Entretien avec Inès Leonarduzzi, fondatrice et présidente de Digital For The Planet, auteure de " Réparer le futur, du numérique à l'écologie ", directrice générale de MTArt Agency et marraine de l’édition 2022 du Prix Entreprendre pour demain.
Quel regard portez-vous sur les trois types de pollution numérique : environnementale, intellectuelle et sociétale ?
Le numérique fait partie des technologies qui nous permettent de mieux vivre aujourd’hui, à l’heure où nous sommes de plus en plus nombreux sur cette planète. C’est un outil merveilleux mais qui compte un certain nombre d’externalités négatives, sur le plan environnemental, intellectuel et cognitif, social et sociétal. Il importe alors d’appréhender ces impacts de manière interdépendante, tant ils sont tous étroitement liés les uns aux autres. Sans un projet sociétal commun ni un futur inspirant, nous n’avons plus aucune raison de protéger l’environnement. Voilà tout l’enjeu d’initier un numérique responsable. Et voilà pourquoi l’association entre la Fondation Sopra Steria-Institut de France et Digital For The Planet autour du Prix Entreprendre pour demain avait tout son sens.
Comment peut-on aider la tech à faire mieux demain, notamment afin de réduire l’impact environnemental de l’activité humaine ?
J’aime la comparaison que fait le philosophe français Bernard Stiegler entre le numérique et le pharmakon, ce terme issu du grec ancien qui a donné le mot " pharmacie " et qui désigne à la fois le poison, le remède et le bouc émissaire. Il existe d’innombrables façons d’utiliser la tech de la bonne manière mais paradoxalement, il faut arrêter de croire que, à l’image d’un médicament, le numérique est une solution à tous les enjeux.
Il est possible d’appréhender le sujet de deux façons : la “Tech for Green” et le “Green for Tech”. La première consiste à voir comment la technologie peut apporter un regard écologique sur la manière de fonctionner, comme dans l’agriculture par exemple, où l’intelligence artificielle permet de calculer la dose exacte d’eau à utiliser pour irriguer efficacement. La deuxième approche définit la manière dont on peut développer des outils qui permettent aux acteurs du numérique d’être plus écologiques. D’un côté, on assainit la technologie, et de l’autre, on utilise la tech pour assainir nos méthodes.
En quoi selon vous le Prix Entreprendre pour demain participe-t-il à cette ambition ?
Le Prix vise à promouvoir l’action en faveur de la solidarité et l’environnement. Son but est donc de mettre en avant la nouvelle garde du numérique responsable en incitant tout jeune citoyen à réfléchir à ces sujets, à l’instar de la startup Osiris Agriculture, lauréate 2022 dans la catégorie Jeunes Entrepreneurs. Pour motiver cette dynamique, la Fondation Sopra Steria-Institut de France n’a pas hésité à doter son Prix de moyens financiers et humains conséquents. J’ai participé à de nombreux concours et j’ai rarement vu autant de diversité et d’excellence parmi les membres d’un jury, composé notamment de membres de l’Académie des Sciences, comptant parmi les personnalités les plus émérites en France. J’ai ainsi vu des jeunes présenter leur projet devant des " sages ", créant des débats très positifs. Cette approche trans-générationnelle constitue un point véritablement différenciant.
Le Prix Entreprendre pour demain pousse la jeunesse à réfléchir avec les bons codes et en récompensant cette réflexion, il s’attaque à l’enjeu cognitif du numérique. Au sein de Digital For The Planet, nous partageons totalement ce principe de créer des ponts, entre les générations, entre les personnalités, entre les secteurs... Notre ambition est d’exister pour les cent années à venir au minimum. Nous voulons devenir la Fédération internationale des droits de l’homme pour le numérique. Et représenter les citoyens implique de construire des ponts entre les sphères politique, économique et citoyenne pour rétablir la confiance. Voilà le futur de l’innovation : on ne peut plus se permettre de lancer des innovations qui sont le fruit d’accords entre lobbyistes et politiques, le citoyen doit revenir à la table des négociations.
Comment appréhendez-vous votre rôle de marraine du Prix Entreprendre pour demain 2022 ?
Tout d’abord, j’ai été très touchée que Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon.co et parrain de l’édition 2021, me propose de reprendre le flambeau. Lorsque j’ai rencontré l'équipe organisatrice du Prix, j’ai alors pu apprécier l’investissement des membres du Comex de Sopra Steria dans le projet. De mon côté, j’ai apporté mon expérience et mon expertise terrain. Mais je souhaitais surtout montrer qu’un acteur comme Digital For The Planet pouvait aussi donner du temps et mettre à profit son réseau pour toucher une population plus large. Enfin, à titre personnel, il était aussi très important pour moi de représenter les femmes dans le numérique.
La marraine, c’est aussi celle avec qui tout se passe bien. Et j’aime ce rôle. À l’issue du vote, bien que nous ayons été unanimes sur les lauréats, nous avons tous déploré que les femmes ne soient pas assez présentes au palmarès. En effet, une seule figurait parmi les finalistes jeunes entrepreneurs. Umains, son projet, m’a beaucoup séduite, alors en tant que marraine, je me suis proposée de l’accompagner sur sa communication et de lui présenter des journalistes. J’entends bien poursuivre mon rôle même après l’évènement. J’ai également gardé contact avec d’autres lauréats sur LinkedIn afin de continuer à les suivre.
Vous figurez dans le classement Forbes des 40 personnalités françaises les plus influentes. Quels sont vos prochains projets en faveur d’un numérique responsable ?
Je suis en cours d’écriture de mon deuxième ouvrage et j’ai un autre projet en gestation pour le cinéma. J’essaie de toucher à un maximum de domaines, mais tout part de la société. Les citoyens mettent le doigt sur ce qui dysfonctionne et ce qui pourrait être amélioré. Ce qui fait la différence, c’est la constance, la durabilité et la loyauté. La reconnaissance médiatique est un moment très fort dans une carrière, donc à moi de battre le fer tant qu’il est encore chaud pour la mettre au service de la cause que je défends, à savoir : " être de bons ancêtres ", comme le disait Jonas Salk, biologiste américain et inventeur du vaccin contre la poliomyélite.
Cette expression fait voyager car elle nous projette dans le futur et nous amène à penser aux générations de demain. Si le court-termisme est parfaitement humain, il est aussi pathologique en ce sens où il nous empêche de voir l’horizon à long terme. Il faut désormais reprendre possession du temps et le recalibrer en fonction des enjeux actuels.
Quel message souhaitez-vous passer aux jeunes ?
À tous ceux qui n’ont pas postulé au Prix Entreprendre pour demain, à cette jeune génération d’étudiants et d’entrepreneurs en herbe qui cherchent un projet qui aurait du sens à leurs yeux, je leur dirais : soyez curieux. Je ne me lève jamais le matin sans avoir lu cinq articles. Si c’est trop au début, lisez-en au moins un, mais informez-vous ! La curiosité permet d’ouvrir nombre d’idées et de champs de réflexion. Allez à la rencontre des autres et comprenez votre écosystème. Toutefois, si savoir écouter les autres est une grande compétence, savoir écouter son instinct l’est encore plus. Il est important d’avoir confiance en soi et de savoir que l’on peut déplacer des montagnes.