Suivre sa glycémie, sa fréquence cardiaque ou encore son sommeil en quelques minutes et depuis son smartphone : c'est la promesse attirante, mais souvent pas ou mal tenue d'un nombre grandissant d'applications. Ces dernières années, le marché des applications de santé a explosé dans le monde pour atteindre plusieurs centaines de milliers d'applications à caractère médical.
Derrière ces chiffres, une grande variété de dispositifs plus ou moins élaborés : du suivi de maladies chroniques à l'anticipation de rechutes éventuelles de cancer, ou encore à la prise de variables médicales, à l'aide ou non d'objets connectés. Il existe ainsi "un tas d'applications qui proposent de suivre la fréquence cardiaque" grâce à un smartphone, indique Nicolas Pagès, anesthésiste réanimateur et fondateur de Satelia, plateforme remboursée par la Sécurité sociale, qui propose un suivi aux patients insuffisants cardiaques.
"Il suffit de mettre son doigt sur l'appareil photo du téléphone et cela détecte les pulsations à partir de la variation des couleurs" , explique-t-il. Si cette technologie "marche très bien" , difficile de savoir s'il en est de même pour d'autres applications, insiste-t-il. "Il y en a qui sont totalement farfelues" et "ce qui est difficile, c'est de s'y retrouver, de différencier les applications sérieuses de celles qui ne le sont pas".
Un manque d'évaluation
Car les belles promesses sont souvent bâties sur du vent, alerte-t-il. La grande majorité des applications téléchargeables par le grand public n'ont, en effet, pas prouvé leur efficacité. Une étude menée par une équipe française et publiée en juillet 2022 dans le Journal of Medical Internet Research (JMIR) a mis en lumière ce problème. Sur 68 applications françaises analysées, 64 %, soit plus des deux tiers, n'avaient réalisé aucune étude clinique pertinente avant leur commercialisation. Et seules 21 % des applications avaient réalisé une étude randomisée, soit un protocole expérimental destiné à mesurer leur efficacité.
Notamment parce qu'elles ont un coût - plusieurs dizaines de milliers d'euros - et ne sont pas rendues obligatoires. "Il n'y a pas le même circuit pour une application en médecine que pour le circuit du médicament par exemple, regrette Rémi Sabatier, cardiologue au CHU de Caen, et vice-président de l'Institut national de e-santé, qui cherche à structurer cet écosystème. Il y a eu des applications qui proposaient une mesure de la tension et qui étaient complètement bidon". Ce qui est "très ennuyant, parce que les gens qui les utilisaient pensaient surveiller leur tension" , et étaient donc mis en danger.
"C'est vous le produit"
Autre risque : celle de la sécurisation des données très sensibles de santé. "Pour le moment, c'est un peu le far west" , regrette Vincent Trely, président fondateur de l'Association pour la sécurité des systèmes d'information de Santé. Une grande partie des applications disponibles sont gratuites. Or, "si c'est gratuit, c'est vous le produit" , expose-t-il, avec "l'unique objectif de collecter des données en masse" pour les revendre.
Pour autant, toutes les applications ne sont pas à mettre dans le même panier. Il existe une vraie différence entre les applications de bien-être et celles purement médicales, pointent les spécialistes, même si "la frontière est parfois ténue et la législation laisse le choix à chacun de dire où il se situe" , relève Rémi Sabatier.
Ainsi, les "applications promues par les médecins" sont "fiables" , assure Vincent Trely, mais sont très peu nombreuses. Validées scientifiquement, elles proposent pour la plupart le suivi de pathologies cardiaques ou chroniques comme le diabète. Disponibles sous prescriptions, elles sont remboursées par l'Assurance maladie. Si elles sont encore peu connues, elles devraient gagner en visibilité prochainement avec la mise en place sur l'espace numérique de Santé d'une plateforme de téléchargement dédiée.
Ce changement ouvrira peut être aussi un débat sur la finalité de ces applications, la grande majorité des dispositifs visant actuellement à "améliorer la santé des gens qui ne sont pas malades" , relève Nicolas Pagès. "Rien n'empêche les gens de prendre leur fréquence cardiaque pour le fun, mais ce qui coûte de l'argent à la société française c'est les maladies chroniques" , relève-t-il, plaidant pour le développement d'outils pour "mieux prendre en charge ces gens" et "faire qu'ils soient moins hospitalisés".