La guerre des talents ? Un phénomène vieux comme McKinsey ! Enfin presque. En tout cas, c’est à ce célèbre cabinet de consulting new-yorkais – quasi centenaire – que l’on doit cette expression. Elle a été utilisée pour la première fois à la fin des années 1990. L’économie américaine est alors en surchauffe et la concurrence pour la main-d’œuvre qualifiée, intense.
Depuis, le concept triture les méninges de générations entières de recruteurs. " Il y a toujours eu des secteurs plus ou moins touchés par le manque de main-d’œuvre, souligne Christophe Debray, Chief Operation Officer du cabinet de recrutement international, Anywr. Mais cette fois, le phénomène est plus large. D’un côté, les talents ont de nouvelles exigences. Et de l’autre, les entreprises durcissent les conditions de recrutement stratégique, notamment parce que recruter a un coût non négligeable. Aujourd’hui, il nous faut déployer trois fois plus d’énergie pour voir aboutir un recrutement. "
La faute à la crise sanitaire ? Pas forcément. " Elle a agi surtout comme un accélérateur sur des tendances que nous observions avant 2019 comme, par exemple, la quête de sens, l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle, précise Sophie D’Armagnac, chercheuse et professeur en Management de ressources humaines au sein de la Toulouse Business School.
Définir ce qu'est un talent
Comment recruter un talent dans un tel contexte ? D’abord en étant bien au clair sur le profil recherché et ce que l’on peut lui apporter. " Le talent est une notion plastique qui évolue en permanence selon un contexte économique, l’émergence de nouveaux métiers, explique la chercheuse. Il se définit également en fonction d’un besoin de l’entreprise. "
" Hier, on cherchait les meilleurs sur la technique et le résultat, note Christophe Debray. Aujourd’hui, les entreprises sont attentives à la personne, à la manière dont elle va pouvoir grandir dans l’entreprise. Le talent peut être individuel mais il doit amener à une performance collective. " Pour le Chief Operation Officer d’Anywr, expertise, savoir-être et l’indispensable adéquation entre les valeurs de l’entreprise et celles du talent forment le socle d’un recrutement réussi. Autant de principes qui seront propres à chaque entreprise.
Plateforme, prestataires, talent reviews : les outils pour le détecter
Le recrutement de talents est un exercice subtil notamment lorsqu’il intervient dans un contexte où le rapport de force s’est inversé. Typique d’un marché où l’offre est plus grande que la demande ! Alors il ne faut pas hésiter à diversifier ses viviers de candidats. Certains se tournent vers des prestataires spécialisés dans les talents.
" Plus que des chasseurs de tête, nous sommes devenus des agents de joueur, souligne Christophe Debray dont l’entreprise revendique une base de données de 250 000 talents répartis dans le monde entier. Le principal terrain de jeu de ceux que l’on nomme aussi Talent Acquisition Manager : LinkedIn. Leur mission : faire " matcher " talent et entreprise.
" Les plateformes du type Malt sont aussi des antichambres du recrutement, note Sophie d’Armagnac. L’exercice peut être chronophage car les profils y sont nombreux mais cela offre la possibilité de tester un talent. " Un vivier intéressant mais potentiellement plus volatile.
Le talent émerge parfois dans le bureau d’à côté. " C’est tout l’art d’un recrutement et d’un suivi RH efficace ", souligne Angélique Bechet, responsable des recrutements de talents chez ScaleYouUp, solution de talent acquisition pour les start-up et PME. Pour ne pas passer à côté, il faut être aux aguets. Des revues de talents (ou talent reviews) - ces réunions qui mêlent RH, dirigeants et managers - permettent d’évaluer les compétences des collaborateurs, d’identifier et accompagner les potentiels talents.
Établir une relation sincère et sur-mesure : la clé pour l’attirer !
Pour espérer “ ferrer ” un talent, mieux vaut le connaître, comprendre où il place ses ambitions, ses valeurs, etc. " Entreprises et recruteurs nouent des relations plus personnalisées avec le talent ", observe Sophie d’Armagnac.
" Aujourd’hui sur LinkedIn, on joue la carte de la proximité. L’approche du talent est directe et personnalisée, souligne Angélique Bechet. En règle générale, les personnes qui ne sont pas dans une perspective de changement à un instant T, apprécient que l’on garde le contact avec eux au cas où… Il ne faut pas négliger la force des communautés de candidats. "
Même démarche chez Anywr : " Nous entretenons nos viviers de talents : des mails pour prendre des nouvelles, des afterworks, des newsletters sur les tendances des marchés qui les intéressent… "
Aujourd’hui attirer un talent, c’est un peu plus qu’une question de rémunération. " Ils veulent des plans de carrière clairs et un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, indique Christophe Debray. Il faut leur donner du grain à moudre, la possibilité d’innover mais pas seulement. Le challenge ne fera pas tout. Il faut du sens. Ils veulent avoir le sentiment de contribuer à quelque chose. " L’image et la culture de l’entreprise seront déterminantes. Mais inutile de brandir un étendard RSE ou Qualité de Vie au Travail (QVT) de façade. Un manque de sincérité dans le propos et les actes de l’entreprise finit toujours par se savoir… et le talent ne sera pas dupe longtemps.
Fidéliser ou l’art délicat de " cultiver " ses talents
Justement, fidéliser le talent est sans doute l’enjeu majeur d’un recrutement. Un faible niveau de rétention envoie un mauvais signal et s'avère généralement coûteux pour l’entreprise. Du sens, des missions, des perspectives de carrière, un cadre de travail plaisant, de la flexibilité… La formation et tout ce qui le fera évoluer ou grandir au sein de l’entreprise sont de bons leviers de fidélisation.
Et le salaire dans tout ça ? La surenchère salariale ne suffit plus à appâter. Pour autant, " les talents iront plus volontiers vers un poste qui leur évite l’insatisfaction d’un salaire trop bas ", relativise Sophie d’Armagnac.
Fidéliser suppose de bien connaître le talent recruté et de prendre régulièrement son pouls.
" L’entretien annuel n’est clairement pas suffisant, estime Angélique Bechet. Il faut des rendez-vous managériaux plus fréquents, car ce sont souvent des profils créatifs à l’esprit entrepreneurial qui ont besoin de perspectives, d’un environnement véloce... Il faut être réactif. " Un jardin à cultiver.