Géraldine Le Meur n’est pas de celles qui prennent leur temps. Déjà mariée et mère de famille à la sortie de son école de commerce, elle a dans la foulée monté sa première société à 23 ans. Un pari qui pouvait sembler audacieux pour l’époque. Pour Géraldine Le Meur, c’était surtout un moyen de concilier un beau parcours professionnel et sa vie familiale.
Avec son ex-mari Loïc Le Meur, elle a monté une agence de création de sites internet B2B : "Au début des années 1990, tout était à faire, alors on a sorti les pelles et les pioches". À ce moment là, tout le monde ne croyait pas à ce qui peut sembler évident aujourd’hui, et Géraldine tire le parallèle avec le Web3 : "On a par exemple construit le premier site internet de vente de voitures d’occasion, personne n’y croyait, on nous avait dit que ça ne marcherait jamais".
Insatiable et visionnaire, Géraldine Le Meur continue son aventure entrepreneuriale. Pour elle, il y a un maillon manquant dans la chaîne. Laissant son ex-mari aux manettes de l’agence, elle s’attaque à l’hébergement : "On a importé un concept américain, qui s’apparente finalement aujourd’hui au cloud. On donnait l’opportunité aux entreprises qui ne pouvaient pas s’offrir les gros serveurs d’acheter des petits bouts de serveurs". Un nouveau succès pour Géraldine Le Meur, qui revend ses deux entreprises à l’aube de ses trente ans.
L’aventure américaine
"À l’époque c’était moins facile d’entreprendre. Il n’y avait pas de capital-risque et pas d’écosystème en France". Influencée depuis toujours par les États-Unis, elle décide de partir vivre à San Francisco avec sa famille. Elle y développe LeWeb, une conférence qui devient incontournable dans l’univers du digital et ce qui était au départ un side project, devient en 2006 un projet à part entière. "Je voulais construire un réseau et faire venir toute la Silicon Valley pour être moteur sur l’entrepreneuriat en France". À l’époque, l'écosystème de conférences n’existait pas, le Web Summit n’ayant par exemple été créé qu’en 2009.
Mais quand on est visionnaire, il ne faut pas l’être trop tôt. C’est une leçon que retient Géraldine Le Meur. Dans les années 2000 elle a monté ce qu’on appellerait aujourd’hui un startup studio qui s’est arrêté plus vite que prévu, et dans lequel le couple d’entrepreneurs a perdu quelques plumes. "Le marché n’était prêt ni pour le modèle ni pour les idées incubées, telles que des marketplaces B2B".
L’entrepreneuse investisseuse
"J’ai commencé très tôt à investir dans la tech mais pas forcément de la manière dont on l’imagine. C'était un univers beaucoup plus petit, on investissait des petits montants entre amis". Les dits-amis étaient parfois Reid Hoffman, le créateur de LinkedIn.
En 2016, elle est passée du côté investisseur en co-créant The Refiners, un fonds d’investissement pré-seed dédié aux jeunes pousses non-américaines. Plus de 56 jeunes entrepreneurs, dont beaucoup de français, ont été soutenus au début de leur aventure par The Refiner qui les a aidés à assimiler les codes culturels de la vallée.
Après 15 ans à San Francisco "géniaux niveau business mais plus compliqués humainement", Géraldine Le Meur eut envie de changement et a emménagé à New-York : "Pour moi qui a toujours fait du cross boarder, c’est plus facile pour travailler avec la France que depuis San Francisco".
En novembre 2020, elle rejoint FrenchFounders en tant que partner : "Je n’ai jamais quitté la casquette d’entrepreneurs, je n’allais pas le faire à 48 ans !". Elle se voit confier le pilotage de la branche investissements de FrenchFounders, dont elle crée le fonds d’investissement. L’objectif va au-delà du financement. "On cherche vraiment à apporter quelque chose en plus : le réseau de FrenchFounders, l'accompagnement sur le recrutement ou le développement commercial sur un nouveau marché. Nous n'investissons pas en lead, nous ne sommes pas la locomotive mais plutôt le wagon international du train". Ce fonds, déployé depuis le 1er avril 2021, a depuis investi en amorçage dans 21 startups avec des tickets entre 300.000 et 500.000 euros.
Plus que tout, Géraldine croit en la méritocratie, "quand on investit dans des boîtes créées par des femmes, c’est simplement parce que ce sont de super boîtes", mais elle est fière de compter parmi les sociétés du portefeuille Fairly Made créé par Laure Betsch et Camille Le Gal, Koliving fondée par Magalie Safar, Rosaly, fondée par Arbia Smiti, Koovee, cofondée par Tiphaine Guerout ou encore PickMe cofondé par Jessie Toulcanon. "Je crois surtout en la mixité", conclut-elle.
S’inspirer de l’ambition des Américains
"En Europe, les entrepreneurs sont amoureux de leur produit quand aux États-Unis, ils sont amoureux de leur marché. Or je pense que le marché est le plus important, c’est le nerf de la guerre, et c’est ce qui fera la différence entre des sociétés painkillers et des sociétés vitamines". Pour Géraldine, les entrepreneurs européens ont "du mal à assumer leurs ambitions". "En early stage il ne s’agit pas de mentir, mais d’expliquer l’ambition de la boite, pourquoi on se lève le matin. Les Américains sont plus doués en storytelling, ils osent partager le rêve qu’ils ont en tête".
Depuis les États-Unis, elle a aussi appris le pragmatisme. "Les Américains sont plus pragmatiques, quand ça ne fonctionne pas, ils osent s’arrêter. En Europe, on a plus de mal à couper, on n’a peur de l’échec. Alors qu’une aventure entrepreneuriale qui s’arrête aux États-Unis, n’est pas perçue comme un échec".
Dans son livre "Comme elles entreprenez votre vie!", elle encourage les femmes à démystifier le côté rôle model. "On est pas toutes des Michelles Obama ou des Sheryl Sandberg". Elle préconise aussi d’arrêter de mettre la barre plus haute que nécessaire. "En tant que femme, si on doit cocher 10 cases, on va chercher à en cocher 12".
Mais plus que tout, elle encourage les Français et les femmes à oser et à ne pas confondre arrogance et ambition. "Tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur mais si on veut tenter l'aventure il faut y aller !"