Avec ses réponses bluffantes de réalisme, ChatGPT, robot conversationnel créé par la startup californienne OpenAI, ne cesse de faire couler de l’encre. Rédaction d’un texte, création d’un programme informatique, réponses à un examen… ChatGPT sait presque tout faire. Jusqu’à affronter Google sur son propre terrain en permettant d’obtenir une réponse unique à une recherche et de se défaire ainsi des dizaines de pages de Google à trier.
Mais cette nouvelle technologie engendre des questions quant à ses limites et ses dérives et relance inévitablement la question du remplacement de l’humain par les robots…. D’autant plus que désormais, les métiers de la prestation intellectuelle pour lesquels ce type de technologie est utile sont finalement les premiers ciblés. Cyril Murié, directeur de l'innovation de la Chambre nationale des commissaires de justice et CEO de Concord, explique à Maddyness dans quelle mesure ChatGPT pourrait avoir un impact sur ces métiers de la prestation intellectuelle.
À quels métiers de la prestation intellectuelle ChatGPT s’adresse-t-il le plus ?
Cyril MURIÉ - La technologie de ChatGPT peut être utile à tout le monde et être utilisée par tous les métiers de la prestation intellectuelle (notaire, architecte, avocat, comptable, formateur etc…). Autour de moi, tout le monde l’utilise ne serait-ce que pour rédiger un mail type. Ce qui est pratique c’est de poser la question en langage naturel et d’obtenir une réponse en langage naturel également. Le résultat reste parfois améliorable, chacun doit ensuite voir s’il est nécessaire de retravailler le rendu ou s’il peut le transmettre sans rien changer.
En quoi ChatGPT pourrait être plus utile que Google pour aider les professionnels des métiers de la prestation intellectuelle ?
CM - C’était évident qu’un jour Google se ferait bousculer par l’arrivée de nouveaux acteurs mais la question était de savoir qui en serait à l’origine. Aujourd’hui nous assistons à deux accélérations parallèles : l’intelligence artificielle et le web décentralisé. Avec ChatGPT on va au plus loin possible de la décentralisation. De plus, lorsque l’on procède à une recherche, Google donne plusieurs pages de réponses qu’il faut trier alors que ChatGPT ne donne qu’une seule réponse. Réponse qui n’est pas décalée et qui, pour la plupart des sujets, est supérieure à ce que l’on serait capable de faire soi-même. La réponse est toujours très polie voire parfaite. ChatGPT résout donc le problème des trois pages de réponses trop longues proposées par Google.
Peut-on considérer ChatGPT comme une legaltech ? Peut-il détrôner les Legaltechs déjà sur le marché ?
CM - Il s’agit d’une tech dans tous les domaines donc oui ! Mais il ne détrônera pas les legaltech existantes car celles-ci s’appuient sur les données de l’entreprise. D’autant qu’en posant une question à ChatGPT, celui-ci apportera une réponse puis orientera vers d’autres outils spécifiques. Toutes les Legaltech qui se basent sur les données de l’entreprise seront meilleures et plus adaptées que ChatGPT qui s’appuie davantage sur des données publiques. Les legaltech actuelles ne doivent donc pas se sentir menacées.
A quel point la technologie peut influencer certains métiers de la prestation intellectuelle- tels que les métiers du droit - dans la prise de décision ?
CM - Concernant la prise de décision, l’enjeu réside dans la qualité de l’analyse des données qui lui sont apportées. Ce n’est pas le rôle d’une intelligence générale artificielle (AGI) comme ChatGPT mais plutôt d’une superintelligence artificielle (ASI) qui, si elle est bien faite, apportera une réponse nuancée qui pourra vraiment aider. D’autant plus que ChatGPT est très poli et ne prendra donc pas le risque de formuler une prise de parti ou de décision.
Je ne suis d’ailleurs pas persuadé qu’une technologie soit utile pour ce type de mission : j’ai beaucoup travaillé dans la médiation et je ne me suis jamais dit que l’on gagnerait du temps en ayant une ASI ou une AGI. En fait, ce type de technologie c’est un “nice to have” mais pas un “must have”.
ChatGPT pourra-t-il remplacer certains professionnels du droit par exemple ?
CM – C’est une question compliquée… Alors que l’on pensait que les robots remplaceraient l’humain sur des métiers physiques, on découvre que ce sont finalement les métiers de la prestation intellectuelle qui sont davantage en danger car une profession qui nécessite une présence humaine sur le terrain ne pourra jamais échanger ses salariés contre une technologie.
Aujourd’hui, les professionnels du droit en France doivent traiter moins de 3 % des litiges. Une technologie telle que ChatGPT pourrait les aider à traiter un pourcentage de litiges plus élevés. A mes yeux, il n’y a donc pas de menace car, en cas de litige, ChatGPT aurait tendance à rester prudent et à orienter la personne vers un avocat, un commissaire de justice ou autre. De plus, le professionnel du droit est amené à prendre des risques dans son approche, ses décisions… Selon moi ChatGPT ne prendra jamais ce type de risque qui pourrait alors impacter la société. Je pense qu’il serait techniquement possible de formuler une plaidoirie, par exemple, mais OpenAI n’aurait pas d’intérêts à pousser la technologie jusque-là. En revanche, cela pourrait contraindre les professionnels du droit à devenir encore plus experts.
ChatGPT peut-il représenter un risque éthique ?
CM – J’ai le sentiment qu’il y aura une réglementation européenne… Le principal problème est celui de la réponse unique. Sam Altman, président d’OpenAI, a inondé le monde avec une technologie dont lui et son équipe ont décidé les paramétrages. Mais quels sont ces paramétrages ? Comment les ont-ils choisis ? Comment ont-ils défini ce qui était bien ou mal ? Il faudrait savoir dans quelle mesure cette réponse unique donnée par ChatGPT est influencée.