Si 15 % des films d’animation sont produits dans la région des Hauts-de-France, Roubaix occupe une place toute particulière dans le secteur, grâce à un écosystème dynamique et fructueux dédié aux industries culturelles et créatives. La ville, autrefois l’une des capitales mondiales du textile au début du XXe siècle, a su profiter de sa riche histoire industrielle et créative pour se réinventer et devenir une place forte du film d’animation, de l’image de synthèse et des jeux vidéo. Roubaix, mais aussi plus globalement la métropole lilloise, qui ambitionne de devenir une référence mondiale en matière de création audiovisuelle, comme en témoigne le succès du festival Séries Mania et ses 70.000 participants et 3.300 professionnels présents.
Le terreau favorable de la métropole lilloise
L’atout de la métropole lilloise, c’est d’abord sa position géographique stratégique à 30 minutes de Bruxelles, 1 heure de Paris et 1 heure 20 de Londres, capitale parmi les plus dynamiques de la filière images en Europe. Le territoire est aussi reconnu pour sa dynamique entrepreneuriale forte, avec notamment les enseignes de la galaxie Mulliez comme Auchan, Leroy-Merlin ou encore Decathlon. C’est là aussi où, à la fin des années 1990, la nouvelle économie liée à la croissance du web était particulièrement pétillante d’innovation avec des agences comme Oeil pour Oeil ou Team Chman. Si toutes n’ont pas survécu à l’éclatement de la bulle internet, elles ont attiré les talents et posé les bases d’une émulation sur les sujets du web, de la création et du jeu vidéo.
" Ajoutez à cela une région qui entretient depuis longtemps un rapport étroit entre création et industrie, comme en témoignent par exemple l’industrie textile qui a fait longtemps la richesse de la région, mais aussi un dispositif d’aides publiques en faveur de la création animée avec Pictanovo, et une politique importante de tertiarisation avec des pôles comme Eurasanté, EuraTechnologies, Euralille mais aussi la Plaine Images, tout concourt à ce que la métropole lilloise et particulièrement Roubaix soit en première ligne sur les industries culturelles et créatives ", complète Emmanuel Delamarre, directeur de la Plaine Images.
Une logique de pôle
Pour assurer sa réussite, l’écosystème local s’est fondé sur une logique de pôle, pour créer une émulation entre industriels, studios, artistes, startups et formations pour créer les entreprises de demain. " Je reçois beaucoup d’appels d’agglomérations pour créer un pôle comme le nôtre mais sans acteurs sur le territoire, c’est difficile ", poursuit Emmanuel Delamarre. Le ministère de la Culture a ainsi choisi Roubaix pour y implanter Le Fresnoy, Studio national des arts contemporains, pour permettre à de jeunes créateurs venus du monde entier, de réaliser des œuvres avec des moyens techniques professionnels.
Ankama, qui a fêté ses vingt années d’existence, n’a pas l’intention de quitter le territoire, comme l’explique Matthieu Levisse, directeur marketing et communication de Ankama : " les fondateurs tenaient à rester dans la région et sont fiers d’avoir été une locomotive avec tout cet écosystème qui s’est constitué au fil des ans notamment à la Plaine Images ".
En complément et pour satisfaire la demande croissante des acteurs du secteur, la métropole lilloise s’est dotée d’écoles spécialisées, à l’image d’ArtFX, Pôle 3D ou l’ESAAT. " La région s’est emparée assez tôt de l’enjeu autour de la formation et des talents pour avoir un vrai rôle à jouer aujourd’hui. Supinfocom Rubika a par exemple été créée en 1988 à Valenciennes autour de l’image de synthèse, un sujet avant-gardiste et innovant à cette époque où les logiciels dédiés coûtaient le prix d’une maison et où John Lasseter vient juste de réaliser le court-métrage 3D Luxo Jr. avec la lampe de bureau qui deviendra l'emblème des films Pixar ", raconte Emmanuel Delamarre.
La guerre des talents
Les ressources humaines constituent d’ailleurs l’un des nerfs de la guerre. Face à la demande croissante de talents, les formations sont en flux tendu. " À l’issue du jury de fin d’études, nos étudiants ont souvent au moins deux ou trois propositions d’emplois et nous observons un taux de 95 % d’insertion professionnelle dans les 6 mois qui suivent l’obtention du diplôme " constate Gilbert Kiner, président-fondateur de ArtFX. L’école, classée en tête pour la quatrième année consécutive des formations en effets spéciaux par la plateforme The Rookies, " ne s’est d’ailleurs pas trompée en faisant le choix de la métropole lilloise pour l’ouverture de sa seconde implantation en France, à tel point qu’un nouveau campus de 18.000 m² verra le jour à la rentrée 2023 pour accompagner la croissance du secteur et l’évolution des métiers de l’image numérique ", poursuit-il fièrement.
Gilbert Kiner a d’ailleurs également créé en avril 2022 un fonds de dotation pour les Arts Numériques pour promouvoir la diversité des jeunes talents dans les industries culturelles et créatives sur chaque territoire mais aussi répondre à la demande croissante de talents dans le secteur. Des talents qui, s'ils étaient " à 70 % à partir à l’étranger à l’issue de leur cursus de formation ", commencent à réfléchir à rester en France depuis la Covid-19, du fait de la plus grande difficulté à obtenir des visas.
Agilité et adaptabilité
La pandémie a en effet changé la donne. Avant, les productions en studio étaient des bunkers complètement repliés sur eux mêmes, la pandémie a permis de démontrer qu’il était possible de travailler à distance en toute confidentialité avec des personnes situées à l’autre bout de la planète. " Une autre tendance se dessine : les studios internationaux créent des microstructures agiles pour se rapprocher des écosystèmes créatifs. Il y aura une sorte de Airbnb des productions et les métropoles vont devoir s’adapter avec des baux précaires ", prédit Gilbert Kiner.
Autre enjeu : les évolutions technologiques, particulièrement rapides dans le secteur de l’image de synthèse. La pédagogie doit donc s’adapter régulièrement, notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle. Des programmes comme MidJourney ou DALLE-E, en référence au célèbre peintre espagnol, utilisent 12 milliards de paramètres pour créer des images à partir de descriptions textuelles en langage naturel. Gilbert Kiner reste fataliste : " Je vois de plus en plus d’étudiants arriver avec des concepts créés par des IA, une exception qui va devenir la norme à l’avenir, mais l’enjeu c’est l’intelligence tout court pour piloter la technologie qui ne fait que reproduire. La création, c’est la folie, l’émotion, l’inattendu qui va faire la différence ".
Les industries culturelles et créatives dans France 2030
L’écosystème roubaisien est en tout cas prêt à suivre l’évolution constante du marché de l’animation, des effets spéciaux et des jeux vidéo. Pour la première fois, les industries culturelles et créatives font en effet partie d’un plan national à travers le volet Culture du Plan France 2030, dans lequel 600 millions d’euros seront consacrés au développement des nouvelles technologies immersives, aux infrastructures de tournage et de production numérique, et à la formation professionnelle.
En étendard des industries culturelles et créatives (ICC), le mouvement de la French Touch a été créé et représente à lui seul 110 milliards d’euros, 5 % du PIB Français et 1,7 million d’emplois. Un écosystème qui se caractérise par des levées de fonds supérieures à la moyenne, avec un ticket moyen de 7,4 millions d’euros contre 5,6 millions pour l’ensemble des entités de la tech. " En plus de la question du divertissement qui a pris énormément de place dans nos vies et qui représente une industrie gigantesque, les métiers auxquels nous formons sont en train d’influencer de nombreux autres secteurs d’activité avec notamment le savoir-faire en matière d’UX issu du jeu vidéo ", conclut Gilbert Kiner.