17 novembre 2022
17 novembre 2022
Temps de lecture : 7 minutes
7 min
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"Dans un monde de transparence, le fameux “fake it until you make it” atteint ses limites"

L'écosystème doit-il toujours se reposer sur des méthodologies conçues il y a plus d'une dizaine d'années - à l'instar du lean startup ou réinventer ses propres référentiels face aux défis qui s'ouvrent à nous ? Comment construire une nouvelle façon d'entreprendre positive, optimiste où les enjeux du monde de demain deviennent des leviers de succès et non des contraintes ? Des (grandes) questions que Maddyness se pose avec Justine Soudier, la directrice de EDHEC Entrepreneurs dans un entretien où elle livre ses défis actuels autant que la vision d'un acteur incontournable sur l'éducation de demain.
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Quelle est la thèse de départ des incubateurs EDHEC ?

EDHEC Entrepreneurs a pour ambition d’accompagner les entrepreneurs engagés, à ouvrir de nouvelles voies.

Au cœur de nos parcours, nos trois incubateurs (Station F - Paris, Lille et Nice-Sophia) proposent un accompagnement personnalisé d’un an, à des porteurs de projet de tous horizons et de tous secteurs.

Quelques informations clés ? 50 startups incubées par an, 300 étudiants pré-incubés par an, avec 85% de taux de survie à 3 ans et des succès comme Yuka, Jump ou 900.care

Tu me disais que la dette sociale et environnementale des entreprises augmente avec le temps, tu peux nous en dire plus ?

Beaucoup pensent que la responsabilité est une affaire de grands groupes ou de scale-ups.

"Beaucoup pensent que la responsabilité est une affaire de grands groupes ou de scale-ups"

Nous croyons quant à nous au pouvoir des débuts afin de créer des startups " responsible by design " : Des startups qui intègrent la responsabilité dès la construction de leur Business Model.

Cette méthode est vertueuse car il est beaucoup plus facile et moins couteux d’engager une démarche de responsabilité dès les débuts, sur la base d’une feuille blanche. Cela permet d’éviter les difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises plus matures, avec des organisations plus complexes et un grand nombre de parties prenantes.

C’est ce que prouve notre enquête " Startups et Entrepreneuriat responsable " (octobre 2022) réalisée en partenariat avec STATION F : 20% des startups en seed et pré-seed évoquent le manque de ressources et de temps comme principal frein à l’implémentation d’une stratégie responsable contre 71% des startups les plus matures.

"La dette ESG grandit au rythme de croissance de l’entreprise. Tel un logiciel construit sur un mauvaise code (dette technique), il faut déconstruire et recréer"

  • en effet, la dette ESG grandit au rythme de croissance de l’entreprise. Tel un logiciel construit sur un mauvaise code (dette technique), il faut déconstruire et recréer ce qui va induire du temps humain important et des bugs de plus en plus fréquents.
  • Commencer le plus tôt possible permet également :

a. de donner de la cohérence à son engagement : en effet la responsabilité n’est plus une pièce rapportée pour limiter une externalité négative, mais partie prenante du BM (ndlr business model) et de l’ADN de la startup. Ce qui permet d’aligner l’ensemble des composantes de l’entreprise et augmenter également la confiance des parties prenantes.
b. de grandir dans la bonne direction : les bonnes habitudes restent solidement ancrées quand elles sont prises tôt, et permettent de faire une différence considérable en grandissant. C’est donc un atout qui permet de mieux gérer l’hypercroissance.

En économie ou en stratégie on évoque souvent la notion de " coût d’opportunité ", comme étant le prix à payer ou le manque à gagner pour ne pas avoir mené à bien un projet, une action. Avec le retard pris sur les sujets ESG nous sommes sur la même idée, sauf que les effets négatifs sont à la fois sur la planète, la société, et également l’entreprise qui devra dédier davantage de temps et de ressources à (re)construire parfois des pans entiers de sa culture, de son organisation et de ses opérations…

Comment faire alors pour lancer une entreprise avec le meilleur impact possible ?

Au contact de l’écosystème et de nos startups incubées, nous percevons différents niveaux d’engagement pour créer des entreprises réellement vertueuses. Il s’agit principalement de combiner et d’aligner :

  1. L’impact = faire le bien (externe) = construire un BM vertueux qui aura pour but de provoquer un changement positif, mesurable et durable au sein de la société, par exemple par la résolution d’un ou plusieurs ODD.
  2. La responsabilité = bien faire (interne) = développer des pratiques et des opérations plus vertueuses dans le fonctionnement de son entreprise, en lien avec l’ESG. Exemple : éco-conception de son produit ou service, mode de distribution plus verte, gestion de la données ou politique D&I dans son recrutement.

Pour que l’impact soit réel, ce sont les fondateurs qui doivent porter la thématique afin d’en faire un sujet stratégique et maintenir l’engagement. Et ce dès les débuts comme nous l’avons vu. Cela part de l’intentionalité des fondateurs et c’est ensuite un cheminement continu.

Il faut aller au-delà d’une logique de conformité ou de réduction des externalités négatives (l’ESG et la RSE sont encore trop souvent réduits à cela). Il faut être performant et innovant sur ces sujets, et s’interroger sur la construction de son entreprise, afin de créer une entreprise régénérative : qui donne plus que ce qu’elle ne prend, et cela pour toutes ses parties prenantes (collaborateurs, fournisseurs, communautés locales… mais aussi pour la planète).

"Il faut s’interroger sur la construction de son entreprise, afin de créer une entreprise régénérative : qui donne plus que ce qu’elle ne prend"

Il y a un vrai enjeu d'apprentissage pour les nouvelles générations d'entrepreneurs, comment faire pour les former selon toi ?

Le premier niveau est la prise de conscience et la sensibilisation. Au stade de l’idée, il est encore possible de sensibiliser les startups sur les modèles économiques alternatifs, plus vertueux ; et plus on avance dans les stades de maturité, plus il sera nécessaire de les sensibiliser à des pratiques plus vertueuses dans le fonctionnement de leur entreprise. Si généralement les entrepreneurs ont conscience de l’importance du sujet, ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils peuvent faire plus et mieux car il n’y a pas de référentiel en la matière. Il faut donc les sensibiliser et les aider à identifier leurs enjeux prioritaires, ce sur quoi ils peuvent s’améliorer.

"Si généralement les entrepreneurs ont conscience de l’importance du sujet, ils ne se rendent pas toujours compte qu’ils peuvent faire plus et mieux car il n’y a pas de référentiel en la matière"

Puis vient l’accompagnement. Aujourd’hui les incubateurs, initialement créés pour accompagner les entrepreneurs sur leurs problématiques économiques, doivent élargir leurs offres pour proposer un accompagnement à la performance globale : performance économique, sociale, sociétale et environnementale (critère de succès aujourd’hui pour les entreprises). Il faut échanger et construire collectivement les contenus, outils et méthodes entre incubateurs sur ces sujets.

"Il faut échanger et construire collectivement les contenus, outils et méthodes entre incubateurs sur ces sujets"

Par exemple, ce que nous proposons avec EDHEC Entrepreneurs :

  • critère de sélection de nos entrepreneurs sur la base de l’engagement,
  • diagnostic pour aider nos entrepreneurs à identifier leurs enjeux prioritaires,
  • ateliers spécifiques sur 10 thématiques identifiées,
  • un outil de pilotage pour s’évaluer et progresser : Zei,
  • un accompagnement à la certification B Corp car l’équipe est formée B Leader,
  • et plus largement, un bon moyen de faire passer les entrepreneurs à l’action est de faire de l’impact/responsabilité un critère de sélection important, pour les incubateurs et les investisseurs. Rôle incitatif de l’écosystème important.

Et comment faire pour former les étudiants - autant que les enseignants - à ces nouvelles méthodes ?

Former les étudiants à ces sujets, c'est notre responsabilité, en tant qu’institution, pour faire émerger une génération d’entrepreneurs plus responsable.

Mais il faut réinventer l’enseignement de l’entrepreneuriat dans les écoles. Les méthodologies enseignées se basent généralement sur ce qu’on appelle le Lean Startup, une méthode de référence permettant de rencontrer rapidement son marché mais qui n’a pas évoluée depuis 15 ans. Sans la remettre en question, elle n’est plus suffisante pour répondre entièrement aux attentes de la nouvelle génération et de l’ensemble des parties prenantes (la responsabilité est maintenant un élément de succès important pour les entreprises, on attend davantage des startups que de réussir économiquement).

"Le Lean Startup, une méthode de référence permettant de rencontrer rapidement son marché mais qui n’a pas évoluée depuis 15 ans. Sans la remettre en question, elle n’est plus suffisante"

Dans un monde de transparence, le fameux “fake it until you make it” atteint également ses limites.

Notre objectif ? Faire émerger une méthodologie entrepreneuriale nouvelle, pour concilier performance économique et responsabilité dès la création d’un projet. Et ainsi compléter et renouveler les concepts existants autant que faire émerger la nouvelle génération d’entrepreneurs, conscients et engagés.

L’EDHEC souhaite contribuer activement au sujet, grâce à la création du Center for Responsible Entrepreneurship dont la mission est de créer les méthodes, outils et contenus, pour faire de l’entrepreneuriat responsable la nouvelle norme. Nous sommes notamment en construction d’un référentiel collaboratif, accessible en open source, pour guider les entrepreneurs et leur permettre de progresser avec des pistes concrètes.

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