L’histoire commence par l’arrivée d’un communiqué de presse dans la boîte mail de Maddyness présentant la startup Jobamax comme étant le Tinder du recrutement. Une promesse pouvant sembler familière pour toute personne qui observait déjà l’écosystème en 2014 : l’année de lancement de Kudoz, une application qui se présentait comme… le Tinder du recrutement. Maddyness n’a donc pas résisté à la tentation de rassembler leurs deux cofondateurs le temps d’une interview pour comprendre la tentation répétée d’adopter les codes du dating pour la recherche d’emploi, mais aussi comment une même idée va se manifester différemment à quelques années de distance ?
La genèse des Tinder de l’emploi
Pendant leurs premières expériences professionnelles, Pierre Hervé et Olivier Xu (fondateurs de Kudoz) découvrent la difficulté de recruter, mais aussi le fait que les meilleurs talents sont souvent déjà en poste et qu’ils sont difficiles à débaucher. Ils découvrent alors deux chiffres qui donnent de l’eau à leur moulin : 68 % des personnes en poste aimeraient en changer, mais seulement 8 % sont actifs dans cette recherche par manque de temps. Ils commencent à imaginer une application qui simplifierait la recherche d’emploi de la même manière que Tinder avait simplifié leurs recherches amoureuses. Kudoz était né.
Près d’une décennie plus tard, Alexandre Guenoun fait une expérience qui lui fera arriver sensiblement au même constat. Il était chez lui avec deux amis. Face à lui sur son canapé : l’un d’eux cherche un “date” sur Tinder, l’autre un job sur LinkedIn. Deux recherches qui, à bien des égards, peuvent être considérées comme similaires : il s’agit de faire le matching entre la personnalité et les attentes de l’un et de l’autre pour décider de faire un bout de chemin ensemble, que ce soit pour une mission courte ou pour le restant de sa vie ou de sa carrière.
Pourtant, Alexandre Guenoun observe le visage de ces deux amis et découvre l’un tout sourire et l’autre grimaçant : " Je me suis dit : pourquoi ne pas mettre le concept de Tinder dans la recherche d’emploi et donner le sourire aux deux ? ", se rappelle-t-il. Il se prépare ainsi à créer ce qu’il appellera Jobamax, et une personne lui fait ce retour après la présentation de son projet : "Je connais une application qui a fait quasiment la même chose que toi.".
Alexandre fait donc des recherches et découvre l’existence de Kudoz. Il commence donc à regarder des vidéos YouTube de Pierre Hervé en train de présenter le concept de son application. Il récolte le maximum d’informations possible sur cette aventure tant similaire à la sienne pour comprendre son parcours et se projeter dans les problématiques que Jobamax allait pouvoir également rencontrer.
Un rachat par LeBonCoin pour Kudoz
Si la startup Jobamax vient tout juste de se lancer et qu’elle a l’avenir devant elle, l’histoire de Kudoz est déjà entièrement derrière elle. Après avoir lancé une première version de l’application en bootstrap, Pierre Hervé avait levé 1,2 million d’euros en 2015 auprès de Schibsted Growth, qui est le fonds d’investissement de LeBonCoin. Cette opération leur permet de faire grandir les équipes pour se mettre dans une étape intensive de commercialisation de leurs offres. S’il faut comparer, Jobamax est actuellement dans cette période de son histoire.
Kudoz se développe, mais a de nouveau besoin de fonds en 2017. LeBonCoin en profite pour faire une proposition de rachat, que Pierre Hervé acceptera à la fin de l’année. Ils vont ensuite rester 18 mois dans l’entreprise pour s’assurer la bonne intégration des équipes et de la technologie pour développer une offre appelée LeBonCoin Emploi Cadres.
Les problématiques sont les mêmes
" Le grand enjeu, c’est toujours d’avoir un équilibre entre le nombre d’offres d’emploi et le nombre de candidats ", se rappelle Pierre Hervé. Un équilibre fragile sur lequel l’expérience du recruteur et du candidat repose. S’il n’y a pas assez d’offres, les candidats désertent la plateforme, s’il n’y a pas assez de candidats, ce sont les recruteurs qui n’y retourneront pas non plus.
Kudoz avait donc brièvement mis en place un modèle économique où les recruteurs devaient payer à l’annonce avant de se rendre compte qu’ils étaient en train de dangereusement ralentir le volume d’annonces qui arrivait sur la plateforme. Ils ont donc choisi de proposer une version gratuite jusqu’à cinq annonces avant de proposer un système d’abonnement pour les recruteurs qui souhaitaient l’utiliser davantage et bénéficier aussi d’une belle page employeur, mais aussi une intégration avec leur ATS (Applicant Tracking System que les entreprises utilisent pour suivre leurs processus RH). Kudoz n’aura sans doute jamais réussi à identifier la réponse idéale qui aurait pu lui permettre de continuer à se développer de manière indépendante encore aujourd’hui.
La startup Jobamax arrivera-t-elle à dépasser cette problématique ?
Ce qui est sûr, c’est que les mêmes questionnements taraudent son fondateur. En effet, Alexandre Guenoun a également exploré de nombreux modèles économiques potentiels pour Jobamax.
D’un modèle au “swipe”, donc au candidat dans ce qui pourrait s’apparenter au coût par clic bien connu des marketeurs, à un modèle avec abonnement ou vente de packs, ils ont gardé toutes les portes ouvertes. Il a d’ailleurs décidé de A/B tester son modèle économique dans une certaine mesure.
" On a essayé de vendre différents business models aux entreprises. On a pris trois semaines pendant lesquelles je me suis dit qu’on allait sacrifier quelques entreprises, ce n’est pas grave… mais on allait tenter de vendre un business model différent à chaque entreprise. On avait une vingtaine de modèles qui étaient vraiment différents les uns des autres et on les a tous testés. On s’est pris des “non” à chaque fois… sauf quand on a proposé le modèle au succès. On s’est dit : okay on a vendu ça, maintenant il faut vite préparer la plateforme pour que l’on puisse assurer la prestation. On a aussi décidé de le tester à nouveau avec d’autres clients et on faisait quasiment du 100% de réussite avec ce modèle-là donc on a décidé d’aller à fond dans cette stratégie ".
Bien évidemment, il s’agissait aussi du modèle le plus risqué, avec de la traction sur le seul modèle où le recruteur ne devait pas débourser un seul euro avant d’avoir réussi son premier recrutement. Mais Jobamax avait enfin réussi à mettre le pied dans la porte des entreprises et ils avaient bien l’intention de transformer cela en une réussite.
Ils ont donc décidé de résoudre les éléments qui venaient gâcher l’expérience à la fois du côté candidats que recruteurs. En effet, les candidats se plaignent souvent sur les plateformes de recrutement de la lenteur des réponses des entreprises. De la même manière, les recruteurs se retrouvent parfois submergés par le nombre de candidatures qu’ils ne peuvent pas gérer correctement.
Jobamax a donc fait le choix de mettre une personne dédiée en interne qui se positionne au milieu des deux parties. Elle va ainsi répondre à toutes les questions des candidats en moins de 24 heures, mais aussi faire le tri pour ne transmettre à l’entreprise que les candidatures les plus pertinentes.
En ajoutant de l’humain dans son projet tech, Jobamax apporte donc une importante valeur ajoutée à ses deux typologies d’utilisateurs. En cas de succès, Jobamax touche un pourcentage du salaire annuel de la nouvelle recrue. Ce modèle semble bien fonctionner pour Jobamax qui tente donc de se tailler une place sur ce marché.
La vie post-Tinder du recrutement
De son côté, Pierre Hervé a commencé son échange avec Alexandre en lui explicitant qu’il n’était plus dans ce secteur du recrutement aujourd’hui. Après la sortie de LeBonCoin, Pierre est retourné à ses premiers amours dans le monde audiovisuel. En effet, avec sa femme réalisatrice, ils ont décidé d’écrire et produire des courts-métrages (et notamment au travers de films interactifs pour l’application Snax). Ils sont maintenant sur le développement de projets plus longs à destination des plateformes de streaming ou chaînes traditionnelles. L’expérience Kudoz lui aura donc aussi permis de se concentrer sur sa passion du monde audiovisuel. " Comme quoi, plaisante-t-il. Faire le Tinder du recrutement, cela peut vraiment mener à tout et à l’importe quoi ! "
De son côté, Alexandre Guenoun ne sait pas encore vers quoi va le mener cette startup… mais il aborde cette aventure avec le sourire et la curiosité de celui qui est prêt à relever tous les challenges.