Les deux expertes sont aussi revenues sur les ponts qui existent et peuvent être construits entre les écosystèmes ukrainiens et français.
Quelles sont les différences et les similitudes entre les écosystèmes tech français et ukrainien ?
Nataly Veremeeva : Nous avons la même logique de développement des startups. Mais la France dispose d’un écosystème bien plus étoffé. Nous ne bénéficions pas d’autant de financements de la part du gouvernement et recherchons des fonds à l’international, pour aider nos entreprises fortement impactées par la guerre.
Clara Chappaz : Le contexte dans lequel opère chaque écosystème est profondément différent. Avec la guerre, l’Ukraine doit faire face à des challenges très importants et complexes. Mais nous avons aussi beaucoup en commun. En France comme en Ukraine, nous avons la conviction que la tech peut être une des réponses aux grands enjeux actuels et favoriser le développement économique. Les acteurs émergents de notre pays sont fortement soutenus par le gouvernement, comme l’illustre le plan “France 2030” qui dédie 50% de ses financements aux startups qui œuvrent dans la greentech, l’IoT (Internet of Things) et d’autres secteurs d’innovations de rupture, clés pour notre souveraineté.
Quels ponts et connexions existent-ils entre les deux écosystèmes ?
Clara Chappaz : Depuis 2020, il y a une communauté French Tech à Kiev, qui rassemble des entrepreneurs français établis en Ukraine, mais également des investisseurs et autres acteurs de la tech. Elle s’est mobilisée pour apporter son aide au pays au début de la guerre, notamment via l’initiative Ensemble Ukraine. Un grand pavillon a aussi été dédié à l’Ukraine au salon VivaTech, en juin dernier. Nous avons un désir commun de renforcer nos liens et la collaboration au niveau européen, à court terme, dans le contexte particulier de la guerre, mais aussi à long terme, avec l’ambition de voir émerger de plus en plus de géants en capacité de devenir des leaders mondiaux.
Nataly Veremeeva : Je suis tout à fait d’accord avec Clara. Des ponts entre nos deux écosystèmes sont déjà établis, avec des acteurs implantés localement. Nous organisons des événements sur la tech ukrainienne pour permettre des échanges d’expériences. Et cette visite en France est déterminante. Nos startups peinent énormément à lever des fonds aujourd’hui, il est important pour nous de renforcer les collaborations, notamment avec la French Tech, pour trouver des solutions.
Quels sont les grands enjeux de demain pour la tech ?
Clara Chappaz : La tech peut construire les solutions de demain à travers la deeptech, la cybersécurité, l’intelligence artificielle, les biotech. Nous devons nous assurer de créer les conditions du succès de ces entreprises. Certaines ont besoin de temps pour mettre au point et développer leurs produits – je pense notamment aux startups industrielles. Nous nous entraidons pour construire un cadre européen favorable à l’essor des startups.
Nataly Veremeeva : Nous avons effectivement des challenges communs propices à un soutien mutuel. L’écosystème français est déjà parvenu à connecter science et entrepreunariat, nous travaillons à améliorer cette connexion en Ukraine. Nous devons notamment mieux utiliser l’éducation et les formations scientifiques dans la tech.
Que peut apporter la tech française à l’Ukraine ? Et qu’est-ce que l’écosystème ukrainien peut apporter à la France ?
Clara Chappaz : Chaque écosystème peut apprendre l’un de l’autre. Nataly m’a par exemple parlé de mesures fiscales en Ukraine qui aident l’écosystème tech à se développer. Mais aussi de partenariats avec des écoles pour permettre aux étudiants d’acquérir des compétences nécessaires à de nombreuses startups. Nous pouvons nous inspirer des différentes initiatives sur les autres marchés.
Nataly Veremeeva : Nous pouvons apprendre de la French Tech, qui représente un écosystème plus mature que le nôtre. L’Ukraine est de plus candidate pour entrer dans l’Union européenne. Il est important pour nous d’embrasser les approches d’autres pays comme la France, sur le plan économique comme en matière de législation. Je pense par ailleurs que l’Ukraine peut apporter des technologies innovantes et de nouvelles idées pour les entreprises françaises, notamment en lien avec le secteur militaire et de la cyberdéfense, des énergies vertes et de la logistique.
Il y a la guerre en Ukraine, pendant que la France subit l’inflation et un risque de récession. Que peut faire la tech en période de crise ?
Clara Chappaz : Dans des contextes difficiles, les startups peuvent agir rapidement et s’adapter. La crise du Covid-19 a montré qu’elles pouvaient avoir un rôle à jouer, aux côtés de l’État, de la société civile et des autres acteurs de l’économie. La plateforme Doctolib a par exemple aidé à vacciner la population française. Des startups fournissent aussi des solutions pour réaliser des économies d’énergie, créer de nouvelles sources d’énergie et tendre vers une économie plus durable.
Nataly Veremeeva : Les entreprises tech sont effectivement plus flexibles pour trouver des solutions. Dans le cadre de la guerre, nos entreprises ont effectué d’importants dons et fourni leur aide sur le plan technologique. Il y a un véritable front numérique. Nous avons une armée pour mener cette cyberguerre. Connectées au reste du monde, ces entreprises relaient aussi la communication de l'Ukraine sur la guerre.
Quelle place les femmes ont-elles dans les écosystèmes tech en France et en Ukraine ? Et quel rôle ont-elles à jouer ?
Clara Chappaz : Elles n’ont toujours pas la place qu’elles devraient avoir. En France, le secteur ne comprend que 20 % de femmes. Et au sein du French Tech 120, il n’y a que 14 femmes CEO ou cofondatrices. Plus vous avez de diversité dans votre entreprise, plus vous pouvez espérer réaliser de bonnes performances. Pour accélérer la transition vers une meilleure représentation des femmes, des entreprises se sont engagées sur des mesures concrètes dans le cadre du Pacte Parité que nous avons impulsé en mai 2022, qui prévoit par exemple de former les managers sur les enjeux de la diversité.
Nataly Veremeeva : Hommes et femmes sont aussi importants pour le succès de la tech. Ils peuvent avoir des approches différentes conduisant à une réussite commune. L’objectif est de parvenir à un équilibre dans les entreprises. En Ukraine, nous avons beaucoup d’entrepreneuses, mais peu de femmes figurent parmi les ingénieurs. Elles évoluent plutôt dans les ressources humaines et la communication. Depuis le début de la guerre, dans la mesure où la majorité des hommes ne peuvent pas quitter le pays, les femmes sont les ambassadrices de la tech et des entreprises ukrainiennes à l'international.