1/ Le terme d’impact a fleuri dans le champ de l’engagement et de l'entrepreneuriat. Beaucoup d’entrepreneurs se réclament à impact. Mais qu’est-ce que cela signifie vraiment ?
L’impact est en effet sur toutes les lèvres, celles des financeurs, des pouvoirs publics, des entreprises, et de l’opinion publique. Pourtant, il n’y a pas de consensus sur ce qu’est l’impact dans le monde de l’entreprise, pas de volonté partagée, pas d’ambition commune. Et à l’aune de l’urgence sociale et écologique, définir l’impact est une affaire d’ambition. C’est aussi une affaire de preuves, car il n’y a que des preuves de l’impact.
Parallèlement à cette tendance, les modalités attendues de reporting extra-financier évoluent, que ce soit à l’initiative de la puissance publique, des organisations de normalisation, ou encore des acteurs financiers. Par ailleurs, des expérimentations ont lieu dans des entreprises pour intégrer les capitaux sociaux et environnementaux dans les outils comptables… Toutes ces dynamiques, bien qu’ayant un fondement commun – celui de la durabilité des entreprises et de leur écosystème – présentent des enjeux et des périmètres différents, concernent parfois des entreprises différentes.
C’est pourquoi, l’Impact Tank a profité des Universités d’été de l’économie de demain pour appeler à un " New deal de l’impact ", pour que les décideurs publics et privés se rejoignent autour de définitions communes de l’engagement sociétal des entreprises et de la mesure d’impact, en proposant des référentiels partagés afin d’harmoniser les pratiques et les prises de décision, et augmenter la performance sociétale. Le monde de la finance a fait ce travail, piloté par Finance for tomorrow avec l’appui du ministère de l'Économie : les acteurs financiers se sont dotés d’une définition de la finance à impact et construisent des outils communs. Les autres acteurs de l’économie réelle, les entreprises, les startups, les entrepreneurs, doivent en faire de même.
2/ Qui sont les entrepreneurs à impact ? Dans quels domaines ils évoluent ?
Les entrepreneurs et entrepreneuses à impact, ce sont toutes celles et ceux qui se donnent pour finalité de répondre à un besoin social ou environnemental et qui, pour y parvenir, orientent toute leur activité vers leur mission d’utilité sociale et/ou écologique. Leurs secteurs d’activité évoluent, c’est une excellente nouvelle. Historiquement ces entreprises se retrouvent plutôt dans le médico-social, l’insertion professionnelle ou l’éducation, mais elles s’investissent désormais dans les secteurs de l’environnement ou du numérique en particulier, comme Reconnect qui a développé un coffre-fort numérique pouvant conserver les documents administratifs numérisés de personnes en situation de précarité.
Au-delà des secteurs d’activité, je crois à une nouvelle dimension partenariale pour faire basculer l’économie vers plus d’impact, qui rassemble tous les acteurs de l’économie sociale et solidaire, les associations et les entrepreneurs à impact, mais aussi les acteurs de l’entreprise " classique " et de l’investissement privé. Nous allons d’ailleurs lancer avec l’Impact Tank un mouvement, la " Team France de l’innovation sociale ", pour impulser cette dynamique nationale en faveur des collaborations au service de l’impact…
A l’échelle locale, des initiatives se montent bien sûr, notamment avec le modèle de la joint-venture sociale mais elles sont encore trop rares, et elles gagneraient à être fédérées et accompagnées de dispositifs incitatifs innovants. Je pense par exemple à Lemon Aide, créée par Lemon Tri une entreprise de l’ESS, en partenariat avec Danone et la Fondation Agir contre l’Exclusion (FACE), qui assure la collecte et la mise en filière de déchets en recrutant des personnes éloignées de l’emploi.
3/ Comment développer et mesurer l’impact d’une entreprise ? Quels sont les outils ?
Avant toute chose, il faut établir une stratégie d’impact en réponse à un besoin sociétal. Cela signifie que l’entreprise identifie un besoin social ou environnemental et les leviers générateurs d’impact en lien avec sa stratégie globale, et en considérant l’intégralité de sa chaîne de valeur. L’entreprise priorise son action, et se fixe des objectifs et des indicateurs en fonction des effets recherchés, ainsi que des données de comparaison, des seuils ou standards sociaux et environnementaux reconnus. Elle doit ensuite concrètement formaliser sa théorie du changement, afin d’intégrer l’intention d’avoir un impact à chaque niveau de l’entreprise, pour rendre la démarche d’impact structurante.
Les outils et les méthodes de mesure d’impact sont nombreux entre les approches qualitatives, statistiques, monétaires… Ils doivent tous permettre un suivi transparent, afin de choisir des données et des indicateurs pertinents (données de contexte, de baseline, de suivi, de comparaison), établir son propre référentiel ou se rapporter à des référentiels existants voire partagés par secteurs, mais aussi planifier et organiser la collecte de données.
Enfin, le succès d’une mesure d’impact dans l’entreprise dépend de l’implication de toute la gouvernance. Elle permettra d’interpréter au mieux les résultats et approfondir la démarche d’évaluation d’impact, en réalisant un état des lieux des données manquantes et des processus à mettre en œuvre pour les recueillir, en sollicitant de nouveaux experts, en faisant intervenir les parties prenantes dans le suivi…
4/ Comment une start-up peut devenir une licorne à impact ?
Peu d’entreprises à impact sont entrées dans la catégorie des licornes, ces startups de moins de dix ans valorisées à plus d’un milliard de dollars. Mais là aussi, c’est une affaire de définition et d’ambition. Pour définir la licorne, la valorisation d’une entreprise est calculée en fonction de son potentiel économique pour les actionnaires. Elle ne tient pas compte des bénéfices sociaux et environnementaux créés. L’ambition est de définir une nouvelle méthodologie de mesure et de nouveaux critères pour qualifier les " licornes à impact ". C’est un travail qu’a entamé le Mouvement Impact France aux côtés du BCG et que nous suivons de près.
D’après une récente étude qu’ils ont sortie avec IPSOS, les principaux obstacles au développement des licornes à impact sont l’accès aux financements privés, bien qu’ils se soient considérablement développés ces dix dernières années, les collaborations avec les grands groupes, car cela nécessite une taille minimum que n’atteignent pas toujours les entreprises à impact, et les incitations de l’Etat.
C’est tout l’enjeu de la " Team France de l’innovation sociale " que nous sommes en train de lancer, pour inspirer une vraie priorité politique et économique. La French Tech qui a permis le développement de 25 licornes françaises, a été créée en 2014 par une convergence des volontés de faire de la France un leader de la Tech, et les dispositifs ont suivi (statut de Jeune Entreprise Innovante, Crédits d’Impôts Innovation, etc.). Il nous faut créer cette volonté de faire de la France le leader de l’impact en Europe et dans le monde, et le garant du consensus sur sa définition et sa mesure.