Une pépinière sur les toits d’un HLM nantais, une ferme urbaine implantée sur une ancienne friche en plein quartier nord à Marseille, un bunker strasbourgeois devenu champignonnière… Sur fond de crise climatique, sanitaire et économique, l’agriculture se réapproprie les espaces urbains et s’invite désormais au menu des politiques de la ville.
" Le mouvement s’est professionnalisé et institutionnalisé, observe Hugo Meunier, CEO de Merci Raymond. Depuis 2015, la startup qui propose des services de végétalisation et d’agriculture urbaine, a vu la filière évoluer. Pour lui, le mouvement s’est professionnalisé et même institutionnalisé. Et pour cause, sa startup a le mérite d’avoir vu la filière évoluer ces dernières années, avec des avancées majeures. " Le cadre réglementaire notamment en matière d’urbanisme bouge. L’Etat comme les villes se dotent de plus en plus de politiques et d’outils pour favoriser l’agriculture urbaine mais il faut avoir un esprit militant pour dédier des espaces à l’agriculture urbaine ou à la nature en ville. Ce sont des espaces très concurrencés par d’autres services. Un jardin rapporte moins que la construction d’un bâtiment, par exemple. "
Une filière qui pousse
Mais alors combien d’espaces disponibles dénombre-t-on ? S’il existe des inventaires d’espaces verts réalisés au niveau local, aucun outil ne permet aujourd’hui de recenser tous les espaces potentiellement disponibles. " L’accès au foncier peut constituer un premier frein pour les porteurs de projets ", explique Alina Bekka, coordinatrice des études et du conseil au sein de la Cité de l’agriculture à Marseille, laboratoire dédié à la transition écologique des villes. Un outil participatif pour cartographier les espaces marseillais est d’ailleurs en cours de développement.
Ce sont autant d’actions qui illustrent la structuration du phénomène de l’agriculture urbaine. A titre d’exemple, l’Association française d’agriculture urbaine professionnelle (AFAUP) a même vu le jour en 2016. Elle totalise 110 structures adhérentes qui cultivent 952 sites ; ce qui représente 160 hectares exploités (l’équivalent de la superficie du 4ème arrondissement de Paris) et 820 emplois. Des chiffres en constante progression (en 2020, il n’y avait que 80 structures adhérentes).Une tâche ardue tant les typologies et les fonctions diffèrent selon qu’il s’agisse d’une ferme urbaine ou périurbaine, de jardins associatifs, de micro fermes urbaines, de serres urbaines et de fermes indoor (caves ou milieu contrôlé). A noter que toutes les initiatives ne s’inscrivent pas dans une démarche durable.
Si l’engouement est bien réel pour ce sujet, l’agriculture urbaine ne suffit pas à rassasier les citadins. En cause, le faible rendement des cultures intra urbaines, qui ne couvrent pas les besoins. Comme l’explique Christine Aubry, docteur en agronomie " L’autonomie des villes se joue plutôt du côté de l’agriculture périurbaine. Dans certains territoires, une grande partie de cette production est exportée. Si elle était réorientée vers les villes, elle permettrait l’autosuffisance. " Et de citer comme exemple la ville de Lyon, qui crée des jumelages entre les communes périurbaines et les arrondissements de la ville pour orienter les productions vers la ville.
Cultiver une ville résiliente
Des pistes sont explorées un peu partout en France pour défendre un modèle alimentaire durable dans les interstices de la ville. En 2019, Merci Raymond a remporté l’un des appels à projets d’agriculture urbaine - Parisculteurs - de la Ville de Paris. " Nous avons proposé la première bière locale du XIe arrondissement, raconte Hugo Meunier. Le houblon est cultivé sur les murs du gymnase et de la piscine Georges Rigal par nos jardiniers. Après une récolte participative, nos partenaires - des brasseurs situés dans la même rue - produisent près 500 litres. " Récolte, transformation et dégustation : tout se passe dans la même rue.
" Les toits sont des espaces intéressants pour l’agriculture urbaine, explique Christine Aubry. Ils présentent l’avantage de ne pas avoir de sol pollué par les métaux lourds comme c’est parfois le cas des terres en ville. Ce qui ne représente pas forcément un obstacle. Parce qu’on peut recréer du sol ou travailler en hors sol. " Certains misent sur les sous-sols. Comme l’entreprise Cycloponics, qui s’est spécialisée dans le recyclage des structures souterraines en zones d’activité agricole. A Strasbourg, cette jeune pousse a installé, en 2021, un espace de culture dans un ancien bunker réaménagé en ferme où l’on cultive désormais des produits peu énergivores comme des champignons ou des endives vendus en circuit-court.
Pour Christine Aubry, l’agriculture urbaine et périurbaine déclenche la création de services, comme la rétention d’eau ou encore la valorisation des déchets organiques urbains. Une manière d’organiser la résilience des villes, soutenue par des initiatives comme la startup Upcycle (qui produit des composteurs électromécaniques de bio-déchets et du conseil en agriculture urbaine) ou encore Les Alchimistes (qui utilise les déchets organiques des populations urbaines, pour fabriquer le compost qui sert aux cultures).
Une manière de lever les freins liés au manque d’espace, et qui apporte des solutions concrètes pour demain.
Faire germer le lien social et les projets
Si l’agriculture urbaine contribue modestement à une alimentation plus durable en délocalisant une petite partie de la production, elle joue un rôle non négligeable “ en connectant les citadins à leur alimentation ”, estime Christine Aubry.
Au-delà d’un intérêt économique et environnemental, le bénéfice est aussi social pour les villes. Cohésion, insertion professionnelle, éducation à l’environnement… L’agriculture urbaine est très investie par les entreprises de l’économie sociale et solidaire.
A Marseille, la Cité de l’agriculture défend quant à elle, une justice agro-alimentaire. Leur credo : " une transformation écologique socialement juste. Et cela passe notamment par des programmes d’accessibilité des populations à une alimentation saine et durable ", rapporte Alina Bekka. L’association porte une vingtaine de projets dont la ferme Capri qui a vu le jour en 2021, sur près de 8 500 m² d’anciennes terres agricoles en friche dont 4 000 m2 cultivées actuellement. La zone située en plein cœur des quartiers nord de Marseille a été mise à disposition par la municipalité, via un bail reconductible de 10 ans. " Ici, les légumes sont vendus à des prix accessibles à la population locale qui bénéficie également de visites, d’ateliers, de stages et de manifestations autour de l’alimentation, de l’agriculture, etc., rapporte Alina Bekka. L’association développe un incubateur de projets centré sur l’alimentation durable, soutient l’antenne VRAC de Marseille (des groupements d’achats pour rendre abordables les produits bio et locaux dans les quartiers prioritaires de la ville), et enfin, fédère les réseaux d’agriculteurs urbains, etc.
L’action sur le terrain permet d’évaluer les effets sociaux, urbains, environnementaux et agronomiques. Les différents acteurs fédérés sur le terrain (collectivités locales, entreprises, aménageurs, architectes…) imaginent et testent les dispositifs qui répondront aux enjeux de demain. Une agriculture centrée sur la valorisation des déchets et l’exploitation des terrains, mais surtout sur la création de liens forts pour les populations. C’est aussi cela la culture en partage.