Pourquoi André Manoukian se retrouve-t-il à la Une de Maddyness ? La raison s’appelle MatchTune (précédemment connu sous le nom de Muzeek), une startup qu’il a fondée il y a dix ans. " On veut devenir le Spotify de la musique à l’image ", explique-t-il à Maddyness, décrivant sa solution technologique qui s’adresse à tous les créateurs de vidéos qui souhaitent synchroniser automatiquement une musique avec l’image.
" MatchTune travaille ainsi avec des compositeurs, dont les morceaux passeront dans les rouages de son algorithme. Résultat ? Pour chaque morceau, une centaine de musiques différentes vont être générées pour ensuite venir habiller un clip publicitaire, un réel Instagram, ou une vidéo de mariage. " Ce process nous a permis de construire un catalogue de 10.000 œuvres en six mois avec douze compositeurs ", décrit André Manoukian.
Rapidement, il comprend que le problème n’est pas de produire de la musique : la barrière à l’entrée n’a jamais été aussi faible pour venir créer un morceau depuis chez soi. Le vrai enjeu, c’est de vendre ses créations.
Avec Philippe Guillaud, son co-fondateur, ils décident de se mettre au service des créateurs en créant ce qu’ils baptisent l’Artist Music Program (AMP) pour que les musiciens indépendants puissent intégrer leurs créations au catalogue MatchTune et être rémunérés lors de chaque utilisation. " C’est vraiment l’un des derniers modèles économiques pour un créateur de musique à l’heure où la musique est gratuite. Mes enfants n’ont jamais dépensé un centime pour s’acheter un disque ou s’abonner à une plateforme, ils sont sur YouTube toute la journée. Donc les seuls revenus qui existent dans la musique sont ceux des concerts et de la synchro ".
Entrepreneur depuis toujours
" Je suis un artiste, lâche André Manoukian. Donc a priori une cigale qui n’est pas du tout équipée pour être un entrepreneur. Mais, en réalité, j’ai dû être entrepreneur pour m’en sortir ". Pour lui, être musicien, c’est comme être acteur : " vous dépendez du désir des autres ". Pour lui, la meilleure manière de se faire embaucher pour le rôle de ses rêves pour un acteur, est de produire soi-même ce film. Il applique le même précepte à la musique et, plutôt que d’attendre de se faire repérer, il vient créer les projets musicaux pour lesquels il voudrait se faire embaucher.
S’il faut remonter au tout début de l’histoire, il faut retrouver le jeune André en train de vendre des orgues dans un supermarché pour s’offrir les frais de scolarité de la Berklee School of Music de Boston. Son diplôme en poche, il comprend très vite que le studio est la clef du succès. " À l’époque, il fallait aller mendier auprès d’un producteur pour avoir trois jours de studio pour faire la musique qu’on aime ".
Il retourne à Lyon, sa ville natale, pour construire son premier studio d’enregistrement qu’il finance en venant réaliser des musiques de publicité. " Quand j’ai vu le matériel arriver dans le studio, j’ai compris que je ne pourrais plus me cacher derrière les autres si cela ne marchait pas. Je n’ai jamais eu autant de pression ".
Le pari est on ne peut plus gagnant : c’est grâce au studio qu’il deviendra le producteur de sa première chanteuse, une jeune femme du nom de Liane Foly. André Manoukian, l’artiste, décolle… mais sa fibre entrepreneuriale n’est jamais très loin. Il observe la montée de la bulle internet de l’an 2000, une époque où l’argent coule à flots pour des idées sur un PowerPoint alors que les artistes ont des difficultés à financer un album.
" Mais qu’est-ce que je peux faire dans la musique ? ", commence-t-il à se demander. La première idée vient sur les Champs-Élysées, avec la découverte d’appareils ressemblant à des jukebox qui, sous le nom d’Astroflash, vous délivre une liasse de papier avec des conseils astrologiques quand vous entrez votre date de naissance. " Avec un pote, on s’était dit, tu ne veux pas que, à la place d’avoir une liasse de papiers, on te donne ton Astromusique ? On a déliré sur cette idée qui m’a amené à me demander comment traduire la personnalité de quelqu’un en musique ".
André Manoukian commence à creuser la question du prénom, censé influencer sur notre caractère d’après la sonorité que dégage votre prénom. De fil en aiguille, il pense notamment aux Allemands qui ne désignent pas les notes de musique comme étant La, Si, Do, Ré, Mi, Fa, Sol, mais comme A, B, C, D, E, F, G.
À partir de là, il élabore un principe de correspondance entre les lettres et les notes.
Le succès est immédiat : dès qu’il est invité à un dîner avec un piano à proximité, il vient proposer aux invités de créer leur portrait musical à partir des notes associées à leur prénom. " Les gens adoraient cela et je me retrouvais à devoir faire toute la table ". André Manoukian imagine une application pour téléphone qui viendrait créer la mélodie de chacun. Il se rapproche d’un ami présent dans la Silicon Valley et intègre l’incubateur de The Refiners à San Francisco avec cette idée. Il y rencontrera son co-fondateur Philippe Guillaud.
L’idée ne provoque pas l’enthousiasme espéré et va être rapidement abandonnée pour s’attaquer à un besoin bien plus pressant de l’industrie musicale, celui du droit d’auteur avec l'objectif de rémunérer les artistes tout en venant servir le marché en hypercroissance depuis quelques années, celui de la vidéo.
Le jazz de l’entrepreneur
Tout au long de cette interview, André Manoukian fera de nombreux parallèles entre l’entrepreneuriat, internet et le jazz.
" Internet s’est développé autour de deux attractions principales : la pornographie et le piratage musical. C’est pareil que pour les débuts du jazz : pendant la prohibition, les premiers producteurs étaient des proxénètes et des bandits. Rien n’a changé ! " Et quand on le questionne sur les origines de sa fibre entrepreneuriale, et sur la présence éventuelle de modèle dans son entourage, sa réponse est immédiate :
" Je dirais que mon modèle, c’est le jazz. Le jazz, c’est l’improvisation, c’est savoir se démerder quoi qu’il arrive. C’est pouvoir répondre à ce qui se passe. C’est avoir toujours une longueur d’avance puisque l’anticipation, c’est la rhétorique du jazz. Quand vous êtes en train d’improviser, vous êtes obligés de penser à l’accord d'après ".
Un ancien slogan de la marque Sony lui vient en tête, comme étant la plus belle définition d’un créateur : " Vous en avez rêvé, Sony l'a fait cite-t-il avant de poursuivre. Un créateur, c’est quelqu’un qui entre en connexion avec l’inconscient collectif d’une foule et qui lui présente quelque chose que la foule n’avait pas identifié, mais dont elle rêvait. Et c’est là que le succès arrive ".
Manoukian évoquera à plusieurs reprises la stratégie de l’océan bleu, une idée bien connue des entrepreneurs, qui veut que la plupart des acteurs se concurrencent sur un petit marché alors qu’il y a un océan bleu d’idées et de stratégies non-exploitées, libre de concurrence. C’est là que l’artiste-entrepreneur veut aller.
C’était déjà là que l’on pouvait le trouver dans les années 80 quand un directeur artistique avait retoqué une maquette de Liane Foly en lui lançant : " Enlève la trompette coco, c’est trop jazz, ça ne marchera jamais ". André Manoukian avait décidé de suivre son intuition jusqu’à amener la chanteuse sur une fabuleuse carrière de chanteuse jazzy. " Vous êtes un artiste digne de ce nom si vous êtes en perpétuelle quête, partage-t-il. Ça marche pour un musicien, pour un artiste, et c'est la même chose pour un entrepreneur ".
Le retour aux sources
André Manoukian n’est pas un entrepreneur comme les autres, et c’est justement ce qui fait sa fierté. En effet, l’idée d’une application qui vient créer une mélodie à partir des lettres d’un prénom revient sur le devant de la scène. Encore au stade expérimental, l’application se trouve sur le store d’Apple sous le nom de MyMelodie et vient délivrer exactement la vision originelle de Manoukian. " Je nous vois comme un label, explique-t-il. Comme un label de disque travaille sur plusieurs artistes. Nous, notre idée, c’est d’utiliser toute notre tech pour faire pleins d’outils qui facilitent la vie des musiciens ou qui amènent les utilisateurs sur la voie de la musique ".
Il se tait un instant avant de venir commenter le manque de focus que l’on pourrait reprocher à sa startup : " Il ne faut pas dire ça aux investisseurs parce que ça les fait flipper, paraît-il. Mais justement, je n’en ai rien à foutre, on ne va pas faire comme les autres ".