Comme l’expliquait Denis Fayolle dans cet article de Maddyness, une mauvaise entente entre fondateurs ou associés peut être l’une des premières causes d’échec d’un projet entrepreneurial. Ainsi, pour bien organiser les relations entre associés dans le temps, “il est nécessaire que ces derniers se choisissent, s'assurent d’avoir une vision et une stratégie communes, un projet commun, soient en capacité de prévoir d’ores et déjà de quelle façon ils résisteront ensemble au succès, aux difficultés ou à l’échec”, prévient Me Maud Bakouche, avocate au sein du cabinet Racine. " Ainsi, mieux vaut évoquer les principaux sujets pouvant entraîner des désaccords dès la création de l’entreprise ", confirme Eric Birotheau, directeur de l’ingénierie patrimoniale au sein de la Banque Richelieu

Anticiper les sujets importants dès la création de l’entreprise

D’après Me Bakouche, trois grands thèmes doivent être discutés en amont : 

  • Les modalités du capital : “Met-on en place un capital ouvert ou fermé ? Crée-t-on une période d'inaliénabilité ? Comment choisit-on de répartir le capital ?” 
  • La gouvernance : “Quelles modalités de gouvernance selon la forme sociale choisie pour la société ? La direction sera-t-elle assurée par l’un des associés, par un tiers, ou sera-t-elle bicéphale ? Quelles décisions devront recueillir l’accord préalable de la collectivité des associés et avec quel type de majorité ?” 
  • Les modalités de sortie : “A quelle échéance une sortie peut-elle être envisagée ? Comment ? Quelles modalités sont envisagées pour la sortie de l’un des associés sans l’(es) autre(s) ? Un droit de sortie conjointe peut-il être prévu ?”  

S’ajoutent à cela les modalités de distribution des dividendes, la répartition des profits, l’engagement de non concurrence pour certains associés… Mais aussi les éventuelles questions autour de la maladie, du divorce ou du décès de l’un des associés. “Il faut pouvoir échanger avec les fondateurs de la société sur leur vision des situations difficiles que la vie peut les amener à traverser pour se rendre compte dès le début des éventuelles différences de vue sur ces sujets pourtant essentiels”, assure Me Bakouche. 

Deux règles nécessaires

Des sujets essentiels qui suivront chacune des étapes de la vie de l’entreprise de sa constitution à sa cession en passant par sa croissance et l’entrée ou la sortie d’actionnaires. Autant de questions qui peuvent être évitées en respectant deux règles. La première : encadrer les rôles de chacun et le fonctionnement de la société grâce à deux documents fondateurs et absolument nécessaires à rédiger dès la création de l’entreprise : les statuts et le pacte d’associés. Le premier est “un contrat qui régit les rapports entre tous les associés et les règles générales concernant le fonctionnement de la société”, explique Eric Birotheau.

Il s’agit d’un document public, déposé auprès du greffe compétent. Le second, le pacte d’associés, en revanche, est confidentiel. “Il permet d'entériner les rôles et les devoirs des associés concernés afin de mieux gérer une potentielle crise ou difficulté. Il recense des clauses complémentaires, comme les règles de sorties et ne concerne que certains associés.” Il est important d’en rédiger un même lorsqu’il n’y a que deux associés au commencement du projet. Ce pacte pourra être modifié, selon les conditions inscrites, à l’arrivée d’un autre associé. 

Seconde règle à respecter : éviter le partage du capital à 50-50 dans le cas où il n’y aurait que deux associés. “S’il y a besoin de trancher, cela pourrait compliquer les prises de décisions”, alerte Florian Dadre, fondateur de UpLaw. Si les deux associés tiennent à ce partage équitable, il faudra alors que chacun se répartisse tous les domaines de compétences : l’un prend les décisions concernant les éléments techniques tandis que l’autre décide du processus de communication par exemple, sans qu’ils ne puissent interférer dans leurs choix. Cela devra bien sûr être écrit dans le pacte d’associés. 

Des outils à disposition

Une fois l’entreprise en pleine croissance et les actionnaires nombreux, plusieurs outils permettent une meilleure organisation.  

  • Les actions de préférence : Ces titres se distinguent des actions ordinaires. “Cela permet de créer des catégories d’action. A l’inverse des actions ordinaires qui confèrent le même montant et le même droit à tous les actionnaires en fonction de leur pourcentage dans le capital, les actions de préférences permettent d’attribuer à leurs détenteurs des droits particuliers”, précise Eric Birotheau. Par exemple, on peut ainsi proposer des actions A ordinaires mais aussi des actions B qui donneraient à chaque actionnaire un droit de vote double ou encore un dividende prioritaire. 

 

  • La cap table : Lorsque les actionnaires sont nombreux, notamment lorsque les salariés sont associés au projet et deviennent eux-mêmes actionnaires grâce à une distribution d’options (type BSPCE), bien suivre sa table de capitalisation devient indispensable. Celle-ci “liste tous les actionnaires de la société et le pourcentage de titres ou d’options qu’ils détiennent”, explique Florian Dadre, CEO de la solution d’equity management Uplaw. Aujourd'hui, bien des entreprises utilisent Excel mais cela pose des limites : Excel n’a pas de valeur légale, il est possible de faire des erreurs de formules, il est impossible de visualiser l’historique ou encore de savoir qui a modifié le fichier. Un document Excel manque aussi de traçabilité (quel est le fichier source d’où a été extraite la donnée ?), de pérennité et de sécurité si la personne qui en a la charge ne peut plus s’en occuper”, énonce-t-il. Une table de capitalisation digitalisée permet une mise à jour automatique avec rattachement du document source, peut être partagée avec les avocats, permet de réaliser des simulations, et ainsi de se projeter. En bref, “c’est la clé de voûte de la boîte". D’autant qu’une table de capitalisation bien tenue permet d’attirer les investisseurs (business angel ou Fonds VC) et est essentielle au moment de la vente de l’entreprise pour savoir qui doit recevoir combien. “A ce moment-là, personne n’a envie qu’il y ait une erreur dans la comptabilité-titre.” 

 

  • Le comité stratégique : Ce comité est souvent désigné par les fondateurs de l’entreprise. Il est composé de personnes de confiance mais aussi de personnes extérieures à l’entourage comme un avocat, un notaire ou même le dirigeant d’une autre entreprise. “Ce comité prend des décisions stratégiques, d’impulsions, d’orientations… Il peut être très utile dans le cas d’une société familiale. Si le fondateur part, comment va-t-on désigner le nouveau dirigeant ? Au lieu de laisser les enfants prendre une telle décision alors qu’ils n’en ont peut-être pas la compétence, le comité stratégique sera à même de faire un choix éclairé et objectif”, conseille Eric Birotheau.

Les contrats et les outils ne manquent donc pas pour permettre d’encadrer et de faciliter les relations entre les associés tout au long de la vie de l’entreprise. Pour que cela fonctionne, ils ne doivent pas perdre de vue le point le plus important : l’intérêt de la société. Et Maud Bakouche d’assurer : “C’est aussi cela qui permettra de régler les désaccords entre associés. Quelles que soient les dissensions, l’intérêt social est l’élément fondamental et doit être privilégié. ”