5 octobre 2022
5 octobre 2022
Temps de lecture : 7 minutes
7 min
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Juice : une réalité augmentée audio, imaginée par le papa des Nabaztag

Et si l’écran n’était qu’une période de l’internet ? Rafi Haladjian, figure de l’internet français, a lancé Juice il y a maintenant un an : retour sur cette vision d’un avenir alternatif, pour notre consommation d’information.
Temps de lecture : 7 minutes

Rafi Haladjian est un pionnier et il l’a toujours été. D’abord passé par le Minitel, Rafi Haladjian a lancé le premier opérateur Internet en France, avant de déployer des antennes sur les toits des immeubles pour améliorer la connectivité, bien avant la 3G.

Puis, avec Violet, il créera le Nabaztag, un lapin connecté qui pouvait parler tout au long de la journée pour partager l’actualité, lire vos derniers mails, ou annoncer la météo : " C’était un peu une illustration par l’absurde, explique-t-il à Maddyness. Nous voulions montrer que si on peut même connecter des lapins, par définition on va pouvoir connecter tout le reste ".

Il faudra ensuite attendre près de 10 ans pour voir l’émergence des assistants vocaux d’Amazon, Google ou Apple.

Un accès à l’information toujours plus rapide et personnalisé

Avec Juice, Rafi Haladjian veut explorer l’étape d’après, celle d’une réalité augmentée par l’audio. Il le reconnaîtra volontiers, toutes ces briques font partie de la même histoire, celle d’un accès à l’information toujours plus rapide et personnalisé. " Au départ, on vivait dans un désert où l’accès au savoir était difficile. Après, on a eu des oasis chez soi qui était le minitel, où il fallait prendre son chameau et aller jusqu’à l’oasis quand on avait soif. Après on a eu de plus en plus d’eau avec l’arrivée d’internet, puis de l’ADSL… jusqu’à avoir de l’eau partout et à travers tout. Mais cette histoire, elle n’est pas finie. On pourrait avoir l’impression qu’elle est terminée depuis que l’on a un smartphone, mais on l’a que dans sa poche ".

Il nous décrit alors le besoin de " consulter son téléphone ", une action qui requiert de stopper l’action en cours pour consulter son écran. Rafi Haladjian a la vision d’un internet qui vient souffler les informations à nos oreilles quand on en a besoin.

Une sorte de Jiminy Cricket qui viendrait donner l’information au moment opportun. Un assistant rapproché, toujours près à chuchoter l’information pertinente au creux de l’oreille, pour résumer la biographie de la personne que vous êtes sur le point de rencontrer, de vous donner ses dernières actualités et de retrouver son dernier tweet tout cela en quelques secondes pour donner un contexte précieux en amont du rendez-vous.

La comparaison avec Jiminy Cricket est d’ailleurs encore inscrite dans le nom de la startup. Si le nom de la bonne conscience de Pinocchio n’était pas envisageable pour des raisons de propriété intellectuelle, Rafi Haladjian a d’abord réduit ce nom aux initiales " JC " avant de lui rajouter trois petites lettres pour éviter toute connotation messianique : Juice était né.

L’origine d’une idée

" C’est un peu le but que d’avoir une voix comme celle de Scarlett Johansson qui vous parle à l’oreille comme dans Her, nous lâche-t-il avant de plaisanter. Nous sommes d’ailleurs en pourparlers avec Scarlett ". Le film de Spike Jonze n’a pourtant pas été une source d’inspiration pour Rafi Haladjian, qui l’a vu, bien après avoir eu cette idée.

La vraie histoire date de 2017 et est un peu moins glamour que la première, puisqu’elle vient d’un dîner avec un de ses amis, Félix, 65 ans, qui lui avouait avoir besoin d’un appareil auditif. À cette époque, les AirPods n’existaient pas encore et Rafi Haladjian se retrouve fasciné par l’appareil auditif qu’il anticipe immédiatement comme pouvant accueillir de la réalité augmentée. Il a l’image d’un objet qui pourrait souffler une information personnalisée à son oreille. Les prémices de Juice sont posées.

Quand l’innovation vient de la rencontre avec un vieux monsieur et son appareil auditif.

La Dream Team qui lui tombe dessus

Rafi Haladjian ne se met pourtant pas immédiatement au travail. Un tel projet requiert une solide équipe avec des compétences très recherchées sur le monde du travail. Sa dream team va pourtant lui tomber du ciel. Rafi Haladjian connaît Stéphane Dadian de longue date : " C’est le fils d’un ami… que j’ai connu tout petit et qui soudain était moins petit (27 ans). Il m’a raconté qu’il faisait des études de robotique et de NLP (NDA : Natural Language Processing) à l’université du Michigan et qu’il travaillait désormais dans la Silicon Valley dans une startup de la voicetech, notamment avec Louis Monier. Il m’a proposé de venir le voir ".

Rafi Haladjian fait le voyage poussé par la curiosité et par ce nom : Louis Monier, le cofondateur et CTO d’Altavista, le moteur de recherche de l’ère pré-Google qui est considéré comme l’un des gourous de l’intelligence artificielle. Il découvre alors un projet qui essaye de calculer la valeur nutritive d’une actualité, partant du principe que le monde est submergé d’informations, et que le tri devra être fait entre les informations utiles sur le moment et le reste.

Le projet est notamment développé par Arié Selinger, un petit génie de 23 ans qui sort du MIT où il se spécialise en Data Science et fait de la recherche au Centre de Recherche Opérationnelle (MIT ORC). Le courant passe vite et Rafi Haladjian voit vite que la technologie développée pourrait servir de moteur à son idée de Jiminy Cricket. Stéphane et Arié proposent de le rejoindre à Paris pour monter Juice, avec Louis Monier parmi les associés. Sa dream team est complète.

 

Une vision long terme

Si l'application Juice est d’ores et déjà disponible sur les stores d’Apple et Google, l’expérience est encore loin de la vision d’un assistant audio de réalité augmentée. Une vision qui n’est pas si loin de nous d’après Rafi Haladjian : " Techniquement, il y a du boulot… mais aucune des briques n’est à inventer. Mais ce qui est long et qui prend du temps, c’est l’éducation du public. Il faut créer d’abord la confiance des gens, créer des habitudes avec des écoutes longues ".

De ce côté-là, Juice fait son chemin. D’une moyenne de vingt minutes d’écoute par jour, l’application est passée à quarante en septembre. Et les utilisateurs reviennent généralement trois fois par jour sur quatre jours par semaine. " C’était l’exercice le plus difficile à atteindre : faire partie de la routine des gens ".

La startup s’est maintenant donné pour objectif de toucher 100.000 utilisateurs d’ici à la fin de l’année (le nombre d’utilisateurs est aujourd’hui situé entre 20.000 et 50.000) et va inaugurer sa version anglaise dans les prochains mois pour y arriver. Mais l’autre challenge, c’est de délivrer cette vision d’un Jiminy Cricket 2.0.

L’exaltation comme moteur

Quand on le questionne sur l’entrepreneuriat et sur ses conseils aux jeunes entrepreneurs, un sourire malicieux apparaît sur ses lèvres : " J'ai l'habitude de dire aux entrepreneurs, et à mes enfants, cette phrase de Jean Paul II : “N’ayez pas peur !” Il ne faut pas trop se poser de questions. Il faut y aller. En fait, tout ce que vous imaginez comme problème ne se produira pas. Mais il va vous arriver plein d'autres trucs, donc vous verrez bien le moment venu. Il n'y a aucun moyen de les anticiper. Et de manière générale, ce sera trois fois pire que ce que vous pensez".

"Mais à partir du moment où votre moteur est avant tout l'exaltation. Il faut croire dans ce que vous faites, mais croire pas tellement dans le sens de : “je vais faire fortune avec ça”, mais dans le sens de ce truc là est intéressant, le vrai mot c’est exaltant… c’est ce que j’ai envie de faire. Et c'est cette exaltation qui vous fait vous lever le matin pour “surbosser” dessus. Et cela va faire que vous allez faire un bon produit qui, à la fin, va faire que les gens vont en vouloir et vous donnez de l'argent.

"En fait, le truc, c'est que l'argent vient si vous faites bien votre boulot".

"C'est assez moral en fait à l’arrivée. Mais pour faire bien votre boulot, vous devez l'aimer. Et ce qui est bien avec l'exaltation, c'est quand bien même ça ne marcherait pas, parce que parfois ça ne marche pas… au moins, vous avez la satisfaction d'avoir fait quelque chose qui vous amuse. Imaginez que vous faites un truc que vous n'aimez pas et que, en plus, ça ne marche pas ".

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