La connexion à la terre est inscrite dans l’ADN de Gilles Dreyfus. Sa mère ayant toujours habité à la campagne, il a de nombreux souvenirs à faire des confitures avec la récolte de leurs arbres fruitiers. S’il a décroché un Master en Finance à l’Université de la Sorbonne, Gilles Dreyfus peut aussi bien parler de psychologie humaine, de la migration des populations ou de l’évolution des manières de consommer.
Son cheval de bataille depuis près de sept ans, c’est l’agriculture verticale. Lorsque Maddyness part à sa rencontre, la rédaction le retrouve au centre de sa plus grande réalisation, à Château-Thierry dans l’Aisne : une ferme qui s’étend sur 4.000 mètres carrés et -surtout- s’élève à 14 mètres.
Recréer les conditions extérieures avec poésie
Gilles Dreyfus défend vivement son modèle : l’agriculture verticale n’a rien à voir avec les serres hollandaises qui produisent des tomates “sans saveur”, il n’est pas non plus question de déshumaniser le métier d’agriculteur en transformant les exploitations en usines sur plusieurs étages. Le président de Jungle arrive même à en parler avec poésie : " On sait précisément ce dont a besoin un plant de basilic, ce qu’il va puiser dans la terre pour s’exprimer le mieux possible. Donc aujourd’hui, grâce à la technologie, la data, l’IA, on est capable de reproduire ce qui se passe à l’extérieur. Le soleil, c’est sept couleurs. Si on mélange ces couleurs comme peut le faire un peintre, on obtient vingt-et-un pigments. Notre travail, c’est de savoir qu’au début de sa vie, la plante va avoir besoin d’intégrer un spectre et une intensité différente au cours d’un cycle diurne et nocturne. Puis au fur et à mesure qu’elle est dans sa phase de croissance, ses besoins vont changer ".
Il y a énormément de respect pour la terre et ses fruits dans le discours de Gilles Dreyfus. Les équipes de Jungle ont ainsi passé plusieurs années de R&D à observer les plantes pour trouver la recette qui permettra d’atteindre des croissances idéales. Le tout, sans pesticide, sans herbicide et sans fongicide… dans un environnement contrôlé, où les LED simulent la lumière du soleil et où la culture hydroponique permet l’irrigation, avec une solution qui apporte les sels minéraux et les nutriments essentiels à la plante.
Dans cette ferme, Jungle reproduit donc les conditions naturelles, tout en évitant toutes les incertitudes des cultures de plein champ (cultures brûlées par le soleil, ou noyées par des pluies diluviennes, ou encore attaquées par un parasite).
Une approche complémentaire
La ferme de Jungle pourrait ressembler au cadre d’un film de science-fiction, où un scénario dystopique verrait l’humanité réduite à cultiver sa nourriture dans de grandes usines plutôt que sur une terre rendue stérile. Cette idée de voir l’agriculture verticale remplacer l’agriculture conventionnelle ne plaît pas aux travailleurs de la terre… et elle ne plaît pas non plus à Gilles Dreyfus : " On ne pense pas que l’on va remplacer quoi que ce soit ! On est une solution complémentaire à ce qui existe aujourd’hui ". Il explique alors à Maddyness l’impossibilité de cultiver de nombreux plants dans une ferme verticale : comme les pommes de terre, le maïs, le soja, la betterave ou le blé. Techniquement et agronomiquement, tout est possible… la barrière est économique : " Ça n'arrivera jamais. Ce sont des cultures qui demandent de trop grands espaces ", prévient-il.
De la même manière, de nombreux arbres fruitiers comme les orangers, les citronniers ou les amandiers, n’ont aucun sens dans le cadre d’une agriculture verticale. Ces arbres s’élèvent sur trois à quatre mètres quand ils sont en bonne santé et peuvent difficilement se retrouver dans des rangées superposées de cultures. " Il n’y a pas de rentabilité à aller chercher de ce côté-là. En revanche, on s’intéresse aux concombres, aubergines, courgettes, poivrons, piments, fruits rouges, fraises, framboises, mûres, myrtilles, tomates cerise, tout type de tomate, et aussi ce que l’on fait déjà avec les salades, les herbes aromatiques, les jeunes pousses. Là, on obtient globalement plus de 50 % d'un panier de fruits et légumes en termes de rendement. Et ça, on peut le faire ".
Le " Farming as a Service "
Si Gilles Dreyfus insiste sur la complémentarité de son modèle, c’est aussi parce que son développement se fera en collaboration avec les agriculteurs. Il parle de l’hybridation de l’agriculture : " Dans les cinq à dix ans à venir, nous sommes convaincus qu’une grande partie des coopératives agricoles et des grands exploitants auront une ferme verticale sur leur terrain, en complément de leurs terres agricoles. Cela va venir répondre à des problèmes d'import en hiver, et de diversification de leur portefeuille ". Jungle souhaite donc construire des fermes verticales pour le compte de grands agriculteurs et de coopératives.
Pour l’expliquer, Gilles Dreyfus file l’analogie de la machine Nespresso avec d’un côté la machine (la ferme verticale) et de l’autre les capsules de café (les graines, les substrats, les recettes de culture et la maintenance préventive et curative de la ferme). La ferme de Château-Thierry devient ainsi une formidable vitrine qui prouve aux agriculteurs la viabilité de ce modèle en produisant déjà 160 tonnes de plantes par an, alors même qu’elle n’est qu’à 50% de sa capacité de production.
Entouré d’une équipe de 40 personnes, Jungle vise la rentabilité en 2025
Avec 11 millions d’euros levés à date, la startup se prépare à un nouveau tour de table pour financer cette vision FaaS (Farm As A Service). Gilles Dreyfus est confiant dans l’avenir et nous partage ses chiffres avec fierté. Alors qu’ils avaient réalisé 56.000 euros de chiffres d’affaires en 2020 et 205.000 euros en 2021, l’année 2022 devrait leur permettre de se hisser au-dessus du million (prévision de 1,3 millions d’euros).
Sur leur business plan, l’année 2027 prévoit un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros et Gilles Dreyfus se montre confiant dans les chances de sa société de les atteindre. Et pourtant, il l’admet : " Aujourd’hui, tout est un combat ! "
Cela ne le surprend pas outre mesure puisqu’il a conscience de s’attaquer à un marché où il doit changer les perceptions du consommateur, tout comme celui des agriculteurs, tout en assemblant quelque chose qui n’existait pas auparavant. " Il n’y a pas de benchmark sur le modèle financier, il n’y a pas de référence, il y a tout à faire ".