La révolution numérique nous a propulsés dans l’univers de la dématérialisation. Sa première vague, par l’intermédiaire des plateformes, nous a initiés à la dissociation entre la propriété et son usage : par exemple, Uber est sans doute la plus grande entreprise de transport au monde sans posséder une seule voiture.
Puis est venu le NFT ("Non Fungible Token" ou jeton non fongible) qui est un actif numérique unique associé à un support électronique (parfois extrêmement banal, comme le JPG, le MP3, etc.). L’unicité comme la traçabilité du NFT sont certifiées par un dépôt dans la blockchain.
Un nouveau pas est désormais franchi avec le web 3.0 et notamment le métavers - qui est un écosystème numérique connecté et persistant, plus immersif que l’Internet existant et qui peut impliquer la réalité virtuelle. Certains analystes qualifient le métavers d’opportunité à hauteur de mille milliards de dollars et de plus grand bouleversement de notre mode de vie.
L’écosystème du métavers est aujourd’hui fragmentaire. On trouve déjà des mondes virtuels dans l’univers des jeux vidéo, des Gafam, et dans les grandes marques internationales (Nike, Carrefour, McDonald's, etc.). A terme, nous nous dirigeons vers une économie réelle dans un monde virtuel collaboratif et interconnecté.
Chaque acteur économique devra donc, prochainement, envisager sa stratégie vis-à-vis du métavers - dont la maturité est estimée entre 2025 et 2029. Cependant, des mesures doivent être prises immédiatement pour pouvoir, le moment venu, prendre sereinement des décisions. En effet, ce nouveau monde décentralisé rime déjà souvent avec des pratiques commerciales qui ne sont pas forcément illégales, mais qui sont totalement immorales. On constate déjà quotidiennement dans le métavers des individus - sous couvert de l’anonymat permis dans cet univers - qui profitent de l’absence de certains acteurs commerciaux pour en parasiter l’activité - squatting, dépôts et activités frauduleux, etc.
Il faut donc agir immédiatement, afin d’éviter d’être empêché plus tard, d’y être présent/actif et afin de se prémunir contre les agissements frauduleux de tiers susceptibles de porter préjudice à vos marques. Aussi, afin d’éviter (ou a minima d’essayer d’anticiper) toute problématique de contrefaçon et/ou de parasitisme économique relative à ses actifs immatériels dans le métavers, les mesures suivantes peuvent être prises au niveau des marques enregistrées (1) et au niveau de la technologie Ethereum (2).
1. S’agissant des marques enregistrées
On rappellera le principe de spécialité selon lequel la protection conférée par le droit des marques sur un signe est cantonnée aux classes choisies lors du dépôt. En conséquence, chaque titulaire doit vérifier que sa marque vise bien les produits et services virtuels au moins en classes 9 (produits virtuels téléchargeables : programmes informatiques), 35 (services de magasins de vente au détail concernant des produits virtuels, services de divertissement), 42 (produits virtuels non téléchargeables en ligne et NFT et services financiers y compris les jetons numériques de la classe 36) et à défaut d’en faire un dépôt rapide.
De tels dépôts, s’ils sont nécessaires, ne seront néanmoins pas suffisants pour assurer la pérennité d’une marque dans le métavers. En effet, toute marque non exploitée de façon sérieuse dans la vie des affaires pendant cinq ans consécutifs encourt un risque de déchéance.
2. Au niveau de la technologie Ethereum
Le métavers repose sur trois couches techniques distinctes et complémentaires : la couche d’interaction entre utilisateurs, la couche de contenu, et la couche transactionnelle. Quelle que soit la technologie qui émergera en tant que standard, on peut raisonnablement estimer qu’Ethereum persistera comme cryptomonnaie de référence.
Il serait donc prudent dès à présent que chaque opérateur économique dépose son nom de domaine " .com " en " .eth " ou migre son " .com " vers " .eth ". En effet, en matière de noms de domaine Ethereum " .eth ", aucun contrôle de l’identité et du droit du déposant n’est effectué a priori. En conséquence, un tiers peut déposer un nom de domaine " .eth " en utilisant la marque d’un tiers. A titre d’exemple, X (un tiers n’ayant aucun lien avec Amazon) a déposé amazon.eth.
De plus, le métavers va probablement devenir un gigantesque supermarché où chacun pourra faire vivre aux clients l’expérience de ses produits ou services. Cette expérience sera forcément associée à un mode de payement dématérialisé. Or, pour payer en Ethereum dans le métavers, le client devra soit cliquer sur la longue chaîne alphanumérique de l’adresse Ethereum reliée au nom de domaine en question (de type : 0x793ea9692ada1900fbd0b80fffec6e431fe8b391), soit cliquer sur une extension " .eth " qui mentionnera la marque.
L’enregistrement d’un nom de domaine en " .eth " permet donc d’une part de se prémunir contre des agissements contrefaisants et/ou déloyaux et d’autre part de faciliter les payements par les clients futurs dans le métavers. La révolution numérique s’est affranchie des autorités centrales. C’est un avantage qui n’est pas dénué d’inconvénient. Dans le métavers, cette absence d‘autorité qui permettrait d’identifier le déposant et de vérifier son droit au dépôt fait de ce nouveau monde virtuel une jungle régie par la règle du " premier arrivé, premier servi ". Cette absence de contrôle pourrait être de nature à ébranler la confiance du public. Gageons que les acteurs du métavers trouveront des solutions pour limiter ces risques de fraude.
Fabrice Lorvo est avocat associé au sein du cabinet FTPA et auteur du livre Numérique : de la révolution au naufrage ?, paru en 2016 chez Fauves Editions.