Les chemins de Standing Ovation et du groupe Bel se sont croisés près d’un an après le début des investigations du géant de l’agro-alimentaire sur le sujet de la fermentation de précision. "Nous avons passé 18 mois à rencontrer des startups, comprendre les technologies, affiner nos discussions", explique Anne Pitkowski, la directrice Recherche et Application du groupe Bel, qui a travaillé pour ce sourcing main dans la main avec l’équipe de Bel Ventures, le fonds de corporate venture du groupe.
Pour l’industriel, l’enjeu est de taille : avec la fermentation de précision, il s'agit ni plus ni moins de produire des protéines de lactoserum sans avoir recours aux animaux, mais en conservant les mêmes caractéristiques que les protéines laitières classiques, avec à la clé une empreinte environnementale bien moindre.
La R&D d’abord
"Nous avons fait le choix de ne pas chercher à être visible trop tôt : c’était la R&D d’abord, alors que d’autres acteurs ont fait des choix différents", explique Romain Chayot, le cofondateur de la startup qu’il a créée en 2020 avec son associé Frédéric Pâques. C’est ainsi que dès les premières rencontres, les équipes du groupe Bel ont eu la bonne surprise de pouvoir déguster des produits très aboutis, alors que les concurrents de Standing Ovation n’étaient encore capables de présenter que quelques grammes de protéines. Pour produire 10 kilos de fromage de type “cream cheese”, il faut pourtant compter 1kg de caséines.
"Nous sommes arrivés au siège de Bel, à Suresnes, avec des fromages natures, qui n’étaient pas aromatisés pour masquer d’éventuels défauts. Cela a été beaucoup apprécié. Nous avions aussi un camembert, dont la production est impossible sans caséine. Après cette présentation, c’était évident que nous allions travailler ensemble", se souvient l’entrepreneur, qui a depuis levé 12 millions d’euros.
"ll y a deux grandes familles de protéines qui peuvent être produites par la fermentation de précision : les sérums et la caséine. Aucune entreprise ne commercialise de caséines pour l’instant, or c’est cela que nous recherchons, car c’est ce qui fait la texture et les propriétés culinaires des fromages", précise Anne Pitkowski. L’acteur le plus avancé du marché, Perfect Day, commercialise déjà des produits (des glaces notamment) aux États-Unis, mais uniquement à partir de sérum.
Contrat exclusif
Après avoir pris une première participation lors de la levée de fonds de la startup, Bel a souhaité aller plus loin, avec la signature d’un contrat de R&D exclusif dans la catégorie des fromages. "C’est un partenariat stratégique qui vise à tirer le meilleur des deux partenaires. Nous apportons notre capacité à développer des caséines adaptées aux produits de Bel et Bel apporte sa capacité de production et de commercialisation de produits reconnus par le grand public", détaille Romain Chayot.
Même si la proximité géographique a joué dans les liens qui se sont noués entre les équipes : "Nous n’avons pas choisi Standing Ovation parce que c'était une startup française : les startups que nous avons rencontrées étaient majoritairement américaines et israéliennes. Nous avons fait le choix du partenaire le plus compétent et prometteur", précise la Recherche et Application du groupe Bel.
La roadmap des deux partenaires est déjà bien établie : des dépôts de demande d’autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis mi-2023, puis une commercialisation 12 mois plus tard Outre-Atlantique et entre 18 et 24 mois plus tard en Europe. "L’avantage, c'est que les caséines sont des protéines qu'on consomme depuis toujours. Ce ne sont pas des protéines nouvelles", explique l’entrepreneur, confiant dans sa capacité à obtenir rapidement les autorisations nécessaires de la part des autorités sanitaires.
Production à l’échelle industrielle dès 2023
"Dans la fermentation de précision, aujourd’hui, le verrou n’est plus au stade du laboratoire. Il est dans la capacité à produire des protéines de façon industrielle : c’est là que se situe le principal défi", estime Anne Pitkowski. Pour y parvenir, Standing Ovation compte passer à l’échelle de production industrielle dès 2023, pour pouvoir livrer à Bel des tonnes de protéines, et non plus des kilos.
"Il ne suffit pas de pouvoir produire en grande quantité, il faut aussi être capable de purifier les caséines, à un prix et avec des procédés compatibles avec les contraintes de l’agro-alimentaire", ajoute Romain Chayot, qui estime avoir la bonne technologie pour cela. Avec le passage à l’échelle, les coûts de production devraient diminuer rapidement et être du même ordre que celui des protéines conventionnelles. Les premiers Babybel, Kiri et La Vache qui rit issus de ce procédé pourraient ainsi arriver dans les rayons en 2024 ou 2025, selon les marchés.