"Nous ne pouvons plus être dépendants de la Chine pour un produit aussi stratégique!" , lance Pascal Richard, PDG de Carbon, interrogé par l'AFP. Neuf des dix premiers fabricants mondiaux sont chinois et sud-coréens, adossés à leurs immenses marchés intérieurs. Le panneau solaire, de fait, est au coeur des projets énergétiques français et européens.
Un projet de loi "d'accélération des énergies renouvelables" doit être présenté mi-septembre en conseil des ministres. Il prévoit la multiplication des possibilités d'implantation des panneaux solaires (obligation d'équipement sur les gros parkings, possibilité d'installation sur les délaissés routiers...) et la simplification de certaines procédures - critiquée d'ailleurs par des ONG environnementales. Pour combler le retard français sur ses partenaires européens, Emmanuel Macron avait annoncé en février vouloir décupler les projets pour atteindre 100 gigawatts (GW) installés en 2050, contre 13 en 2022.
Et encore : ces objectifs ont été fixés avant la guerre en Ukraine et la prise de conscience généralisée de la dépendance au gaz russe, qui a aussi conduit en mai la Commission à présenter son plan REPowerEU visant à quadrupler la production photovoltaïque dans l'UE d'ici à 2030.
Carbon entend bien prendre sa part dans ce gâteau de la "souveraineté énergétique européenne", explique M. Richard, ancien directeur France de l'allemand SMA (onduleurs pour le photovoltaïque). D'ici à 2025, Carbon prévoit la construction d'une première usine de panneaux dont la capacité installée sera de 5 GW, employant 3 000 personnes, et passerait à 20 GW et 10 000 personnes en 2030. Un énorme effet d'échelle sur les prix, espèrent ses fondateurs. Le site d'implantation - classé Seveso - n'est pas arrêté, mais il faudra 80 hectares.
La chasse aux financements
L'investissement nécessaire pour ce projet totalement intégré doit s'établir à 1,3 milliard d'euros pour la première étape, "5 à 6 milliards" au total. La chasse au investisseurs est lancée, notamment aux subventions françaises et européennes. Une première levée de fonds "de plusieurs dizaines de millions d'euros" est programmée au premier trimestre 2023. Elle servira à "la mise en place des équipes" et "la poursuite des études".
En attendant, la startup pourra compter sur la prise de participation d'ECM. Constructeur de fours industriels servant à la transformation du polysilicium, matière première dans l'élaboration des cellules des panneaux photovoltaïques, ECM (500 personnes, 150 M EUR de chiffre d'affaires, 20 M EUR Ebitda) va prendre 20 % du capital de Carbon. Basé à Grenoble, ECM rejoint quatre autres actionnaires, chacun détenant également 20 % des parts, dont le co-fondateurs Pascal Richard, ancien directeur France de l'allemand SMA-Solar (onduleurs pour le photovoltaïque).
Maitriser l'ensemble de la chaîne de valeur
Mantra des cinq associés à parts égales, parmi lesquels le fabricant grenoblois de fours destinée à l'industrie photovoltaïque ECM : "Toute la chaîne de valeur sera intégrée" une fois la matière première acquise - du polysilicium provenant d'Allemagne ou de Norvège dans un premier temps. Lingots, tranches (wafers), cellules, et donc panneaux finaux seront entièrement "made in France" , là où d'autres acteurs du marché européen se contentent d'assembler les composants chinois. "Il n'y a aucun projet de cette envergure" en Europe, assurent les dirigeants de Carbon.
Des gros énergéticiens intègrent d'ailleurs déjà les panneaux Carbon dans leur préfiguration de centrales solaires, affirme Laurent Pélissier, PDG d'ECM, "car ils veulent diversifier leurs portefeuilles fournisseurs et ne plus se retrouver dans des situations où il n'y a plus d'approvisionnement, ou avec des prix variant soudainement".
C'est le cas de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui a annoncé en mai un plan "massif" d'investissement dans le photovoltaïque (1 milliard d'euros), via la "solarisation" de toitures ou de terrains dégradés. "A prix quasiment identique, ce qui sera un défi, et performance égale, nous aurons bien sûr une préférence" pour Carbon, affirme Julien Marchal, directeur des nouvelles énergies, déplorant avoir "perdu parfois 6 mois sur certains projets en raison des difficultés d'approvisionnements".
"Nous réduirions aussi le risque transport, le risque de change et géopolitique, comme lorsque la Chine a brusquement arrêté ses usines pour sa stratégie zéro covid. L'empreinte carbone des panneaux français serait également bien meilleure, d'autant plus si des capacités de recyclage existent sur place", ajoute ce responsable. A ses yeux, Carbon pourrait même devenir "le Verkor du solaire" , allusion à cette startup grenobloise, soutenue notamment par Renault, qui va implanter une usine géante de batteries à Dunkerque.