Il existe un curieux paradoxe dans le monde des solutions de data et d’analytics. En 2021, alors que 220 milliards de dollars ont été investis dans ce marché, seulement 20 % des entreprises utilisaient ces données au quotidien pour prendre des décisions. Ces entreprises semblent donc comprendre l’importance de ces données pour mieux piloter leur business, mais avaient des difficultés à faire le dernier kilomètre pour les utiliser concrètement au jour le jour.
Le pouvoir du Data Storytelling
C’est le constat de départ de Toucan Toco, startup qui s’est créée en 2015, venant proposer un tableau de bord qui permet de raconter la donnée d’une manière claire et actionnable. Une solution de data storytelling complémentaire des outils existants.
Baptiste Jourdan, cofondateur et Chief Revenue Officer de Toucan Toco, se rappelle d’une anecdote à propos du groupe Crédit Agricole. L'ancien outil précédemment utilisé par le groupe plafonnait à un taux d’usage faible pour les collaborateurs sur le terrain en recherche de simplicité et de mobilité. Dès l’arrivée de Toucan Toco, ce chiffre est passé à 80 %.
" Mon client m’a dit que cela avait transformé la manière de travailler des équipes. Avant, en réunion, ils mettaient quarante minutes à se mettre d’accord sur les chiffres parce que chacun avait son tableau de bord et ils passaient dix minutes à parler de plan d’action. Maintenant c’est l’inverse. Ils parlent dix minutes des chiffres parce qu’ils sont tous alignés en utilisant le même outil, et ils passent quarante-cinq minutes sur les prises de décision et l’action ".
De la même manière, Emmanuel Macron a piloté une série de réformes en utilisant un tableau de bord Toucan Toco, à une époque où ses équipes cherchaient une solution souveraine française. Restée en autofinancement pendant cinq années, la startup a pourtant finalement décidé de réaliser sa première levée de fonds en 2019.
Le risque du défocus suite à une levée de fonds
" Il y a eu un avant et un après, confie Baptiste Jourdan à Maddyness. On était autofinancés, rentables, mais on a décidé de lever pour passer à l’échelle. On voulait recruter, être plus ambitieux sur le produit, sur les ventes… avec l’objectif d’ouvrir le marché américain ".
Les fondateurs décident donc de lever 8 millions d’euros, accompagnés de 4 millions de dettes pour rassembler les 12 millions qui leur permettraient d’atteindre ces objectifs.
Après cinq années en autofinancement, ce choix fait forcément débat entre les cofondateurs. Faut-il vraiment lever et changer la dynamique et la stabilité de la boîte ? " La discussion s’est effectivement posée, mais nous sommes quatre fondateurs avec des valeurs communes, nous n’avons pas oublié la raison pour laquelle on s’était lancés dans cette aventure. Donc en fait, ce n’est pas un problème à partir du moment où tu te dis juste que cela te permet de remettre un peu de fuel pour pouvoir aller un tout petit peu plus vite ".
Malgré tout, toute levée amène son lot de désagréments et pour Toucan Toco, cela viendra sous la forme d’une perte de focus. " L’ombre de cette levée de fonds, explique Baptiste Jourdan. C’est que, comme tu as plus de capacités d'investissement, tu te dis que tu vas faire un projet en plus parce que tu peux le supporter et en fait je ne suis pas certain que ce soit la bonne façon de faire. Mon conseil : tu as levé sur une thèse… cette thèse, tu dois la suivre ! Fais-en moins, mais fais le mieux… c’est ça le plus important, je pense ".
Pour illustrer ce point, les équipes de Toucan Toco ont décidé d’attaquer en simultané les Pays-Bas et les États-Unis. Ils ont d’ailleurs fermé leur bureau à Amsterdam pendant la COVID pour se concentrer sur leur croissance outre-Atlantique. Le bilan de cette expérience était pourtant loin d’être négatif. Ils ont signé plusieurs clients qui ont largement couvert les frais investis pour se lancer dans ce pays. " Ce n’est donc pas négatif, mais c’est du défocus ", lâche Baptiste Jourdan.
Une croissance décidée
Toucan Toco ne cherche pourtant pas de croissance exponentielle, celle qui pourrait faire vibrer toute une partie de l’écosystème. L’enjeu était que l’entreprise puisse trouver son propre rythme, sans se laisser embarquer dans un schéma de croissance dans lequel il ne se reconnaîtrait pas. " Nous sommes ravis d’avoir atteint cette croissance organique, maîtrisée et où l’équipe grandit petit à petit, avec un souci porté sur la culture de l’entreprise. Cela nous a permis de trouver notre identité dans un monde où tu es poussé en tant qu’entrepreneur à toujours lever des fonds et lever des fonds… pour pouvoir mieux valoriser ta boîte. Pour nous, c’est un projet entrepreneurial, qui est drivé par la passion de l’humain et de créer une belle aventure ".
Toucan Toco aurait d’ailleurs pu réaliser un deuxième tour de table, mais a décidé de le repousser à plus tard. En effet, selon les fondateurs, plusieurs fonds d’investissement se montreraient intéressés.. Mais cinq années d’autofinancement leur avait appris à être prudents : " En fait aujourd’hui, on n’arrive pas à dépenser notre argent. C’est quelque chose que l’on ne sait pas faire ".
Comme tout, il s’agit pourtant de quelque chose qui peut s’apprendre et Toucan Toco a maintenant monté une équipe avec une plus grande séniorité. De l’aveu de Baptiste Jourdan, cela offre une plus grande sérénité pour les fondateurs et la possibilité de préparer la suite. " Le futur de Toucan Toco, c’est les US, nous livre-t-il. On y est bien structurés depuis 2022 avec une équipe d’une vingtaine de personnes (ndlr : et quatre-vingts en France) que l’on va tripler l’année prochaine ".
Le challenge en Europe est différent. Toucan Toco aurait atteint un stade de maturité où les clients qui leur font confiance depuis quatre ans et plus, viennent déployer la solution beaucoup plus largement dans leurs équipes.
Baptiste Journan illustre ce point en citant des clients qui ont démarré avec 100 à 500 licences, et qui souscrivent aujourd’hui plus de 10.000 licences, pour offrir l’outil à une vaste partie de leurs collaborateurs. " Aujourd'hui, on est vraiment une bonne PME parce que l’on fait de la croissance et que l’on crame très peu de cash. En fait, depuis deux ans, on est revenu à une efficience qui pourrait nous permettre de repartir en mode bootstrap dès l’année prochaine. On est break even et aujourd'hui, cela nous laisse aussi cette marge de manœuvre de dire que l’on peut revenir à ce qu'on sait très bien faire dans un marché où il est très difficile de passer une série B en ce moment ".