" En phase de croissance, il ne suffit pas d’être capable de croître, mais aussi de lutter contre les déséquilibres pour affronter l’hyper fragilité qui va de pair avec l’hyper croissance ", prévient François Bloch, Directeur Général de KPMG France qui témoigne suite à l’enquête menée avec l’Ifop auprès de dirigeants d’entreprises en forte ou en hypercroissance. Si les nombreux recrutements sont synonymes de bonne santé financière, les premiers collaborateurs pourraient être tentés de quitter le navire arguant qu’ils ne se reconnaissent plus dans une organisation dont l’ADN a été altéré. Pour maintenir la cohésion et l’engagement, voici quelques retours d’expérience soufflés par des entreprises en forte ou hyper croissance.
Préférer la cohésion à la segmentation
" L’enjeu, quand on grossit très vite, est de ne pas s’éparpiller. Avant de se focaliser sur l’équipe de départ, il faut d’abord assurer la cohésion globale ", avertit Sandrine Meunier, DRH d’Aircall. La startup est passée de 200 à 800 collaborateurs entre 2019 et 2022 avec des bureaux présents dans 8 pays (versus 2 en 2019). " L’hyper croissance est avant tout un sujet d’inclusion : comment faire en sorte que tous les salariés se sentent liés à l’entreprise ? ". L’un des processus pivot est l’onboarding : " Nous avons structuré une intégration collective et individuelle qui fonctionne en promo, deux fois par mois. L’objectif est d’assurer la diffusion d’un socle commun ". Chez Payfit, idem, l’onboarding est une pierre angulaire de la cohésion. Un enjeu pour la startup qui a vécu une croissance fulgurante passant de 200 salariés début 2019 à 1100 fin 2022. " Les anciens jouent un rôle clé dans l’accueil des nouveaux : ils disposent d’un parrain chargé de leur faire découvrir la culture d’entreprise et répondre à leurs questions. Ce tandem participe à la construction du lien entre les anciens et les nouveaux ", explique Amélie de Lacoste, DRH.
Maintenir sa “culture source” malgré une organisation mouvante
Comment grandir sans trahir son identité ? Quand une entreprise est “en crise de croissance”, ce sont les équipes et les valeurs qui grandissent et changent avec elle. " C'est une problématique clé, notamment pour les talents historiques qui doivent continuer à se reconnaître dans les pratiques au quotidien ", avertit Amélie de Lacoste. Comment résoudre cette quadrature ? " Les valeurs, souvent créées par les fondateurs, sont comme une colonne vertébrale, une boussole. Or, elles doivent aussi être le reflet de l’évolution du corps social ", explique Sandrine Meunier. C’est pourquoi Aircall les a récemment remaniées : " En ateliers, anciens et nouveaux collaborateurs ont travaillé sur leur traduction opérationnelle ". Cet exercice permet surtout aux pionniers de l’aventure de se projeter plus concrètement dans la nouvelle réalité.
Certaines entreprises vont même jusqu’à produire un “culture book” avec l’équipe de départ : un référentiel formalisé des valeurs, de la mission et des pratiques. Bretton Putter, expert en matière de culture d’entreprise à forte croissance et auteur de l’ouvrage Culture Decks Decoded, en a fait un incontournable pour traverser les secousses inhérentes au cycle d’une startup (cf le culture book Netflix).
Communiquer pour entretenir la flamme
" En période de forte croissance, il faut rassurer les équipes en communiquant au maximum ", souligne Françoise Besnard, DRH de Forterro qui recrute 15% d’effectif en plus par an et connaît une croissance externe (rachat de startups) : " Les personnes doivent comprendre très vite les changements en cours, la vision et les étapes à venir afin qu’elles puissent continuer à s’engager dans la trajectoire de l’entreprise. Nous avons lancé des cafés virtuels avec le CEO pour que tous les employés puissent poser leurs questions ". Sandrine Meunier insiste également sur l’importance de la communication désintermédiée : " On organise régulièrement des sessions de questions-réponses appelées “ask me anything” pour répondre aux questions RH, organisationnelles ou produits ".
Autre volet important pour maintenir l’énergie du départ : la présence des cofondateurs : " Leur proximité avec les équipes permet d’infuser l’esprit entrepreneurial. Tous les salariés historiques jouent aussi ce rôle : des rencontres sont organisées entre les membres de l’équipe de leadership et les nouveaux arrivants. Ils représentent un exemple de résilience, de créativité et d’engagement ", explique Amélie de Lacoste.
Construire des parcours d’évolution pluriels
La création de “career paths” avec la possibilité d’évoluer vers des responsabilités managériales ou d’expertise est un levier d’engagement. C’est ce que propose Forterro : " Nos managers sont issus de la mobilité interne afin de fidéliser les experts du départ. La croissance des effectifs a permis de les positionner à des postes stratégiques ". Mais les chemins d’évolution ne doivent pas être trop linéaires : une trajectoire à la carte est proposée chez Aircall " afin d’être en phase avec les aspirations individuelles et d’accompagner les transitions ", explique Sandrine Meunier. Chez Payfit, les parcours collaborateurs ont été soigneusement pensés pour nourrir l’engagement, notamment des anciens : " Leur présence dans des jobs clés de l’entreprise joue un rôle essentiel pour conserver une culture forte et ancrée ", insiste Amélie de Lacoste.