indispensable de créer une équipe séparée du Web2, pour préparer et anticiper le futur. Il s’agit pour nous de comprendre ce que le Web3 et le métavers signifient pour la beauté, les consommateurs et nos marques, via une approche de “test and learn”, pour pouvoir saisir de nouvelles opportunités. Ce nouveau poste nous rend en outre identifiable par les nouveaux acteurs émergents dans le Web3 et facilite les connexions.
Que doit apporter au groupe sa récente prise de participation dans Digital Village, une startup proposant des services dans le métavers?
L’Oréal avait déjà acquis, dès 2018, ModiFace, une startup tech spécialisée dans la réalité augmentée et l’intelligence artificielle, permettant aux consommateurs d’essayer via leur smartphone un maquillage ou une couleur de cheveux en réalité augmentée, avant d’éventuellement l’acheter.
Ce nouvel investissement dans Digital Village, réalisé via notre fonds de capital-risque Bold, doit permettre à nos marques d’explorer le potentiel des mondes et expressions virtuels, et d’effectuer des expériences en lien avec la blockchain et les NFTs. Digital Village a la spécificité d’afficher des codes esthétiques très poussés, qui se prêtent très bien à la beauté.
Nous travaillons sur divers projets qui doivent voir le jour cette année. Nous avions déjà proposé des magasins virtuels avec d’autres partenaires. Nous explorons aussi la dimension communautaire et la gamification.
Pourquoi le groupe L’Oréal a-t-il déjà lancé des NFTs?
Nous voyons les NFTs comme une clé d’entrée pour donner aux consommateurs et aux fans de la marque la possibilité d’accéder à des événements, à une communauté, à un programme de fidélité et des récompenses récurrentes. Nous avons commencé avec Yves Saint Laurent Beauté en juin dernier, avec le lancement d’une première collection d’objets numériques : 10 000 “Golden Blocks” permettaient notamment d’accéder à des expériences musicales sur la plateforme décentralisée P00LS, la musique étant dans l’ADN de la marque.
Une vente de 300 NFTs, en lien avec le lancement du parfum Black Opium d’Yves Saint Laurent, doit en plus intervenir le 6 mars prochain, auprès de la communauté de la marque, avant d’être ouverte au reste du public le 8 mars. Les acquéreurs d’un NFT pourront notamment demander un exemplaire du parfum. Et les revenus générés seront reversés à une initiative solidaire.
Le 7 février, notre marque Mugler a aussi lancé 300 NFTs autour du parfum Angel, qui fêtait ses 30 ans. Là encore, l’objectif était de créer du lien avec les consommateurs, de l’engagement.
Par rapport à un programme de fidélité classique, constatez-vous un engagement plus fort avec les NFTs?
C’est encore trop tôt pour le dire. Nous sommes sur de petits volumes dans le Web3, avec des expériences utilisateurs qui restent complexes et embryonnaires. Pour nous, l’intérêt est déjà de tester le fonctionnement, de comprendre là où il peut y avoir de la valeur et, petit à petit, de trouver le meilleur positionnement. L’idée est de voir ce qui sera complémentaire, voire se substituera à ce qui existe déjà.
L’un des aspects qui nous intéresse le plus est comment nous faisons le lien entre le produit physique et le virtuel, entre un parfum et un NFT. Nous pensons que le futur de la beauté sera à la fois physique, digital et virtuel, et que la combinaison des trois fera demain la richesse de l’expérience utilisateur.
Demain, L’Oréal va-t-il lancer des produits pour maquiller son avatar?
Nous constatons une vraie attente des utilisateurs de plateformes et métavers pour personnaliser leur avatar. C’est l’expression de soi, il y a un vrai potentiel et des usages déjà très répandus dans le gaming. Mais sur la beauté et les cheveux en particulier, l’offre reste pauvre et les avatars souvent rudimentaires, avec une esthétique parfois discutable et peu de diversité.
Nous avons déjà lancé des collections de biens virtuels avec Ready Player Me (startup développant des avatars interopérables dans les univers virtuels, ndlr), en proposant de nouveaux looks, avec des boucles et des cheveux frisés notamment.
Vous avez aussi lancé une DAO. Pourquoi avoir mis en place cette forme d’organisation décentralisée, reposant sur la blockchain, qui permet à un grand nombre de personnes de participer à la prise de décisions?
Le 1er février, nous avons effectivement lancé avec la marque NYX une DAO baptisée GORJS. Ouverte à 1 000 membres, elle a pour objectif de sélectionner et soutenir de futurs artistes 3D spécialisés dans la beauté. La blockchain permet ici de créer du lien avec ces créateurs, pour favoriser des collaborations. Nous avons aussi un forum sur l’application Discord qui compte plus de 13 000 personnes actives et apporte de nombreuses idées, dans un esprit de co-création.
Quelle part les activités liées au Web3 devraient représenter dans le chiffre d’affaires de L’Oréal?
C’est beaucoup trop tôt pour le dire. C’est comme si dès 1999, nous avions précisé ce qu’Internet pouvait représenter. Pour le moment, nous testons et apprenons. Nous verrons ensuite si le Web3 et le métavers constituent juste un nouveau canal pour toucher les consommateurs ou un nouveau business model.