Thibaud Hug de Larauze a grandi avec l’idée que l’entrepreneuriat était la clef de la liberté. Son entrepreneur de père lui a ainsi transmis une conception de la vie où gagner sa vie en faisant ce qu’on aime était le combo parfait pour être heureux. Ce n’était donc absolument pas une surprise quand il décida de créer sa boîte au sortir de son premier job.
La beauté du reconditionnement
Au début de sa carrière, Thibaud a passé plus de deux ans chez Neteven, une plateforme qui facilite l’intégration aux marketplaces. " C’est là que j’ai découvert les marketplaces et la beauté de ce modèle, explique-t-il à Maddyness. Mais j’y ai surtout découvert la beauté de l’industrie du reconditionnement ".
À l’époque, et encore plus qu’aujourd’hui, il s’agit d’une niche. Le mot " reconditionné " n’était même pas encore référencé dans le dictionnaire.
Mais, dès 2012, il visite les ateliers des clients de Neteven et se rend compte de toute la valeur apportée aux produits en les reconditionnant. " Je me suis dit : cette industrie est en train de créer une petite révolution, et le client devrait le savoir. Je suis sûr que si le client le sait… il va préférer acheter un produit reconditionné qu’un produit d’occasion et surtout qu’un produit neuf ! "
Il imagine alors toute la logistique à mettre en place pour réparer et remettre à neuf ces produits, ce qui emmène son cerveau dans une réflexion de plusieurs mois.
" Au fond de moi, il y a très vite une vraie conviction que c’est le sens de l’histoire que de faire grandir ces acteurs du reconditionnement. Parce que les consommateurs vont y trouver un intérêt certain. Ce sont des produits qui sont vendus beaucoup moins cher que les produits neufs, avec des garanties qui n'existent pas sur l'occasion. Et en plus écologiquement, c'est beaucoup plus vertueux. Cela devrait être l'économie normale puisque les ressources sont limitées. Un jour, on n’aura pas le choix. On devra réutiliser nos produits parce qu'on ne pourra plus en créer de neufs. La tension sur les matières premières sera tellement forte, que cela n'aura plus aucun sens économiquement. "
Il fait la rencontre de Quentin Le Brouster, ingénieur back-end chez Neteven qui deviendra co-fondateur et CTO dans l’aventure Back Market. Ils sont tous les deux convaincus du potentiel de l’idée, et décident d’y travailler pendant une petite année sur leur temps libre.
Et vient le moment de rencontrer les fondateurs de Neteven pour expliquer leur projet et leur volonté de partir. Ce n’était pas dans la stratégie de Neteven de se positionner sur ce créneau, mais ces derniers vont devenir un des premiers soutiens. Thibaud et Quentin sont donc partis avec le soutien des fondateurs de Neteven, entreprise qui travaille toujours avec Back Market jusqu’à ce jour.
Un état d’esprit que Thibaud a choisi de transposer dans la culture de Back Market. Il s’agit toujours d’une déception de voir de bons éléments quitter l’entreprise, mais il accueille toujours avec plaisir la nouvelle d’un employé qui décide de sauter le cap de l’entrepreneuriat : " Moi je trouve ça génial d’avoir des employés qui se lancent dans l’entrepreneuriat. Cela veut dire que tu les as un peu outillés et qu’ils ont pris assez confiance en eux pour le faire. Donc on a plutôt fait un bon job au niveau de Back Market pour ça parce qu'on a plein d'entrepreneurs qui se lancent ".
" Je trouve que c'est plutôt une fierté quand tu as des salariés qui partent pour créer leur boîte. C'est cool ! ".
Quand le vieux continent s’attaque au nouveau monde
Nous sommes en 2014 et Back Market se lance avec de grandes ambitions. Deux ans plus tard, c’est l’ouverture de l’Espagne, premier pays où la startup s’installe après la France. La plateforme est aujourd’hui disponible dans 16 pays (la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Autriche, les Pays-Bas, la Finlande, le Japon, le Portugal, l’Irlande, la Grèce, la Slovaquie et la Suède), mais un marché prendra une signification particulière pour Back Market : les États-Unis.
" C’était un saut quantique ", lâche Thibaud Hug de Larauze.
À l’époque, pas une personne ne leur conseille d’y aller : c’est un risque énorme, cela coûte une fortune… aucune boîte BtoC française n’a réussi à s’y imposer. La startup choisit pourtant d’ignorer ces avertissements en voyant la taille du marché et l’absence d’acteurs implantés sur place. Ils s’y lancent en 2018 et quatre ans plus tard, les États-Unis sont en passe de devenir leur marché numéro un.
" Je ne sais pas si ce serait l’année prochaine ou celle d’après ", commente-t-il.
Back Market est pourtant bien conscient d’être encore tout petit acteur, avec ses sept millions de clients. Ils ne combattent pas seulement contre des géants tels que Amazon, Walmart ou Best Buy, ils se battent aussi contre une habitude qu’il vaut mieux acheter du neuf.
Créer les conditions de la confiance : l’exemple de l’automobile
Il existe un énorme déficit de confiance sur les produits qui ne sortent pas d’usine, avec cette idée que l’occasion ou le reconditionné serait un jeu de roulette russe où l’on risque de tomber sur un produit défectueux.
" Notre mission, c’est de créer les conditions de cette confiance… et le chemin est encore long ".
Thibaud Hug de Larauze compare ce marché à celui de l’occasion automobile. " Il y a 30 ans, tout le monde achetait des voitures neuves. Maintenant, c'est trois quarts de véhicules d'occasion qui sont vendus, dont 70 % par des professionnels. Ils ont créé les conditions de la confiance et du coup, la nouvelle normalité est d'acheter de l’occasion. Parce qu’il y a des garanties et des facilités qui ont été créées avec des services qui étaient nécessaires. "
Il espère donc voir le marché de l’électronique reconditionné évoluer comme celui de l’automobile… mais il admet que le chemin sera encore très long.
Toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour que cette idée s’impose : " Pour faire avancer les choses, il faudrait que les pièces détachées des produits électroniques soient disponibles et accessibles pour tous, sans contraintes… tout comme les guides techniques des produits que les constructeurs gardent pour eux. Aujourd'hui, c’est loin d’être le cas. Tu ne peux pas réparer tes produits. Il faut donc démocratiser la réparation pour que tout le monde puisse garder son produit plus longtemps. Et s'ils ne veulent pas le réparer pour le garder, ce n'est pas grave, il y aura quelqu'un d'autre qui voudra l'acheter reconditionné. Il va falloir incentiver les consommateurs, un peu comme la prime à la casse pour l'automobile. Il faut une prime à la casse sur les produits électroniques pour que les consommateurs rendent leurs produits une fois qu’ils ne les utilisent plus et que ça reste dans les tiroirs ou à la déchetterie ".
Ce n’est pas un projet d’entreprise que Thibaud Hug de Larauze poursuit… c’est un projet de société. Pour atteindre pleinement ses objectifs, Back Market s’attend à une transformation du cadre législatif, mais aussi à une évolution culturelle.
Et pour accompagner cette évolution, Back Market recrute de nouveaux collaborateurs presque aussi rapidement qu’elle ne lève des fonds.
De deux personnes en 2014, ils sont déjà 200 en décembre 2019, il double ensuite les effectifs pour atteindre 400 salariés en décembre 2020. Aujourd’hui, en septembre 2022, ce sont 700 personnes qui travaillent chaque jour pour évangéliser le reconditionné… avec une centaine de recrutements attendus d’ici à la fin de l’année.
En parallèle, les levées de fonds ont eu lieu en 2017 (7 millions d’euros auprès de Daphni et Aglaé Ventures), 2018 (41 millions auprès des mêmes investisseurs accompagnés de Thierry Petit et Eurazeo), 2020 (110 millions qui signe l’arrivée de Goldman Sachs Growth), 2021 (276 millions auprès de Generation Investment Management et General Atlantic) puis enfin 2022 (450 millions d’euros avec Sprints Capital qui rejoint d’anciens fonds d’investissement déjà présents).
Si Thibaud Hug de Larauze est un optimiste de nature, il admet pourtant que rien n’indique si les choses vont aller dans le bon sens ou pas, que ce soit à court, moyen ou long terme. Mais bien loin de le décourager, cette situation l’encourage à avancer avec cette force de conviction que Back Market pourrait être l’un des précurseurs du monde de demain.