Quand Guillaume Martin se lance en 2008 avec Maxime Rafalimanana, son cofondateur, la réaction de leur entourage ne se fait pas attendre : “Quand est-ce que tu cherches un vrai travail ?”. À cette époque, Numa s’appelait encore Le Camping, et ses locaux se trouvaient au dernier étage de l’ancienne bourse du Palais Brongniart.
Les deux cofondateurs se retrouvaient ainsi au milieu d’un symbole de l’ancienne économie, alors même qu’ils l’avaient fui en quittant leur job en finance. La crise des subprimes était passée par là et ils s’étaient regardés avant de se dire : " Viens, on va faire un truc qui nous plaît ".
C’est Maxime qui se lance en premier avec l’envie d’un projet sur le monde de la photographie. Guillaume s’est vite rangé derrière cette idée, assumant un héritage familial, lui qui a développé ses propres tirages dans le laboratoire de photo de son père (ses parents étant passionnés par cet art qui avait déjà vu son grand-père remporter des prix). Eux qui se sentent alors en décalage avec la société depuis qu’ils sont entrepreneurs, ne se sont jamais autant sentis à leur place avec ce projet.
Être entrepreneur à l’époque est pourtant bien différent d'aujourd'hui. " Il y avait peu d’événements startups, explique Guillaume Martin. C’était difficile d’avoir de l’information. Aujourd’hui, certains ont vu des vidéos pour apprendre … nous on a vécu les conneries ". Ils ont ainsi eu le sentiment de rester sur la rampe de lancement pendant trois ans et demi. Jusqu’au jour où ils intègrent Le Camping.
Le Camping puis Techstars Chicago : deux écosystèmes, deux ambiances
" Pour la première fois, on se retrouvait avec des gens qui étaient comme nous, se rappelle-t-il. C’était cool ". Ils se retrouvent ainsi seize heures par jour dans la même pièce avec les mêmes personnes. Dans l’open space, ils partagent l’espace avec les cofondateurs de Bankin, Sketchfab, Kawet (dont les fondateurs ont depuis lancé Biloba), TV Showtime (dont le fondateur Antonio Pinto a depuis lancé Bellman). Tous primo-entrepreneurs, ils débroussaillent un chemin que de nombreux entrepreneurs allaient ensuite emprunter.
Pictarine n’arrive pourtant pas à lever des fonds. " Avec notre outil de partage de photos BtoC, nous étions à des années-lumière de ce qui était finançable en France en 2011 ". En parallèle, Guillaume lisait régulièrement sur TechCrunch le récit des entrepreneurs américains. Il a l’impression que l’écosystème US sera plus accueillant pour eux et ils décident de postuler à tous les accélérateurs existants. Ils sont sélectionnés pour rejoindre Techstars à Chicago pour sa promotion 2012 et s’envolent donc avec des rêves pleins les poches.
" Quand tu arrives aux États-Unis en tant qu’entrepreneur… tu es un héros, raconte Guillaume Martin. C’était tellement loin d’être le cas à Paris à ce moment-là ". Il explique avoir rencontré son métier sur les bancs de Techstars, l’Entrepreneuriat avec un grand E. Ils y feront une rencontre déterminante, celle de Samuel Yagan, cofondateur de Techstars Chicago, mais aussi l’homme derrière SparkNotes, OkCupid, ou encore le protocole eDonkey (qu’utilisait le logiciel de téléchargement eMule).
" On prenait un virage mobile à ce moment-là, se rappelle Guillaume Martin. Et c’était génial de l’avoir. On a compris plein de choses : ce qu’était le produit, l’interface utilisateur, le marketing, la levée de fonds … " Est-ce que l’expérience de Pictarine de l’écosystème entrepreneurial US et diamétralement opposé à celle de l’écosystème français ? Pas exactement : ils tentent à nouveau de lever des fonds sans succès.
Un partenariat déterminant
À cette même période, Walgreens, la deuxième plus grande chaîne de pharmacies aux États-Unis, vient toquer à leur porte. " Ils voulaient faire un partenariat, explique le CEO de Pictarine. On ne les connaissait pas alors on les a envoyé péter ". Ils commencent pourtant à ouvrir les yeux pour découvrir la présence de magasins Walgreens à tous les coins de rue (à peu près 8.000 sur le sol américain). Cela aurait pu être la plus grande erreur de leur aventure entrepreneuriale, mais Walgreens revient pourtant les voir six mois plus tard pour renouveler leur intérêt de nouer un partenariat.
L’idée était simple : la possibilité de commander l’impression de ses photos depuis une application smartphone et venir les récupérer vingt minutes plus tard dans un magasin Walgreens.
" Ils avaient compris l’intérêt d’un tel partenariat pour leur acquisition client. Les gens venaient dans leurs pharmacies pour récupérer leurs photos, mais ils en profitaient pour acheter d’autres choses". En quelques jours, ce premier partenariat sera signé. Guillaume Martin décide donc d’aller frapper à la porte de CVS, la première chaîne de pharmacies devant Walgreens, puis Walmart, le premier groupe mondial de grande distribution généraliste.
Cette fois les discussions s’étaleront sur neuf mois, mais Guillaume arrivera finalement à les convaincre. Pictarine est donc désormais disponible auprès de 23.000 points de vente et réalise 40 millions de dollars de volume d’affaires, pour un CA de 11 millions de dollars en 2022.
Par conséquent, 100 % du chiffre d’affaires est réalisé aux États-Unis alors même que l’ensemble des équipes est basé à Labège (juste à côté de Toulouse). L’envie de faire une percée est pourtant bien présente chez Pictarine. "J’aimerais bien que toutes nos équipes puissent utiliser nos propres produits au quotidien, mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, confesse-t-il, le point de vente partenaire le plus proche est à 6.000 kilomètres de leurs bureaux. J’imprime mes photos chez Cheerz et j’adore ce qu’a fait Antoine (NDA : Antoine Le Conte, co-fondateur de Cheerz), mais j’aimerais bien un jour utiliser mon propre service ".
Comment se lancer en France ?
La solution pour se lancer en Europe aurait pu sembler simple : après avoir convaincu les plus gros acteurs américains, il suffisait de répliquer ce modèle avec des acteurs locaux. " Je me disais que l’on maîtrisait vraiment notre truc aux US et que cela allait se passer facilement en Europe. Je me suis pointé chez Carrefour, à la Fnac, Leclerc, j’ai vu tout le monde… mais on s’est embourbé dans les discussions. Je pense qu’ils n’ont pas la clairvoyance qu’ont les acteurs américains. Les gens ici ne comprennent finalement pas notre proposition de valeur. On avait négligé l’aspect différences culturelles, et on n’arrive pas à dégager un seul euro dans notre propre pays ".
Pictarine décide donc de changer son fusil d’épaule en allant essayer de réfléchir à différents produits pour différents marchés. Et alors que le business historique ronronne, Pictarine décide de se lancer dans une nouvelle étape de son histoire en allant expérimenter de nouveaux produits pour diversifier son offre.
" On a retrouvé un challenge personnel pour se relancer pour dix ans… tout en conservant le contrôle total et l’indépendance financière ".
Parce qu’après avoir échoué à lever des fonds en France puis aux États-Unis, Pictarine a définitivement mis une croix sur la perspective d’une augmentation de capital. " On a très tôt eu envie d’avoir une boîte où l’on n’a pas besoin des autres, lance Guillaume Martin. Plutôt que de perdre notre temps à aller quémander de l’argent, on a décidé de passer plus de temps sur nos utilisateurs et sur le fait de les transformer en clients. Et je pense que cela a été un élément fondateur ".
Grâce à ses chiffres, la startup peut se permettre cette nouvelle phase d’expérimentation qui leur a notamment permis de monter une application avec Ravensburger (Picta Puzzle) pour transformer ses photographies en puzzle, mais aussi avec la Warner pour qu’un enfant puisse personnaliser son futur poster de Batman en y apposant notamment son nom. " Notre volonté, c’est de conserver notre proposition de valeur de récupérer ses produits en vingt minutes chez un partenaire… mais d’apporter des choses différentes, originales et personnalisables ".