Quick quitting : doit-on s’en inquiéter ?
" Selon l’étude Economic Graph de LinkedIn, le taux d’ancienneté courte aux US (nombre de postes qui se terminent avant un an) a bondi sur l’ensemble des secteurs. En mars 2022, ce taux a augmenté de 9,7 % sur un an ", souligne Jenny Gaultier, Directrice Générale Mercato de l’Emploi, réseau de recruteurs indépendants. Les secteurs les plus touchés ? Les quatre secteurs phares où la hausse des départs à moins d’un an est notable sont les métiers de la création et l’art (11,6%), la tech et les média (10,5%), les services supports et administratifs (8,9%), puis tout ce qui a trait au logement et à l’hébergement (7,4%).
Mais Qui sont les " quick quitters "? Selon la même enquête, il s’agit essentiellement des " cols blancs " (white-collar) dans la tech, les services financiers et les consultants des cabinets de conseil ou d’audit. Doit-on s’en inquiéter en France ? " Je remarque un changement de comportement général chez les candidats allant dans ce sens : ils sont plus exigeants depuis la fin des confinements, donc moins patients. Aussi, les salariés quittent plus facilement un job dans lequel ils se sentent moins engagés, moins impliqués peut-être à cause des nouvelles habitudes de travail à distance ", explique Adrien Scemama, responsable de Talent.com France.
Pourquoi quittent-ils (si tôt) le navire ?
" Avec un marché de l’emploi dynamique, le rapport de force s’est inversé au profit du salarié qui a davantage la liberté d’arbitrer ", souligne Jenny Gaulthier. C’est notamment le cas pour les métiers de la tech ou les commerciaux sur le segment des startups, selon Elliot Boucher, CEO de la startup Edusign. Ces mouvements traduisent aussi une vision plus " décomplexée " de la gestion de carrière " avec des périodes plus courtes dans l’entreprise ". Les aspirations s’affirment également selon lui : " En période d’inflation, les salariés recherchent un meilleur salaire, tout en maintenant un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Sans oublier la quête de sens, un moteur toujours plus prégnant. "
Mais ces attentes peuvent vite s'essouffler, une fois que le candidat débarque dans l’entreprise : " L’effet fausse promesse de la marque employeur est redoutable : la déception est telle que les salariés n’attendent plus, ils fuient ", alerte Adrien Scemama. " Il est impératif de limiter toute dissonance entre le job fantasmé et la réalité du quotidien ", insiste Elliot Boucher.
Devenir un employeur irremplaçable : mode d’emploi
- Des recrutements plus francs : pour éviter l’effet boomerang des communications employeur (parfois) surfaites, l’entretien doit être le plus transparent possible jusqu’à, " noircir le tableau " : " Quand je recrute un commercial, je lui dis qu’au début cela ne va pas être simple ", explique Adrien Scemama. Au sein du Mercato de l’Emploi, les recruteurs organisent des entretiens immersifs où les candidats viennent tester directement le métier dans les conditions réelles.
- L’onboarding aux petits oignons : Edusign a imaginé un programme d’intégration pour faciliter l’immersion dans l’entreprise : " On envoie un maximum d’informations sur l’entreprise, la culture et son fonctionnement en amont de l’arrivée. Nous répondons à toutes les questions pour lever le maximum de doutes. Puis, des échanges avec chaque membre de l'équipe et le manager sont organisés dans les premières semaines ".
- L’écoute fine des ressentis salariés : pour pouvoir anticiper les signaux faibles, il est important d’écouter les ressentis collaborateurs, particulièrement lors des premiers mois. Au sein d’Edusign, des points individuels avec le manager sont organisés une fois par semaine " jusqu'à l’autonomie complète du salarié : on y parle de compétences mais surtout d’émotions ", souligne Elliot Boucher. En complément, des solutions prédictives existent à l’image de la solution T.O.P., créée par Maxime Cariou : un outil fondé sur de l’intelligence artificielle et de la data science, permettant une visualisation des risques de démissions et la définition d’actions correctives. " On vient simuler les risques autour du collaborateur en reprenant les données RH historiques (trois ans), couplées à de l’open data : on atteint un taux de prédiction de démissions anticipées entre 80 et 90 %. "
- Des conditions de travail défiant toute concurrence : " Ce qui pousse au départ n’est pas forcément le salaire ", explique Elliot Boucher. Il est important de se différencier sur d’autres aspects : " Une culture conviviale est fondamentale, surtout si les personnes viennent moins souvent au bureau : rituels, rencontres, challenges internes, sans oublier le télétravail… ", propose Adrien Scemama.
- De la reconnaissance : il est important d’accompagner et de valoriser les salariés tout au long de leur parcours professionnel. Comment ? " En donnant de l’autonomie, en les impliquant dans les décisions stratégiques ", conclut Adrien Scemama.
Mais, au final, faut-il vraiment lutter ?
Et si le syndrôme du " candidat roi " évoquait une autre prédiction ? L’envie d’explorer de nouvelles formes de travail, plus indépendantes, polymorphes voire opportunistes. Auquel cas, le lancement d’un débat politique sur le " Travail " nouvelle génération semble inéluctable.