L’agriculture est aujourd’hui l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre en France. Mais c’est aussi un secteur avec un énorme potentiel pour résoudre le problème du réchauffement climatique. C'est dans ce contexte qu'est née la startup TerraTerre. Maddyness a rencontré son fondateur Mathieu Toulemonde
Quel est le concept de TerraTerre ?
En 2021, fraîchement revenu d’années d’expatriation à Hong Kong où il gère la filiale Asie d’Agorize, Mathieu Toulemonde rentre en France avec une envie de se reconnecter à la terre. Il lance TerraTerre, une entreprise à mission dont l'objectif est d'aider les agriculteurs à aller vers des pratiques plus vertueuses, à renforcer leurs liens avec le monde des entreprises.
Pour cela, il s’appuie sur le Label Bas Carbone, lancé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, qui encourage une agriculture plus vertueuse en poussant les agriculteurs à diminuer leurs émissions carbone.
Comment ça marche ? Les agriculteurs peuvent les réduire directement en changeant par exemple l’alimentation de leur troupeau ou en captant davantage d’émissions grâce à des procédés comme la photosynthèse permise par les cultures. En réduisant ou en captant des gaz à effet de serre, l’agriculteur obtient des crédits carbone. Un crédit carbone correspond à une tonne de “CO2 équivalent”. Les agriculteurs sont audités par des organismes indépendants qui valident les crédits carbone.
Quels sont les atouts de TerraTerre ?
TerraTerre met en lien ces agriculteurs ou des porteurs de projets type coopératives avec des entreprises intéressées par l’achat de ces crédits. Du côté des entreprises, TerraTerre est sélectif. La contribution via l’achat de crédit carbone n’est donc rendue possible que pour les entreprises suffisamment matures sur le sujet. Elles doivent avoir déjà fait leur bilan carbone et avoir mis en place des mesures solides pour réduire au maximum leurs émissions directes. Les crédits carbone achetés via TerraTerre ne peuvent compenser que les émissions résiduelles et incompressibles. Une fois les crédits achetés, les entreprises peuvent en afficher les bénéfices et co-bénéfices sur leurs bilans. Elles peuvent par exemple afficher les tonnes de CO2 évitées et mettre en valeur les projets financés auprès des agriculteurs. Le crédit carbone agricole a également beaucoup de co-bénéfices qui peuvent être mis en avant : biodiversité, qualité de l’eau et des sols. TerraTerre souhaite aussi agir le plus localement possible, les fermes soutenues par les entreprises se situent en général dans un rayon de moins de 100 km, ce qui permet aux entreprises de voir concrètement les actions qu’elles soutiennent.
Dans quel contexte a été crée TerraTerre ?
Dans le cadre de l'Accord de Paris, en 2015, la communauté internationale s’est fixée comme objectif de limiter la hausse du réchauffement climatique à moins de 2 degrés d’ici la fin du XXIème siècle. Pour cela, il faudrait atteindre la neutralité carbone au niveau mondial, c'est-à-dire un équilibre entre les émissions et les absorptions de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone, le méthane ou encore le protoxyde d’azote, responsables du réchauffement climatique. Or, d’après The Shift Project, think tank reconnu qui s'est donné pour objectif l'atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l'économie aux énergies fossiles, l’agriculture représente aujourd’hui près de 20% des émissions de gaz à effet de serre sur le sol français, ce qui en fait le deuxième secteur le plus émissif après les transports. Réduire les émissions dans ce secteur est donc capital pour atteindre la neutralité carbone et limiter le réchauffement climatique. Pour cela, il faut non seulement faire des efforts pour réduire les émissions, mais aussi les capter. C’est notamment le rôle des “puits de carbone”, des réservoirs naturels ou artificiels qui absorbent du carbone. Les océans et les forêts jouent ce rôle et le sol peut aussi devenir un puits lorsque la vie du sol est favorisée. L’initiative 4 pour 1000, lancée par la France lors de la COP21 en 2015, fédère les acteurs volontaires du public et du privé pour lancer des actions concrètes sur le stockage du carbone dans les sols et les pratiques pour y parvenir. En augmentant de seulement 0,4% par an (4 pour 1000) la charge de matière organique des sols, la totalité de l’activité humaine pourrait être absorbée. L’ambition du 4 pour 1000 est donc d’engager les agriculteurs de la planète vers une agriculture productive, résiliente et fondée sur une gestion adaptée des terres et des sols.
Quel est le business model de TerraTerre ?
Aujourd’hui, TerraTerre vend un crédit carbone à 50 euros. La majeure partie revient à l’agriculteur et le reste permet de rémunérer la startup et les intermédiaires. Jusqu’à présent, une entreprise finançait en général une ferme entière pour un ticket minimum de 10 000 euros, soit environ 200 tonnes de crédit carbone, mais les équipes travaillent sur un modèle de co-financement pour ouvrir l’achat de crédits carbone à plus d’entreprises en baissant le ticket d’entrée. Pour le moment, l’offre est supérieure à la demande, mais TerraTerre pense que dès 2023, le rapport pourrait s’inverser. En effet, d’ici 2030, toute entreprise devra avoir diminué de 40% ses émissions carbone, ce qui rendra le crédit carbone de plus en plus attractif pour les entreprises qui ont déjà bien réduit leurs émissions directes et indirectes et souhaitent aller plus loin en compensant leurs émissions incompressibles.
Qui sont les concurrents ?
D’autres acteurs se sont lancés sur ce créneau en Europe et aux États-Unis, l’entreprise Indigo s’est beaucoup développée. En France, certains partenaires avec lesquels travaille la startup peuvent vendre des crédits carbone en direct, mais via ce créneau les entreprises ne bénéficient pas de la plateforme et des services proposés par TerraTerre et le contact entre les entreprises et les agriculteurs est quasiment exclusivement administratif.
Quelles sont les actualités ?
Terra terre, qui s’est jusqu’à présent développée de manière organique, envisage d'accélérer en 2023 avec une éventuelle levée de fonds. L’objectif serait notamment d’étoffer l‘équipe composée aujourd’hui de 8 personnes pour densifier le maillage du territoire français et porter les ambitions de développement à une échelle européenne. Aujourd'hui, l’équipe travaille déjà avec 1500 agriculteurs et une vingtaine d’entreprises partout en France. La startup, qui vise 1 million de chiffre d’affaires pour 2022 veut aussi rester au contact du sol, et accompagne donc le développement d’une ferme collaborative, installée sur les parcelles familiales de Mathieu Toulemonde à Villeneuve d’Ascq, dans le nord de la France. Il s’agira d’une sorte de laboratoire pour tester et promouvoir toutes les techniques d’une agriculture moins émettrice de carbone. Fin 2022, elle organisera à Lyon, son 2ème forum “Carbon Connect”, un événement qui rassemble des représentants de la Chambre d’agriculture, des régions, des entreprises, et des agriculteurs pour fédérer tous ces acteurs sur le thème du carbone agricole.