Le secteur de la mode émet 1,2 milliard de tonnes de CO2 par an, soit 2% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (Ademe). Plus inquiétant, selon la Fondation Ellen MacArthur, si les tendances de consommation ne changent pas, cette part pourrait atteindre 26% en 2050. “Dans l’industrie textile, nous avons des problématiques sociales et environnementales qui s’entremêlent, assène Maxime Delavallée, président de la Fédération de la mode circulaire et CEO de Crush On, une plateforme de vente de vêtements de seconde main. Nous n’avons pas les bonnes conditions de production à cause des délocalisations à l’autre bout du monde et, en plus, le secteur gaspille beaucoup de matières premières.”
Un constat partagé aujourd’hui par un grand nombre d’acteurs et de consommateurs déjà soucieux de leur empreinte écologique. “Il y a une énorme opportunité en ce moment car pour la première fois David et Goliath ne s’entretuent pas, explique Stanislas de Quercize, ex-CEO monde de Van Cleef & Arpels et Cartier. On voit en effet les startups et les grands groupes travailler ensemble pour réduire l’impact environnemental de l’industrie textile. Kering travaille , par exemple, avec 120 startups pour trouver des solutions face aux changements climatiques.”
Les trois briques de la FashionTech
L’urgence climatique pousse startups, créateurs et entreprises à innover et à se renouveler pour répondre aux attentes des consommateurs. L’innovation dans la mode prend donc bien des formes que l’on pourrait classer en trois grands axes :
- L’utilisation des données qui sert à personnaliser l’expérience d’achat et à tracer la provenance des produits, limitant ainsi la surconsommation et le gaspillage. Et il y a de quoi faire puisque 68% de notre garde-robe n’a pas été portée dans les 12 derniers mois.
- La promotion de l’économie circulaire et de la seconde main grâce à des marketplaces dédiées comme Crush On, Omaj, Vinted, ReValorem, Reflaunt ou Faume. L’objectif fixé par l’État est de recycler 50% des vêtements mis sur le marché chaque année, soit 300 000 tonnes.
- La recherche et le développement de nouveaux matériaux écologiques pour remplacer le coton et le polyester. Selon la dernière étude en date de la FAO, la culture du coton consomme 11% des pesticides mondiaux et selon l’Ademe, l’utilisation du polyester déverserait l’équivalent dans les océans de 50 milliards de bouteilles en plastique.
Les données rhabillent une mode dénudée
“Nous avons connu le pass sanitaire et je pense que nous allons bientôt vivre avec un pass climatique qui calculera l’impact environnemental des produits et des services que nous consommons”, anticipe Stanislas de Quercize. Dans la FashionTech comme partout ailleurs, la tendance est à l’utilisation des données. Clear Fashion est une startup qui permet déjà de mesurer l’impact environnemental des vêtements que l’on scanne et Carbon Fact a développé une solution qui permet également de mesurer l’impact carbone des vêtements que l’on trouve en boutique.
Odile Roujol, fondatrice du fonds d’investissement Fashion et Beauty Tech baptisé Fab Venture est sans appel : “Nous avons besoin d’outils SaaS qui nous permettent de mesurer vraiment la décarbonation des différentes verticales de la mode car beaucoup de marques, grands groupes et indépendants font du greenwashing pendant que les intermédiaires qui délivrent les multiples certifications prennent leurs marges. C’est pourquoi j’ai notamment investi dans Bluebird, une société qui permet de mesurer précisément les progrès de chaque entreprise. Sinon, chaque boîte fait son storytelling en disant qu’elle a économisé tant de litres d’eau et tant de tonnes de plastique, mais ces chiffres ne sont pas toujours comparables d’une entreprise à une autre ou même d’une année à l’autre.”
L’économie circulaire relance une mode qui tourne en rond
Comme toute industrie qui souhaite dépolluer son activité, le secteur textile doit repenser la structure de son marché. Et dans cette perspective audacieuse, l’économie circulaire est une réponse assez large qui implique un véritable renouvellement industriel. “Ce en quoi je crois profondément, c’est la reformation d’une industrie solide de la mode en Europe. Je suis donc heureux de voir que, malgré nos trois mois d’existence, de nombreux acteurs se mobilisent autour de la Fédération de la mode circulaire. Nous rassemblons en effet plus de 130 entreprises engagées dans la mode circulaire, que ce soit des grands groupes comme Galeries Lafayette, Printemps, Vestiaire Collective ou Kering et des entreprises plus opérationnelles comme Crush On, Vinted, Faume ou Place2Swap”, se réjouit Maxime Delavallée.
Pour promouvoir une économie circulaire devenue indispensable au secteur textile, des solutions existent, à l’instar de la startup Circul’R qui aide à former les CEO, les COMEX, les CODIR et tous les salariés d’une entreprise pour qu’ils comprennent les grands enjeux de la circularité, de la production à la distribution. Et une fois que toutes les équipes sont formées, elles peuvent aider les acteurs du secteur à trouver des solutions collectives. “La clef aujourd’hui, c’est l’éducation, insiste Stanislas de Quercize. C’est pourquoi j’ai créé la chaire d’économie circulaire à l’ESSEC avec Essilor, L’Oréal et Bouygues en sponsor et que j’ai aussi aidé Maxime Delavallée à créer la Fédération de la mode circulaire. Nous devons réfléchir ensemble (groupes, marques, maisons, fabricants, distributeurs, recycleurs, etc.) pour trouver les solutions à venir.”
De nouveaux matériaux pour repiquer nos vêtements
Un vêtement bien fait peut connaître mille vies. Ce n’est donc pas le luxe qui pollue le plus puisqu’il sera réutilisé en seconde main, mais la Fast Fashion qui renouvelle ses collections toutes les deux semaines à bas prix. En plus des matériaux peu durables qu’elles utilisent, ces marques créent des tendances éphémères qui entraînent une surconsommation et du gaspillage. La FashionTech peut justement aider ces entreprises à passer de la communication à l’action par la recherche de nouveaux matériaux plus responsables qui ralentiront peut-être le cycle des collections.
“Avec Fab Venture aux États-Unis, j’ai investi dans une entreprise qui s’appelle Kintrafibers Material Science, déclare Odile Roujol. Ils développent un matériau qui remplacera le polyester et le nylon à un coût moindre que le Tencel, qui est déjà connu mais qui reste cher à produire. Un jour, leur produit pourrait être utilisé autant par des entreprises comme Patagonia [déjà très engagé sur ces enjeux, N.D.L.R] que Shein, H&M ou Zara.” De nombreuses recherches sont menées en ce moment pour identifier les matériaux de demain et de nombreuses entreprises se lancent dans cette voie.
Pénurie de lessive verte pour laver son image de marque
La mode n’échappe pas au greenwashing inhérent à nos modes de production et de consommation. La transition écologique est aujourd’hui une question de marge sur le bénéfice, car le textile recyclé coûte plus cher à produire. “Un acteur du luxe qui marge en net autour de 30 ou 40% suivant les collections, peut se permettre d’abandonner 4 à 6 points de marge pour amorcer ce changement. Mais un acteur de la Fast Fashion comme Morgan ou Forever 21 qui marge entre 10 à 20% maximum, prend plus de risque en se tournant vers des produits éco-responsables”, explique Maxime Delavallée.
En novembre 2021, H&M sortait une collection capsule " A Circular Design Story " comprenant cinq articles cousus à l’aide du nouveau tissu de Resortecs qui, selon la startup bruxelloise, permet de diminuer les émissions de CO2 de 50%, les déchets de 80% et l’utilisation d’eau de 90%. Mais quelles sont les actions à plus long terme mises en place par le géant suédois, encore récemment accusé de greenwashing par le média d’investigation Quartz ?
Dans la même veine, “Shein a lancé un fonds en interne pour racheter des innovations autour de la circularité et de la mode responsable. C’est bien, mais ce fonds est doté de 50 millions de dollars. C’est moins que leur budget en lobbying”, détaille Maxime Delavallée.
Plus que jamais, l’industrie textile a besoin de nouvelles solutions pour prouver la rentabilité du modèle circulaire et responsable. Les acteurs de l’industrie du recyclage doivent démontrer qu’avec de nouvelles machines et de nouveaux procédés, il est possible de diminuer les coûts du recyclage des vêtements à l’échelle industrielle. Le chemin est long, mais la voie est déjà pavée de nouvelles solutions.
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