Vendredi 19 août 2022, une lettre à la Première ministre Elisabeth Borne signée par une dizaine de maires de grandes villes réclame "que les communes où prospère ce type d'activités disposent des moyens juridiques de les réguler et de lutter efficacement contre toutes les externalités négatives que celles-ci produisent".
Parmi les premiers signataires, les maires de Paris, Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Lille, Besançon, Villeurbanne et Montreuil. A ces responsables socialistes, écologistes et communiste se joignent deux élus de droite, le président de la métropole du Grand Paris, Patrick Ollier, et celui de l'Association des maires d'Île-de-France, Stéphane Baudet.
Incarnations du quick commerce, qui permet de commander des produits en ligne et d'être livré en quelques minutes, les dark stores et dark kitchens se sont multipliés au coeur des métropoles depuis 2020, à la faveur des confinements et des couvre-feux successifs. Les premiers stockent des produits de consommation courante, tandis que les secondes sont des cuisines non adossées à un restaurant, uniquement destinées à la livraison de plats. Une activité dont les grands acteurs s'appellent Gorillas, Flink, Deliveroo, Getir ou Gopuff, et qui suscite des oppositions.
Un impact sur les commerces de proximité
Dans un communiqué publié vendredi, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Paris Île-de-France "exhorte le gouvernement à mettre en place le cadre légal d'une régulation forte et territorialisée du quick commerce à Paris, afin de combler le vide juridique dans lequel cette activité s'est rapidement développée dans la capitale, où elle représente déjà plus de 25 % des livraisons alimentaires à domicile, trop souvent aux dépens des commerçants de proximité et des riverains".
"Les commerçants de proximité subissent la concurrence déloyale des ventes à perte des quick commerçants (...), tandis que les riverains se plaignent des nuisances sonores et de l'encombrement de l'espace public. Sans oublier les citoyens "consom'acteurs" , qui déplorent les dérives d'une économie consumériste et à la tâche" , soutient le président de la CPME parisienne, Bernard Cohen-Hadad.
En janvier 2022, l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), dépendant de la mairie, dénombrait plus de 80 dark stores à Paris et dans sa proche banlieue, et au moins 25 dark kitchens dans la capitale. Le phénomène est naissant dans les autres grandes villes comme Lyon, Nice ou Bordeaux.
Les acteurs profitent d'un flou juridique
Au coeur de la controverse, la définition légale de ces locaux, et donc les contraintes d'urbanisme auxquelles ils sont soumis. La Ville de Paris considère les dark stores comme des entrepôts, et peut les sanctionner s'ils occupent un local destiné au commerce, pour lesquels les règles sont différentes. Maître Laurent Schittenhelm, avocat associé chez Bryan Cave Leighton Paisner (BCLP), détaille les enjeux réglementaires autour de ces statuts dans un article publié en février. Ces acteurs "ont les mêmes activités qu’une entreprise, mais ils n’accueillent, en principe, pas de public" , rappelle t-il pour mieux souligner "la zone grise" qui entoure cette pratique.
Mais l'adjoint parisien à l'urbanisme Emmanuel Grégoire a dévoilé un projet d'arrêté ministériel contesté qui leur permettrait d'être considérés comme des lieux de commerce ou de restauration, pour peu qu'ils disposent d'un point de collecte pour le public. "Cette nouvelle règlementation ne saurait en aucun cas nous convenir tant elle cautionne, dans les faits, le modèle de "dark city" et retire aux communes le principal levier qu'elles pouvaient actionner pour réguler ces implantations" , s'inquiètent les signataires.
Du côté de l'exécutif, on rappelle que ce document n'est que provisoire et que les élus sont consultés. "Ma position, elle est la même qu'eux : définissons ce que c'est, et faisons confiance aux élus locaux, a réagi le ministre délégué à la Ville et au logement, Olivier Klein. Ce qui m'étonne un peu, c'est la méthode. On est dans une concertation, et la concertation, elle ne se fait pas à travers les réseaux sociaux et des lettres ouvertes." Et d'ajouter : "Je ne crois pas à l'interdiction générale [des darks stores et dark kitchens, N.D.L.R.], ça n'aurait aucun sens. Par contre, il faut permettre aux maires, avec les outils juridiques qui sont les leurs, de dire où c'est possible."