" On manque de talents avec de l’expérience, confiait Jean-David Chamboredon dans une récente interview donnée à Maddyness. Un manque d’expérience qui peut conduire des entreprises à avoir du mal à passer des plafonds de verre. Amener une entreprise de 1 à 10 millions, ce n’est pas la même chose que de 10 à 100 millions ". Pingki Houang fait partie de ces rares profils dans l’écosystème français qui connaissent la croissance sur le bout des doigts.
Né au Cambodge en pleine guerre civile, Pingki Houang arrive en France à l’âge de 5 ans. Ses parents l’encouragent à faire de longues études, mais son parcours sera marqué par une passion pour les nouvelles technologies. Il se souvient encore du jour où son père l’a emmené dans un événement où Steve Jobs présentait l’Apple II Plus à Paris. Il se souvient aussi du club informatique où il fait ses premières armes, ainsi que des premières consoles de jeux vidéo (les Atari ST et Amiga) sur lesquelles il passera toutes ces nuits. Il va d’ailleurs créer sa première boîte dans l’import de jeux vidéo à l’âge de 19 ans.
Ses parents voudraient le voir faire de grandes études, à l’instar de ses frères et sœurs, devenus ingénieurs ou architectes. Il décide de se former à l’école de la vie. Il compensera ainsi son manque d’étude en travaillant toujours plus que les autres. Il possède aussi deux qualités qui allaient lui être précieuses dans le monde de l’entrepreneuriat : une soif d’apprendre en permanence et une grande capacité à prendre des risques.
Un début de carrière haut en couleur : la Fnac puis Pixmania
Sa carrière débute véritablement à la Fnac, en tant que vendeur. Il y restera sept ans à monter les échelons un à un." À la Fnac, j’ai compris le retail… et j’ai aussi compris le fonctionnement d’une boîte franco-française où c’est très politique et il faut avoir fait certaines écoles pour pouvoir prétendre à certains postes. Je suis parti quand j’avais atteint le bout… " . Nous sommes en l’an 2000 et Pingki Houang arrive au moment de la création de Pixmania. Directeur des ressources humaines, de la communication, COO, mais aussi directeur général, il va à nouveau évoluer de poste en poste, au cours des 12 années qu’il passera dans ce groupe. " C’est là que j’ai tout appris, explique-t-il. J’ai compris que tout était possible quand on est autodidacte, curieux et que l’on travaille. Le principe, c’est de dire que l’on ne sait rien… et que l’on apprenait en marchant… ou plutôt en courant ".
Parce que l’aventure Pixmania a été une course. De 1,7 million d’euros de volume d’affaires au moment où ils pivotent vers la vente d’appareils photo numériques, Pixmania passe à 30 millions d’euros, 75, 130, 250, 400… jusqu’à frôler le milliard d’euros de volume d’affaires sur la fin.
Une croissance phénoménale qui pourrait rendre arrogant et qui, du moins d’après Pingki Houang, les a rendus moins regardants sur la concurrence. " Le grand apprentissage de l’aventure Pixmania, c’est qu’il faut toujours réussir à avoir un début et une fin. Tu peux être au top un jour et tu peux tomber le lendemain. La loi de la physique est toujours respectée dans le monde de l’entrepreneuriat et il faut toujours savoir quand partir ".
Depuis lors, Pinkgi Houang pense toujours ses expériences professionnelles en portions de trois ans. " Quand je m’engage pour trois ans, je le fais forcément avec une intensité différente que si je suis là pour dix ans. On se remet en question assez vite. Tous les ans tu regardes si tu es en ligne avec tes objectifs ". Pour lui, trois ans est la bonne unité de mesure pour une expérience professionnelle. Cela ne signifie évidemment pas qu’il faut forcément quitter son emploi tous les trois ans, mais cela donne un horizon suffisamment lointain pour apporter un véritable impact, et suffisamment proche pour donner la pression nécessaire.
" Cela me permet d’être sûr que l’apport de valeur est réel ", explique-t-il.
Chassé pour être le DG de Showroomprivé et Stuart
Quand vient le moment pour Pingki de quitter Pixmania (l’entreprise avait été revendue en 2006 à Dixons qu’il décrira comme une mauvaise synergie), il se prépare à faire un long break pour se remettre de l’intensité des dernières années. Il se voit profiter pendant au moins six mois. Il croise alors par hasard le cofondateur de Showroomprivé au cours d’une soirée. Le courant passe immédiatement et Thierry Petit lui partage le fait qu’il cherche un directeur général depuis deux ans et demi sans succès. Pingki lui rétorque : " Je n’ai pas envie de bosser maintenant, mais je te rejoins l’année prochaine si tu veux ". Thierry Petit arrive à le faire venir dans les locaux de la startup pour rencontrer les équipes. Pingki Houang avait quitté Pixmania en octobre 2012, et il commencera chez Showroomprivé en novembre de la même année.
Il y découvre la valeur d’avoir les fondateurs encore dans une position de “doers” : qui peuvent venir challenger Veepee. Pour comparaison, l’entreprise encore connue à l’époque sous le nom de Vente-Privée enregistrait 1,2 milliard d’euros sur le même périmètre, alors que Showroomprivé réalisait 250 millions d’euros au moment où Pingki Houang les a rejoints.
Trois ans plus tard, le chiffre a doublé pour venir combler leur retard sur celui qui était alors le leader incontesté du secteur. " Showroomprivé, c’est une belle réussite française, livre-t-il. J’ai encore une fois ce sentiment que tout est possible. Qu’avec les meilleurs talents et une vision claire, on peut y arriver ". Il gardera un souvenir plus amer de l’introduction en Bourse de Showroomprivé, événement qui va signer son départ de l’entreprise. " Les valorisations n’ont parfois pas de sens et tu te retrouves avec une sanction immédiate si tu dérapes d’un pour cent ".
Il part alors faire du ski pendant quelques mois quand une chasseuse de têtes arrive à le joindre avec une proposition : rejoindre Stuart en tant que directeur général. Il y garde un excellent souvenir de l’expérience même s’il ne reste qu'à peine un an. La Poste, actionnaire de Stuart depuis 2015, active alors son option d’achat plus rapidement, ce qu’elle fait en mars 2017.
Aux yeux de Pingki Houang, La Poste est l’une des entreprises françaises les plus innovantes.
Un focus sur la data : FashionCube et Scalapay
Il va ensuite créer FashionCube pour le compte des marques textiles du groupe Mulliez (Jules, Brice, Bizbee, Pimkie, Orsay, Rouge Gorge, Grain de Malice) où il voit l’urgence de la transformation du retail. " C’est un milieu où, malheureusement, ils ne savent pas prendre des décisions au bon moment. Je ne vais pas dire qu’ils ont trop d’affect… mais ils ne sont pas assez orientés datas. Ils ont besoin de prendre la décision de se couper un bras pour que le corps puisse tenir… mais ils ne le font pas. Et pourtant, ils sont très lucides, ils travaillent avec les meilleurs analystes et ils comprennent la situation ".
Puis Scalapay arrive à la vitesse de l’éclair. Ils sortent de nulle part et atteignent le statut de licorne en seulement trois ans. Pingki Houang fait de nouveau son arrivée dans la boîte via une rencontre. Un ami qui aidait Scalapay, demande à Pingki son avis sur le paiement en trois fois. " Je lui ai dit, écoute, ne cherche pas… ça va exploser ! "
Il est même intéressé pour rencontrer le fondateur avec l’idée d’investir dans la boîte. Il va finalement se retrouver à bord de la fusée. La mission de Scalapay est d’offrir aux clients l’expérience d’achat la plus fluide possible. Cela passe notamment par le paiement fractionné (en trois fois) qui permet finalement aux marchands d’augmenter le taux de conversation, le panier moyen et la fidélisation.
Là aussi Pingki Houang arrive dans l’entreprise avec son mantra du " tout est possible " ! Après avoir atteint une valorisation supérieure à un milliard en trois ans, il arrive avec l’ambition de multiplier cette valorisation par cinq. On ne se refait pas quand on a l’hypercroissance dans le sang. La conjoncture actuelle l’amène pourtant à revoir la copie.
" Le plan reste le même, assure Pingki.Mais ça prendra juste un peu plus de temps ". Le fil rouge de toute cette histoire ? Des rencontres qui jalonnent le parcours de Pingki Houang… où les valeurs partagées sont un critère primordial.
" L’autre fil conducteur c’est que j’essaie de ne pas trop travailler, avoue-t-il en souriant. Je suis donc mes passions, et cela ne ressemble absolument pas à un travail ".