On a l’habitude de voir les entrepreneurs devenir des investisseurs. Les fondateurs de Popchef, eux, ont fait le chemin en sens inverse. Salariés chez Jaïna Capital - qui a rejoint Daphni, depuis - les deux associés sont portés par l’énergie des entrepreneurs qu’ils accompagnent et décident finalement de lâcher leurs postes pour monter leur propre société.
Leur choix se porte alors sur la livraison de plats préparés. Les deux associés opèrent eux-mêmes, en livrant des petits plats préparés en Vélib. Sous cette anecdote, qui remplit tous les codes du "storytelling" , se cachent les prémices du concept de Popchef : livrer des plats préparés à des particuliers. On est en 2015, et la startup fait partie de la nouvelle vague de startups FoodTech qui émerge.
Quand les fonds manquent
Pour développer leur concept, François de Fitte et Briac Lescure ont besoin de capitaux et cherchent, comme de nombreux entrepreneurs à lever des fonds. C’est la première désillusion pour les deux associés, qui connaissent pourtant bien le monde des VCs. Si le sujet séduit les ventres affamés, il peine à convaincre les investisseurs qui font preuve de frilosité envers le projet." Au début, Marc Simoncini (serial entrepreneur et fondateur de Jaïna à l’époque, ndlr) a hésité à investir mais la traction de Popchef a fini par le convaincre de rejoindre l'aventure" , confie François de Fitte.
"Nous souhaitions lever 10 millions d’euros et nous en avons finalement levé 2, alors que des startups bien moins matures que nous y sont arrivées" , reconnaît le CEO. Qui analyse cet échec rétrospectivement : "Nous n’avons pas levé des fonds assez rapidement. Les VCs financent souvent un acteur sur une verticale et une fois que c’est fait, c’est fini pour les autres. Nous avons aussi manqué de confiance en nous, nous avons été trop raisonnables et nous n’avons pas osé demander ces 10 millions d’euros." Or, "la rentabilité d’une FoodTech n’est pas excellente, c’est pour ça qu’il faut un volume et une croissance très agressive, et donc beaucoup d’argent au départ" , développe François de Fitte.
Ce manque de capital a complexifié le développement de Popchef, sans toutefois empêcher la société d’accroître son nombre de clients. Elle affiche ainsi une croissance de ses commandes de 10 % par mois, et entame même une stratégie de croissance externe en acquérant sa concurrente Happy Miam début 2017. Mais trois ans après le début de l’aventure, les deux fondateurs doivent se rendre à l'évidence : les fonds manquent. La course pour trouver du capital est lancée. "Nous avons tenté d’aller chercher un bridge" , avance François de Fitte, mais la réussite n’est pas au rendez-vous, ce qui conduit la société à changer son fusil d’épaule.
Pivoter pour survivre
À l’époque, la startup "réalise 10 % de son chiffre d’affaires en B2B" avec une marge de 30 %, bien supérieure à celle constatée avec les particuliers. En l’absence de bridge, les deux associés décident de réorienter leur stratégie, en se concentrant sur les 10 % d’activités les plus rentables. Le pari est osé.
"Nous avons fait les choses en toute transparence. Nous avons présenté la situation à l’équipe en leur expliquant qu’on pouvait tout arrêter ou réaliser un pivot en sauvant quelques emplois. La réponse a été unanime" , confie l’entrepreneur. Le process est lancé. Certains investisseurs décident, eux aussi, de miser sur ce virage. "À ce moment-là, nous avons réalisé une levée avec une très forte dilution et une valorisation proche de 0, bien inférieure au tour précédent" , se rémomère François de Fitte. Qui souligne alors la place prépondérante jouée par Gilles Quéru à ce moment précis : "C’est lui qui a leader le tour, il a vraiment cru à notre pivot et d’autres investisseurs ont suivi."
Une nouvelle voie s’ouvre pour les deux associés, mais les décisions difficiles à prendre sont encore nombreuses. À commencer par le licenciement d’environ 25 personnes, faisant ainsi passer Popchef de 35 à 8 personnes - fondateurs compris. "C’était très dur et très violent de devoir se séparer de nombreuses personnes, alors qu’on s’était vraiment battu pour les faire venir" , livre François de Fitte, encore marqué par ce souvenir. La société fait aussi face à une traversée du désert au niveau médiatique. "Avant, on était bien vu des médias et on est devenu invisible, comme si l'entreprise était déjà morte. On a vraiment eu ce sentiment de déclassement."
Des épreuves qui soudent
Réussir à remonter la pente a nécessité un investissement immense des équipes. "Nous avions une base de 50 000 clients B2C, avec leurs coordonnées. Nous avons réalisé un fichier Excel et nous les avons appelés individuellement pour leur demander si leur entreprise pourrait être intéressée par notre offre B2B." Développeurs, commerciaux et fondateurs étaient alors tous dans le même bâteau et se sont prêtés à l’exercice. "On avait instauré un jour par semaine, le mercredi où on passait des appels pour trouver de nouveaux clients. On organisait des challenges pour motiver les équipes avec des bonus pour ceux qui réussissaient à obtenir le plus de rendez-vous, comme leur faire du café pendant toute une journée" , se souvient le co-fondateur. Les résultats sont encourageants. En quelques mois, Popchef réussit à obtenir un chiffre d’affaires comparable à celui qu’il réalisait en B2C.
Traverser cette période d’adversité a vraiment permis de souder la petite équipe. Preuve de cette confiance qui s’est instaurée, les salariés n'hésitent pas à tirer la sonnette d'alarme un an après le pivot. "À cette époque, on a accusé le coût de notre investissement, et on était beaucoup moins motivé. Nos salariés nous ont convoqués pour nous faire part de leur ressenti et nous demander s’il leur fallait envisager de mettre fin au projet. Ce n’est pas agréable, mais ils n’avaient pas tort" , reconnaît le CEO. Cette preuve de confiance pousse les deux associés à prendre quinze jours de congés, en coupant tout lien avec leur entreprise. Une pause salutaire, qui les remotive.
Au cours de cette période de pivot, Popchef a bénéficié du soutien de plusieurs acteurs. Sans hésitation, le CEO cite le nom de Gilles Quéru. "C’est lui qui a sauvé la société, c’est le troisième fondateur. Il est très expérimenté, nous avons appris beaucoup avec lui." Le Réseau Entreprendre Paris les a aussi accompagnés, via du mentoring. François de Fitte n’oublie pas non plus le geste du fondateur de Morning, Clément Alteresco. "Il nous a fait une remise énorme, quand il a su qu’on était en grosse difficulté. Au fur et à mesure de l’évolution de notre chiffre d’affaires, nous avons commencé à payer de plus en plus" , se remémore-t-il, avec gratitude.
La cantine connectée, lieu de sociabilisation
Suite à leur pivot, les deux fondateurs travaillent pendant un an et demi sur leur nouveau modèle, en quête d’une solution viable en B2B. "Le marché des plateaux repas est un marché de niche" , analyse le CEO, alors que "celui des plateaux connectés dépasse le milliard d’euros". Popchef se tourne vers cette solution, pour répondre à un besoin plus large : "Nous cherchions une solution pour nourrir les salariés tous les jours, notamment ceux installés en périphérie des villes, qui doivent prendre leur voiture pour aller chercher à déjeuner et sautent parfois des repas."
La FoodTech lance alors son concept de cantine connectée, installée directement dans les bureaux, avec une offre de plats soigneusement sélectionnés. "Nous sélectionnons des traiteurs locaux - une quinzaine en Ile-de-France - qui doivent réaliser les recettes que des chefs ont élaborées en interne. Nous avons un cahier des charges très stricts. La moitié des produits utilisés sont sourcés à moins de 100 kilomètres, 20 % sont issus de l'agriculture biologique et 100 % d’entre eux sont labellisés" , souligne François de Fitte.
Mis en place avant la pandémie, le concept de cantines connectées connaissait un bon développement, avant les confinements qui ont gelé les revenus de Popchef. "Mais dès que les bureaux ont été rouverts, nous avons reçu beaucoup d’appels. Notre partie cantine a connu une croissance de 700 % en un an. La cantine est un lieu de convivialité où les salariés se retrouvent. Les entreprises ont compris que pour ramener leurs salariés au bureau, elles devraient leur proposer une bonne expérience."
De multiples chantiers en cours
Considérée comme morte par certains il y a sept ans de cela, la statup a, semble t-il, réussi à relever la pente et convaincre des investisseurs de la suivre dans son orientation B2B. Popchef a récemment réalisé un tour de table de 15 millions d’euros auprès de Meridiam Green Impact Growth Fund, Bourrelier Group, Céleste Management, et de l'ancien DG d'Elior Philippe Salle. Grâce à ce capital, la société entend conforter sa présence dans trois régions : Île-de-France, Occitanie et Bretagne. Mais sa véritable ambition est de devenir "le leader européen de son secteur".
En parallèle de sa croissance, Popchef assure ne pas oublier son impact environnemental et social. Les invendus sont données à des associations afin de réduire le seul gaspillage à celui des assiettes non terminées. La société travaille sur un système de consigne, qui devrait être généralisé d’ici à la fin de l’année. François de Fitte souligne néanmoins que l’emballage ne représente que 5 % des émissions de CO2 de la société, 80 % provenant du choix des ingrédients des plats préparés.
Contrairement à certaines sociétés de livraison, Popchef indique n'embaucher que des livreurs en CDI intermédiaire et espérer les recruter en CDI classique d’ici à la fin 2022, quand le volume sera suffisant. Hors de question, dans tous les cas, de recruter des auto-entrepreneurs : le CEO juge ce statut trop précaire. Une manière de s'opposer indirectement aux modèles de nombreux autres acteurs du secteur.