Face au contexte incertain, difficile de se projeter. La French Tech a encaissé le premier semestre 2022 avec succès, avec un total de 362 opérations de levées de fonds pour un montant de 8,4 milliards d'euros (+63 % sur un an), selon le dernier baromètre EY publié en juillet. Mais les levées de fonds étant des processus longs, ces chiffres résultent en partie d'une fin d'année 2021 encore favorable.
Un ralentissement a depuis été observé sur le marché français, qui suit la tendance internationale. Au troisième trimestre, le financement mondial du capital-risque a atteint 74,5 milliards de dollars – son niveau le plus bas depuis plus de deux ans, et en chute de 34 % sur un trimestre. Cela se traduit par une baisse de 10 % des transactions, selon le rapport de CB Insights publié le 11 octobre. Même constat dans la dernière étude de Crunchbase, en date du 6 octobre.
Économiser son cash jusqu'à l'été 2024
" Le ralentissement sera visible d'ici la fin de l'année. Il faut aussi s'attendre à une année 2023 difficile car techniquement, le marché n'est pas encore entré en récession mais il continue de se tendre, explique Rodolphe Menegaux, partner chez Alven. C'est pourquoi il y a déjà de l'anticipation avec un certain attentisme des fonds afin de déterminer la bonne stratégie à appliquer dans les prochains mois ". Pour le secteur, cela passe par un changement de paradigme, avec la fin de la course à la croissance folle financée par une dette massive. La soutenabilité du business model est désormais scrutée par les investisseurs.
Pour traverser cette période houleuse, le premier conseil est " de préserver au maximum son cash pour essayer de tenir au moins jusqu'à l'été 2024 sans avoir besoin de se refinancer ", selon Rodolphe Menegaux. Les cas de figure varient selon les jeunes pousses. Cela peut passer par " un décalage de certaines embauches jugées moins prioritaires - l'écosystème ayant connu une forte croissance des recrutements depuis 2020. Cela peut aussi être l'occasion d'améliorer ses positions sur les marchés actuels, plutôt que d'investir massivement pour développer un nouveau marché ", illustre l'investisseur.
Revoir sa proposition de valeur
Les fonds appellent ainsi les startups à retravailler leurs propositions de valeur pour rester compétitifs. Dès janvier, Eutopia, fonds spécialisé dans l'impact et les marques de consommation, a organisé des réunions avec les sociétés de son portefeuille pour revoir les stratégies. " Les startups ressentent l'inflation à deux niveaux : les coûts de production sont en hausse et les chiffres d'affaires sont en baisse car l'inflation a un effet direct sur le pouvoir d'achat des ménages ", résume Antoine Fine, partner chez Eutopia.
Le fonds aide donc ses startups à " trouver une approche prix qui soit adaptée au contexte, précise-t-il. Cela passe par un nouveau travail sur le produit. Il faut pouvoir rester accessible en entrée de gamme. Il faut aussi innover – soit pour ajouter de la proposition de valeur et donc, justifier une hausse de prix, soit pour améliorer sa marge sans augmenter le prix ". Et de poursuivre : " Cela pousse les sociétés à se questionner davantage : mieux connaître ses coûts fixes, revoir son contrôle de gestion, optimiser sa chaîne de valeur... C'est une prise de conscience saine pour l'écosystème ".
Créer des opportunités
Comme pour toutes les périodes de crise, " c'est le moment d'être créatif et de créer des opportunités ", affirme Antoine Fine. Une incitation partagée par Rodolphe Menegaux. " Cela peut être l'occasion de travailler sur des projets de fusions/acquisitions. Dans notre portefeuille, c'est le cas de Qonto, qui a acheté son concurrent allemand Penta, ou encore JobTeaser, qui a acquis son concurrent danois Graduateland ", liste-t-il.
Au-delà des startups, " le marché du financement doit aussi s'adapter et proposer une nouvelle typologie de produits, peut-être plus techniques, pour mieux répondre aux problématiques actuelles ", estime Antoine Fine. C'est pourquoi le spécialiste de l'impact a lancé courant 2021 un nouveau fonds, baptisé Eutopia Preferred, qui propose un financement avec des " actions de préférences, ce qui est moins dilutif que des fonds propres ", poursuit-il. Toujours en levée, le fonds espère atteindre entre 60 à 80 millions d'euros d'ici la fin de l'année prochaine.