Basée dans la Silicon Valley à San Francisco (Etats-Unis), Front est une startup qui édite une solutions SaaS permettant à la fois de gérer un système de messagerie électronique et le support client. Neuf ans après son lancement, elle vient de lever 65 millions de dollars auprès des fonds Salesforce Ventures, Battery Ventures et Sequoia Capital.
Front rejoint désormais le club très restreint des licornes (1 360 licornes dans le monde actuellement, selon Crunchbase) avec une valorisation qui atteint 1,7 milliard de dollars. Et Mathilde Collin rejoint le club encore plus restreint, des dix autres licornes SaaS fondées et dirigées par des femmes (à l'image de Laura Behrens, dirigeante de Shippo, ou de Christiana Caciappo, PDG de Vanta). " Ce ratio est important à mentionner si cela peut convaincre d'autres femmes de se lancer " , estime la co-fondatrice de Front.
L'humain, son premier combat...
Étonnante de simplicité, accordant un entretien à Maddyness dans son sweat bleu marine à capuche, avant de s'envoler pour la France où elle revient chaque été, Mathilde Collin n'a pas la grosse tête. C'est même tout le contraire. Même si son entreprise a rejoint ce cercle restreint, elle reste humble. Une valeur qui l'habite depuis son jeune âge et qui la guide dans tout ce qu'elle fait. " Mes deux valeurs clés sont la transparence et l'humilité. Ce sont deux valeurs fortes que l'on retrouve chez Front. "
Quand elle était à HEC, d'où elle est sortie avec un master en entrepreneuriat, elle enviait ses amis qui voulaient devenir entrepreneur. " J'aurais adoré pouvoir dire cela mais ça me paraissait insurmontable. Il fallait une confiance en soi que je n'avais pas. " Capitaine de son équipe de tennis, compétitive et aimant gagner, cette Française a investi tôt son énergie au service de " l'humain " : le combat qui, selon elle, apporte vraiment du sens. " J'ai toujours été intéressée par l'engagement des gens au travail. Pour moi qui suis une passionnée et qui ne me vois pas vivre sans aimer ce que je fais cinq jours par semaine, j'ai beaucoup souffert de la culture d'entreprise lors de mon premier job. J'ai réalisé que les dirigeants ont une responsabilité énorme dans l'engagement de leur équipe. "
… devenu l'ADN de Front
Lors de son premier job, elle découvre le monde des logiciels. Au sein de son réseau, elle fait la connaissance de Thibaud Elzière, fondateur de eFounders et investisseur, qui lui présente Laurent Perrin : son futur co-fondateur. La startup est financée par Thibaud Elzière, avant même la sortie du produit et l'aventure démarre en 2013. Pour Mathilde Collin, lancer une boîte de logiciels répondait à deux aspirations : " Créer une entreprise qui aura des valeurs en lesquelles je crois, la transparence et l'humilité, et créer un produit qui change la façon dont les gens travaillent. Ainsi, l'impact est double : à la fois sur nos clients et sur nos employés. "
Depuis le lancement de Front, elle martèle ce même leitmotiv : replacer l'humain au cœur des solutions. Pari réussi, puisque l'entreprise californienne a su bouleverser deux des marchés les plus importants et les plus profondément ancrés du SaaS : la messagerie électronique et les logiciels de support client. Avec un positionnement unique sur le marché, Front mise sur un déploiement conséquent, car " plus que jamais, les entreprises ont besoin de prendre soin de leurs clients et il n'y a qu'en replaçant la valeur de l'humain au centre des relations clients que ce soin peut être viable " , dixit sa co-fondatrice.
Sa recette ? Que la technologie permette aux humains d'exercer leur valeur ajoutée. " Dans la philosophie des supports clients, la relation est très peu personnalisée. L'aspect humain est absent des outils et à terme, les clients et les entreprises sont perdants. Chez Front, nous avons une approche à contre-courant, où notre technologie fait évoluer les relations avec cette touche humaine. On ne veut pas remplacer les humains par des robots, alors on dédie l'IA aux tâches répétitives sans valeur ajoutée pour que l'humain offre sa valeur en répondant aux clients " , précise Mathilde Collin.
Avec près de 8 000 clients (dont cinq des Fortune 25) dans plus de 100 pays, la licorne entend consacrer cette levée de fonds pour renforcer son équipe marketing, s'étendre sur le marché européen, et bien sûr, améliorer toujours plus ses solutions.
Une équipe de direction à 80 % féminine
Si 80 % de l'équipe de direction de Front et 50 % de ses managers sont des femmes, ce n'est pas uniquement par " féminisme " , mais bien parce que cela " modifie les relations humaines " , pointe la PDG de la licorne.
" Je déteste caricaturer les hommes et les femmes, mais je constate que la diversité est une source d'enrichissement et que les femmes, moins sûres d'elles, sont souvent plus réfléchies et raisonnées avant d'agir. " Les solides antécédents de Front en matière de croissance constante et disciplinée, sont en partie à attribuer au leadership féminin. Selon la Fondation Kauffman, les entreprises technologiques privées dirigées par des femmes sont plus efficaces en matière de capital, réalisant un retour sur investissement supérieur de 35 %.
Lorsqu'elles sont soutenues par l’univers du capital-risque, les revenus sont supérieurs de 12 % à ceux des startups dirigées par des hommes. " Dans cet environnement où l'efficacité capitalistique des entreprises est beaucoup plus importante, j'ai l'intuition forte que les femmes vont avoir plus de financement " , avoue Mathilde Collin, déconcertée quand elle évoque le chiffre de PitchBook selon lequel les femmes fondatrices n'ont obtenu que 2 % du capital-risque aux États-Unis en 2021.
" Si je ne bosse pas sur moi-même, je ne peux pas être une bonne dirigeante "
Ce leadership féminin est loin de tout expliquer. Si Mathilde Collin gère d'une main de maître son entreprise, c’est aussi parce qu'elle se questionne souvent. " Mon principal secret, c'est de bosser sur moi-même. Si je ne travaille pas sur mes faiblesses, je ne peux pas être une bonne dirigeante. J'ai une grande humilité et une grande volonté d'apprentissage " , confie cette jeune maman qui s'organise pour aller chercher sa fille à la crèche à 17h.
Car l'équilibre entre la vie professionnelle et personnelle, nourrit chez elle la conviction que " si les gens ont un bon équilibre, ils font un meilleur travail ". C'est même le plus grand défi qu'elle a relevé en tant que PDG.
" Je suis très fière d'être parvenue à cet équilibre et de pouvoir me reposer sur une équipe de confiance. Quand mon associé Laurent Perrin a été atteint d'une grave maladie en 2017, j'ai dû prendre soin de lui et de la boite. Et pas de moi. J'ai été mise face à la réalité que si je ne prenais pas soin de moi, Front irait nulle part et depuis, j'en ai fait une priorité. "