Avec une concurrence accrue entre les acteurs et une ferme consolidation, le secteur a passé un cap.
Huit ans après ses débuts, la Legaltech est, désormais, une notion pleinement intégrée au monde du droit en France. C’est en suivant les exemples des géants américains tels que Rocket Lawyer et LegalZoom que ces startups ont importé l’idée d’appliquer les nouvelles technologies aux services juridiques en France. En quelques années les spécialistes du capital-risque et des fonds corporate se sont imposés comme les principaux financiers des fleurons tricolores tels que Doctrine, LegalStart, YouSign, LegalPlace ou Captain Contrat.
Nouveauté réjouissante de 2022, ces startups s’imposent sur tout le territoire. D’après la sixième édition du baromètre de la Legaltech établi par Maddyness, Lamy Liaisons et la Banque des Territoires, 38% de ces jeunes pousses ont établi leur siège social ailleurs qu’en Ile de France. Lyon (6%), Marseille (4%) et Bordeaux (3%) tirent leur épingle du jeu.
La fin d’un cycle de financement
Cependant, au cours de l’année, des vents contraires ont commencé à souffler sur la Tech et le marché de la Legaltech n’y échappe pas. Les startups du secteur ont peiné à séduire les investisseurs. La médiane des fonds levés cette année le démontre. Avec 700 000 euros, elle retombe pratiquement au niveau de 2017. Plus précisément, les tours de table ont baissé de 44% par rapport à 2021 avec seulement 32,3 millions d’euros récoltés au 1er décembre 2022 contre 57,8 millions d’euros l’année dernière. Ces chiffres sont à relativiser tant 2021 a été une année exceptionnelle avec une croissance de 225%.
Cependant, en 2019 avant la crise du Covid, les startups avaient réussi à lever 52,1 millions d’euros. La plus grosse levée de fonds s’élève à un montant de 20 millions d’euros, soit 3,3% du total des fonds investis en 2022 dans le secteur de la Tech. Le capital investissement a peut-être atteint le point le plus haut de son cycle. Les investisseurs sont aussi plus regardants sur la fiabilité du business model des projets demandeurs. " L’horizon des investisseurs est de 5-6 ans, le premier cycle des legaltechs est donc en train de se terminer et ils veulent s’y retrouver ", confirme Philippe Laurence, directeur des affaires publiques de Doctrine.
D’ailleurs, seuls 12% des acteurs répondants au baromètre ont levé des fonds en 2022. Quinze legaltechs ont su gagner la confiance d’investisseurs en 2022 contre 17 l’année dernière et 18 en 2020. Six d’entre elles ont levé au moins un million d’euros. Contrairement au reste de la French Tech, la Legaltech ne dispose pas de serial entrepreneurs susceptibles de devenir à leur tour des business angels, apporteurs de smart money. L’absence de ce type de tuteurs, apportant expertise, réseau et vision est un frein à la structuration du marché.
Une consolidation tous azimuts Cinq legaltechs se sont créées cette année contre 23 en 2021 et 19 en 2020. La voie à la consolidation dont seuls quelques-uns sortiront gagnants est ouverte. En septembre, Septeo a fait l’acquisition d’Intelligent Software à destination des professionnels du droit, notamment les comissaires de justice. Cette opération a renforcé le poids du groupe, qui avait déjà racheté la société nantaise SoftOuest début 2022, dans la numérisation des professions réglementées. À coups de croissance externe, Septeo compte notamment s’imposer en acteur majeur du marché des commissaires de justice. Cela fait plusieurs années que les big four regardent de près les legaltechs. En mai 2022, PWC Avocats, cabinet d’avocats du big PWC a noué un partenariat avec Legal Pilot. L’opération de consolidation la plus emblématique de l’année reste le rachat d’Hyperlex par DiliTrust en juillet 2022. Deux mois après avoir levé 130 millions en mai, Dilitrust s’est offert Hyperlex, spécialisé dans l’analyse et la gestion des contrats.
Autre signe que le secteur atteint un niveau de maturité sans précédent, 63% des entreprises disent avoir déjà reçu une offre de rachat. Elles n’étaient que 37% l’année dernière ! Pour autant, les entrepreneurs ne sont pas prêts à se vendre à n’importe quel prix, une majorité d’entre eux (82%) ne comptent pas céder leur société dans les six prochains mois. La fin de l’année 2022 s’est avérée toute aussi encourageante. En octobre, LegalPlace a levé 20 millions d’euros auprès de XAnge et d’Eurazeo avec la participation de Profounders (investisseur existant), MH Innov et La Poste Ventures notamment. C’est la plus importante levée de fonds de 2022, à comparer avec celle de YouSign de 30 millions d’euros en 2021.
L’année dernière et 2020 mises à part, cette levée s’inscrit dans la croissance continue remarquée entre 2016 et 2019. Philippe Laurence se veut confiant : " Le marché français de la Legaltech est bien développé. Le droit français influe d’autres pays. C’est en cela que la Legaltech française est un laboratoire. Si des opérations doivent se faire en Europe avec des fonds étrangers elles se feront en France ". Si les institutions et l’Etat suivent de près les innovations portées par ces acteurs, il n’est pas allé à jusqu’à créer un fonds dédié. " Au Royaume-Uni, le ministère de la justice a engagé 4 millions de livre sterling dans la phase du programme Lawtech UK qui vise à accroître l’innovation dans les prestations de services juridiques ", signale Max Lunn de Maddyness UK. Le marché y est aussi principalement B to B, mais la principale différence réside dans les relations avec les institutions.